"Les 100 mots du roman", d'Yves Stalloni
« Les romanciers aiment à s’occuper du temps qu’il fait. La pluie, la neige, le vent, le soleil sont des composantes importantes de l’atmosphère d’un roman, surtout depuis le XIXème siècle. »
Ainsi commence l’article « Météo » du petit ouvrage consacré par Yves Stalloni aux 100 mots du roman. Quant à la pastorale, genre narratif dont les héros sont des bergers peints de manière idéalisée, elle a quasiment disparu, sinon comme métaphore dans le titre choisi par Philip Roth pour l’un de ses romans les plus noirs, Pastorale américaine. Il n’y était pas vraiment question de berger, mais d’idylle, si. Détruite.
Le livre s’ouvre sur la liste des 100 mots et se clôt sur deux index, celui des auteurs, celui des œuvres citées. Comme dans bien des ouvrages de ce type, une entrée en appelle une autre et l’on aime à se perdre (ou à se retrouver) dans l’entrée « Nom propre », « Tiroir », «Rustique (roman) » ou « Courtois »… On circule et il y a à voir. Peut-être manque-t-il « Contrainte » ? Le mot « Composition » répond pour partie à la question de ces règles qui président à l’écriture du roman.
Cent points de vue
Mais au fait, si l’on commençait par le début ? Le mot « Roman ». Impossible de le traiter en une page. Mais le format l’exige et il faut faire rapide. Alors voici ce qu’écrit l’auteur en conclusion d’un article qui pose les repères, avec clarté et habileté :
« On le voit, le roman, victime d’un succès commercial et littéraire qui le rend aussi suspect que rayonnant, présente ce paradoxe d’être globalement reconnu comme un genre au sens fort du terme et de résister aux efforts théoriques tendant à formaliser son expression et à y discerner des constantes stables. »
L’excellent Prix Goncourt 2018, L’Ordre du jour, d’Éric Vuillard, contrevient par exemple à ce qu’écrit Yves Stalloni plus haut : certes écrit en prose, il n’évoque pas un lieu de fiction (puisqu’il n’y a pas de fiction) imitation de la réalité, création de personnages, recours à la description. Et en même temps… Raconter les coulisses n’est-ce pas imaginer ? Les figures historiques évoquées ne sont-elles pas des spectres qui nous hantent, des histrions pitoyables qu’on trouverait dans des pages de Victor Hugo ou Dumas ? Et l’art de la description n’est-il pas présent chez Vuillard ? Bref, le roman est un genre qui absorbe ou s’approprie ce qui lui semble bon, utile, vivant surtout, pour en faire son miel. Et, comme chez Patrick Deville, Olivier Rolin ou Pierre Michon, il transforme les personnages célèbres en personnages tout court, sans avoir même besoin de leur imaginer des dialogues.
Dans la fabrique du roman
Les 100 mots du roman donne les informations essentielles à un public divers. Les étudiants au premier chef. Ces courts articles permettent de faire le point des connaissances, de savoir où l’on en est, et surtout de trier. Yves Stalloni, qui a enseigné en classes préparatoires sait que le temps est précieux et que les notions trop techniques, voire technicistes, n’apportent pas grand chose. En revanche, on ne peut ignorer l’analepse (sauf à se priver du flash-back si présent dans les films hollywoodiens, par exemple), ni de la focalisation, sans quoi on ne peut même écrire une nouvelle.
Le petit ouvrage est également précieux pour les professeurs de Lettres qui ne se perdront pas dans les manuels scolaires, souvent très pauvres, partiels, lacunaires. Chaque article est dense et toujours aisé à lire, facile à reprendre pour éclairer une notion en classe. Ainsi de celui sur le « Nom d’auteur » – anonymat ? Pseudonymat ? Onymat ? Ce dernier terme inventé par Gérard Genette n’est pas évident, note l’auteur pas anonyme, mais on en a besoin pour identifier celles et ceux qui choisissent d’écrire sous leur propre nom, contrairement à Louis-Ferdinand Céline, Émile Ajar, ou Pauline Réage. Aussitôt après vient l’article « Nom propre », qui donnerait envie de passer un moment à inventer des identités à des personnages.
Mais on lira aussi l’article « Passé simple », pour ne plus se cantonner à des banalités opposant ce temps à l’imparfait dans un récit (même si ces banalités s’imposent en collège). Lisons plutôt :
« Le passé simple parvient ainsi à fournir une vision euphorique du monde, à mettre de la cohérence dans un univers en désordre, à dissiper les énigmes et, partant, les angoisses du lecteur. »
Naissance d’un mythe
Et nous vient en mémoire cet « Incipit » (terme défini page 53), qui illustre le propos d’Yves Stalloni quant à l’euphorie :
« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur.
Les miracles de bravoure et de génie dont l’Italie fut témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi ; huit jours encore avant l’arrivée des Français, les Milanais ne voyaient en eux qu’un ramassis de brigands, habitués à fuir toujours devant les troupes de Sa Majesté Impériale et Royale : c’était du moins ce que leur répétait trois fois la semaine un petit journal grand comme la main, imprimé sur du papier sale. »
Le roman de Stendhal ne fut pas un « Best-seller » (p.18) ; ce n’était pas un « Roman à thèse » (p. 7) mais il créait un « Mythe » ( p. 66) et son « Héros » (p. 48) était heureux en prison parce qu’il pouvait voir, sur une terrasse avec des orangers, celle qu’il aimait. Et ce n’est pas un « Détail » (p. 29). La « Fin » (p. 46) dans le secret et le silence, peut se lire par tous les temps y compris les jours de neige …
Norbert Czarny
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• Yves Stalloni, « Les 100 mots du roman », « Que sais-je ? », PUF, 2017, 128 p.