"En France", de Florence Aubenas
Avec pas mal d’humour – élégance du désespoir –, Florence Aubenas, dans son avant-propos suggère que son métier de journaliste-reporter ne consiste pas à « faire les chiens écrasés » mais à traquer les « humains écrasés ».
Elle nous en avait donné un aperçu en 2010 avec Le Quai de Ouistreham, récit d’une plongée dans le quotidien des travailleurs sans qualification.
Avec En France, elle prolonge l’expérience en proposant une série de courts textes centrés sur les laissés pour compte de la réussite, les obscurs représentants de la « France d’en bas » dont les portraits « finissent par dessiner, en pointillé, un territoire, ou plutôt un pays ».
Ce pays, le sien, le nôtre, est censé être connu alors que « c’est dans ce paysage familier que commence le mystère ».
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Des chroniques qui explorent le « mystère » d’un pays
C’est à dissiper ce mystère que s’attachent ces chroniques présentées sous forme de témoignages bruts, le plus souvent dépourvus de commentaires, et regroupées en trois rubriques de dimension inégale.
« En campagne », d’abord, contient des textes qui relèvent d’une observation politique, puisqu’ils s’efforcent d’éclairer les raisons qui ont poussé, lors des dernières municipales, des citoyens ordinaires à voter pour le Front national.
« Au camping », la deuxième partie, se présente sous la forme d’un feuilleton continu autour du site mythique de Piémanson, en Camargue, dix kilomètres de côte perçus par les accros du lieu comme « le dernier espace de liberté et de gratuité ».
Enfin « Une jeunesse française », sorte d’antiphrase pour parler d’adolescents marginalisés en raison de leur origine, de leur couleur, de leur statut ou de leur comportement.
Lieux, personnages et sujets de l’enquête
Les lieux choisis pour mener l’enquête sont liés à ces regroupements : Saint-Gilles et Hénin-Beaumont où, aux élections municipales, le parti de Marine Le Pen est arrivé en tête. Mais aussi d’autres villes ou villages, moins médiatisés, mais atteints par le découragement ou la désillusion car ils se voient vidés de leurs commerces, privés de représentants, acculés à la faillite.
Les personnages qui apparaissent n’ont rien d’héroïque ou de remarquable. Ils s’appellent Cassandra, Foutamata, Denis ou Goliath (un surnom) et tentent de survivre, de trouver leur place dans un monde déboussolé qui s’obstine à les exclure.
Les sujets de débat ou d’intérêt renvoient à une actualité récente, souvent polémique : le mariage pour tous (et son symétrique, la manif pour tous) ; la théorie du genre ; les nouveaux rythmes solaires ; les grossesses précoces en Thiérache ; les « beurettes » à Sciences Po ; les syndicalistes tagueurs poursuivis par la justice ; les Roumains squatteurs ; les enfants guetteurs dans les cités…
Un tableau criant de vérité, porteur d’un message politique
Cette image d’une France oubliée, méprisée, réduite à de pitoyables expédients, a quelque chose de pathétique et de bouleversant. Elle n’est certes pas le reflet général de notre pays où l’on rencontre encore des familles heureuses et équilibrées, dans lesquelles chacun a un emploi et arrive à vivre dans des lieux plus souriants.
On pourrait alors reprocher au livre de privilégier des situations d’échec ou de malheur, d’alimenter un climat de pessimisme, un discours du déclin. Le tableau pourtant, criant de vérité, est utile, car il est porteur d’un message politique adressé à nos dirigeants, à nos élus, à nos cadres : celui de la nécessité, de l’urgence même, si l’on souhaite prévenir les dérives extrémistes, d’écouter la souffrance des plus modestes et de s’appliquer à reconstituer le tissu social.
Yves Stalloni
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• Florence Aubenas, « En France », Éditions de l’Olivier, 2014, 238 p.