« Still the Water », de Naomi Kawase & l'exposition Hokusai au Grand Palais
Pour échapper à l’atmosphère délétère du moment, il faut aller voir l’exposition Hokusai au Grand Palais, puis le film de Naomi Kawase, Still the Water.
Katsushika Hokusai (1760-1849) est sans doute aujourd’hui l’artiste japonais le plus célèbre et le plus exposé dans le monde. Après la belle mais petite exposition au Centre culturel du Marais en 1980 (Le Fou de peinture. Hokusai et son temps), le Grand Palais lui consacre une rétrospective d’une ampleur toute particulière.
De Félix Bracquemond, premier artiste européen à copier des œuvres japonaises, qui reproduit sur un service de porcelaine les figures animales d’Hokusai, à Émile Gallé, en passant par Edmond de Goncourt et Pierre Loti (Madame Chrysanthème, 1887), les artistes et écrivains français ont joué un rôle déterminant dans la redécouverte de son art à la fin du XIXe siècle.
Leur intérêt pour cet artiste alors peu considéré dans son Japon natal a contribué fortement à la diffusion du japonisme dans les arts européens qui ont puisé des motifs dans les quinze volumes de Hokusai Manga pour tant de dessins, d’estampes et d’objets d’art. Les Impressionnistes, les Nabis (Vuillard, Bonnard …), l’Art nouveau recourent aux formats, aux motifs et aux paysages de ce recueil.
Nos élèves, si intéressés par les mangas, ne savent sans doute pas que cette anthologie de croquis conçus comme des manuels à l’usage des jeunes artistes constitue une sorte d’encyclopédie du vivant et de la vie quotidienne du Japon à la fin du XVIIIe siècle. Elle fait l’objet d’une présentation exceptionnelle à l’occasion du bicentenaire de la publication du premier de ses quinze volumes.
L’exposition du Grand Palais
L’exposition met en lumière la vie et l’œuvre de cet artiste prolifique qui n’a cessé de chercher et d’innover tout au long de sa longue carrière. Peintre, dessinateur, graveur, Hokusai, observateur hors pair de la nature, chroniqueur de la vie quotidienne et peintre de la spiritualité japonaise, né à Edo, l’ancienne Tokyo, produit des milliers d’œuvres dont la qualité n’a d’égale que la diversité : portraits de courtisanes ou d’acteurs de kabuki, scènes de la vie quotidienne, cartes de vœux raffinées, illustrations de récits et de mythes populaires…
C’est néanmoins avec la publication de ses grandes séries de paysages qu’il marque le plus profondément l’art de l’estampe en réalisant une synthèse originale entre les principes traditionnels de l’art japonais et l’assimilation des influences occidentales comme la perspective et l’usage massif du bleu de Prusse, pour composer des paysages d’une beauté saisissante.
Plus de cinq cents pièces exceptionnelles illustrent les six périodes de la vie de Hokusai – estampes, livres, peintures pour partie inédites et précieux dessins préparatoires.
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Naomi Kawase, disciple de Hokusai au cinéma
Still the water semble un hommage à la série des Trente-six vues du Mont Fuji et en particulier à la Grande Vague de Hokusai, à la fois fantastique et métaphysique, par les splendides images de mer démontée qui ouvrent le film. Nous sommes à Amami, une île paradisiaque au milieu du Pacifique, loin de Tokyo et de la civilisation urbaine.
C’est là que Naomi Kawase situe l’intrigue de son septième long-métrage, hymne à la beauté de la nature comme Suzaku, sa première longue fiction, qui avait obtenu en 1997 la Caméra d’or au Festival de Cannes, et La Forêt de Mogari, qui a remporté le Grand prix en 2007. Un cadavre découvert après une tempête sur une rive trouble l’harmonie de cette île. Libres comme Paul et Virginie, Kaito et Kyoko, deux adolescents, cherchent à en percer le mystère et apprennent à s’aimer au milieu des joies et des deuils qui jalonnent leur vie.
Il vit seul avec sa mère divorcée dont il ne supporte pas les aventures. Elle est l’enfant unique d’un couple parfait, mais sa mère, ancienne chamane, est mourante. L’un est incapable d’aimer par rancune aveugle, l’autre aime comme elle a appris à être aimée et respectée. Sur le vélo du garçon, ils sillonnent l’île sans se rendre compte qu’ils forment déjà un couple.
La nature, meilleur livre de vie
Des plans pleins de douceur initient le spectateur à la beauté naturelle : la danse des roseaux sous la brise, les rayons du soleil dans les banyans et l’immensité de la mer calme ou agitée constituent une permanente leçon de sérénité. La nature est, comme toujours chez Naomi Kawase, le meilleur livre de vie. Son cinéma est à la fois cosmique et mystique.
Le drame de la perte est dans l’ordre des choses, comme le montre le plan-séquence admirable sur l’agonie de la mère de Kyoko : elle lui explique que la mort n’est pas une fin, puisque chaque mère revit en ses enfants, et que Kyoko elle-même se retrouvera dans les siens. Le deuil est ouverture au monde ; la vie est une succession de cycles. Même si les parents du garçon semblent plus modernes, plus libérés, mères et pères jouent ici pleinement leur rôle d’éducateurs par la transmission des valeurs ancestrales.
Dans cette nature pleine de souvenirs où elle a passé son enfance, la jeune fille peut donc aimer librement et enseigner à Kaito le bonheur. De superbes images sous-marines des deux corps adolescents expriment cette découverte d’un amour apaisé, immense et fluide comme la mer elle-même.
Porteuse d’un message moins ésotérique que dans ses derniers films, la mise en scène de Naomi Kawase, par sa grâce infinie, nous remplit d’un espoir dont la nature est le meilleur vecteur. Une nature animée qui permet à certains êtres comme les chamans de communiquer avec un autre monde pour trouver la sérénité, une nature en symbiose avec tous les humains dans laquelle la cinéaste se livre ici, comme dans toute son œuvre, à une bouleversante quête spirituelle.
Anne-Marie Baron
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• Exposition Hokusai au Grand palais, à Paris, du 1er octobre 2014 au 18 janvier 2015 (relâche entre le 21 et le 30 novembre 2014).
• Sur l’histoire des mangas, voir sur le site de « l’École des lettres » : «Giacomo Foscari », de Mari Yamazaki, un manga historique entre Japon et Occident, par Marie-Hélène Giannoni.
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