Violences scolaires et éducation
Les incivilités et les violences de toutes sortes, qui sont l’ordinaire et parfois l’extraordinaire de la vie scolaire, ne connaissent que deux types de réponses : un traitement pénal, un traitement moral.
Rappeler les sanctions encourues, brandir la menace de poursuites judiciaires, se protéger derrière les assurances et les cellules juridiques, c’est la première réaction que l’on voit adoptée un peu partout dans l’urgence d’une situation de crise.
Rétablir l’apprentissage de la morale, des valeurs civiques, des règles du vivre ensemble est le second réflexe qui rassemble tous ceux qui ne veulent pas baisser les bras et rappellent à tue-tête les grands principes de la République.
Ces deux attitudes, renforcées au fil des ans par des textes et des programmes, sont loin pourtant d’avoir produit le moindre recul des conduites violentes.
.
Une société qui ne tolère aucune opposition aux désirs
Celles-ci, dans leur origine ou dans leurs manifestations, ne témoignent pas systématiquement d’une absence d’éducation dont les causes seraient sociales ou morales, elles sont aussi la traduction d’impulsions non dominées, de fureurs ou de contrariétés non contrôlées, de réactions spontanées et épidermiques, de mouvements tous irréfléchis et de l’ordre de ce que dit très bien l’expression « péter les plombs ».
Les jeunes, à l’image des adultes et de la société entière, ne tolèrent aucune opposition à leurs désirs, aucune remise en question de leurs goûts, aucune objection à leur volonté, aucun retard à la réalisation de leurs envies. Un clic, la pression d’un pouce et tout s’exécute instantanément, l’obéissance de la technologie est absolue lorsqu’il s’agit de servir nos plaisirs. Comme les rapports avec les hommes ne sont pas ceux avec la machine, les relations interpersonnelles, dans la société comme à l’école, sont loin d’être aussi heureuses.
Observer les conduites ce n’est pas uniquement se focaliser sur le recul ou le retour de la morale, c’est observer dans l’évolution des mœurs ce qui relève de la socio-psychologie : l’accroissement des exigences, des intolérances, des réactions émotionnelles, des sentiments de souffrance ou d’agression. C’est aussi sur ce matériau psychologique que l’éducation doit porter ses efforts.
.
Changer les conduites ne peut venir uniquement de l’extérieur
Les écoles de management apprennent aux futurs cadres à gérer leur potentiel humain : pourquoi l’enseignement ne s’intéresserait-il pas au développement humain des élèves ? Si les relations interpersonnelles sont enseignées en entreprise, pourquoi ne le seraient-elles pas à l’école ? Pourquoi cette formation deviendrait-elle indispensable aux adultes et resterait-elle inutile aux plus jeunes ? Du reste, s’il y a du temps pour l’instruction civique ou la morale laïque, pourquoi n’y en aurait-il pas pour l’instruction émotionnelle ? Quel risque court-on, pour s’opposer aux conduites violentes, à essayer des moyens originaux là où les méthodes classiques ont montré leurs limites ?
Changer les conduites ne peut venir de l’extérieur, de discours, de sermons, de sanctions. La parole n’est pas magique. Écouter un cours d’instruction civique changera moins en profondeur que faire vivre des situations, faire éprouver des états affectifs, des prises conscience émotionnelle par des jeux, des simulations, des travaux de groupes, des études de cas (comme dans les ateliers théâtre, dont nul ne conteste les bienfaits humains)… Ces exercices se pratiquent déjà à l’étranger, une littérature est disponible et abondante pour les curieux et les intéressés, plus théorique avec Goleman, plus pratique avec Michel Claeys-Bouuaert… Mais où sont les chercheurs français ?
.
Une formation à l’éducation émotionnelle est indispensable
dans les futures Écoles supérieures du professorat et de l’éducation
Car ce travail sur le corps, sur le mental, sur l’émotionnel, à qui le confier ? Qui est prêt à l’assurer en classe ? Quelle discipline a vocation à annexer ces territoires psychologiques ? Il serait vain de discuter si c’est au professeur de français, d’éducation physique, d’histoire ou d’arts plastiques qu’il revient de conduire cet apprentissage psycho-social. Cet enseignement transversal ne peut voir le jour que si en amont les nouveaux professeurs ont été formés à ce type d’éducation. Les formateurs potentiels sont là, psychothérapeutes, psychologues, coachs, comédiens, éducateurs… Les prochaines Écoles supérieures du professorat et de l’éducation devraient bien inscrire à leur programme ce type de formation à l’éducation émotionnelle, faute de quoi l’école continuera à tourner en rond autour de ses valeurs et de ses règlements, de ses textes solennels et de ses appels sans écho.
Élèves et professeurs, sensibilisés aux pratiques comportementales, peut-être sauront-ils avec le temps désamorcer les situations de conflits, détourner les mouvements de tension, étouffer les explosions de haine, et faire reculer la violence à l’école comme à l’extérieur.
Pascal Caglar
• Daniel Goleman : « L’Intelligence émotionnelle », J’ai lu, 2003 ; Michel Claeys-Bouuaert : « Éducation émotionnelle : guide de l’animateur » ; « Pratique de l’éducation émotionnelle », Le Souffle d’or, 2008.
• Se reporter à l’article de Pascal Caglar : Pour une École supérieure du professorat et de l’éducation.
Lutter contre les violences à l’école par le rétablissement de la morale et une « éducation » psycho-sociale est à mon sens indispensable dans l’école d’aujourd’hui mais encore faudrait-il que les professeurs soient formés et sensibilisés à ce domaine. L’école est devenue une machine à transmettre (plus ou moins bien) du savoir mais a perdu son rôle éducatif par manque de temps, manque de moyen et surtout manque de motivation. Le recrutement à Bac+4 sans formation spécifique ne fait que renforcer cet état de fait. Revenons à une école humaine où les enseignants, formés en conséquence, s’occupent aussi du bien-être de leurs élèves et peut-être que les violences s’apaiseront.