"Les 100 mots de Venise", d'Olympia Alberti

"Les 100 mots de Venise", d'Olympia AlbertiVenise fascine. Venise fait rêver. Venise parle à l’imagination et entretient sa légende. Même déclinante, même menacée (plus encore par les hordes de touristes que par les assauts de la lagune), même célébrée des milliers de fois par des plumes inspirées, des palettes illustres, des caméras talentueuses, elle ne cesse de déployer ses séductions de « vieille duchesse » (une des plus belles entrées de ce délicieux petit livre).
À quoi tient cet émerveillement persistant ? « C’est le charme, qui ne vieillit pas, nous explique l’auteur, c’est la situation lacustre, c’est le vent léger de la mer, le raffinement des dentelles de pierre […], c’est le droit de rêver, de s’y perdre, de poursuivre un imaginaire créateur qui ne cesse de la reconstruire, de l’inventer… » (p. 121). Bien dit.

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Plan de Venise, 1565

Si vous souhaitez, le temps d’une courte lecture, prolonger la déambulation éblouie dans les sestiere (les six divisions de la ville), vous perdre dans les calle, les corti ou sur les campi, franchir les ponts (on en aurait compté 354), puis naviguer vers les îles, suivez l’abécédaire dense et joyeux que propose Olympia Alberti, amoureuse inconditionnelle de la Sérénissime, et qui, en 100 mots et un peu plus de 120 pages, nous donne quelques clés pour « accueillir l’inexprimable qui y règne encore », et aussi « pour se nourrir du miracle, et tenter d’absorber davantage de beauté, d’épuiser l’inépuisable du désir, du poème qui le comble » (p. 126).
Nous disposions déjà du très copieux et très personnel Dictionnaire amoureux de Venise de Philippe Sollers ; le modeste « Que sais-je ? » d’Olympia Alberti, moins ambitieux mais plus rigoureux et finalement plus complet, fournira un excellent complément.
L’auteur, romancière, poète et essayiste, parvient à concilier l’information documentaire (par les rappels historiques avec, par exemple, les articles Doges, Choléra, Peste, Porte de l’Orient…), la description touristique (entrées Fenice, Florian, Salute, Zattere…), les précisions techniques (Arsenal, Carnaval, Gondole, Lagune…), les hommages aux Vénitiens de renom (les divers peintres, Marco Polo, Bellini, Casanova, Vivaldi…) et le rappel de quelques goûts et usages relevant de l’art de vivre local : le ciocolatta, les frittate (petits beignets), le moscatello (petit vin blanc doux), les cicchetti (amuse-bouche), les ciacole (bavardages), le bacaro (petit bar pour prendre un café), le bora (vent froid du nord-est), le coligo (brouillard léger), etc.
 

Francesco Guardi, "L’Église San Giorgio Maggiore vue de la Giudecca", 1775-1780 © Coll. Frits Lugt
Francesco Guardi, « L’Église San Giorgio Maggiore vue de la Giudecca », 1775-1780 © Coll. Frits Lugt

 
La légèreté empathique qui traverse l’ouvrage ne parvient pas à dissiper l’insondable nostalgie qui se dégage de la prestigieuse cité des doges, tonalité rendue à l’entrée Mort où, à côté de l’inévitable mention de Thomas Mann et Visconti, de Wagner et Diaghilev, de Proust et Turner, du détour par le cimetière de San Michele, du jugement crépusculaire de Rilke, on peut trouver ces lignes mesurées et optimistes :
« À Venise tout semble murmurer que le temps polit toute chose, et l’use jusqu’à la transparence, que l’évanescence est le maître-mot, que la mort y est plus légère, moins effrayante…» (p. 82)
Si, comme le dit l’auteur, le charme, à Venise, se conjugue à la déliquescence, il apparaît, à lire son livre, que le premier sentiment continue à l’emporter sur le second.

Yves Stalloni

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• Olympia Alberti, « Les 100 mots de Venise », PUF, « Que sais-je ? », 2016, 126 p.

Yves Stalloni
Yves Stalloni

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