« Les Cahiers dessinés » : l’art du dessin à la Halle Saint-Pierre
De Victor Hugo à Siné, de Pierre Alechinsky à Tomi Ungerer, le dessin s’expose à la Halle Saint-Pierre qui ouvre ses portes aux Cahiers dessinés. À travers cette revue qu’il dirige après treize ans d’existence le dessinateur Frédéric Pajak ne cesse d’explorer les mille facettes d’un langage qui surprend toujours.
« Avant de faire de la gymnastique ou de la musique on dessine. On sait dessiner quand on est enfant. Tous les enfants dessinent. Même celui qui croit qu’il est maladroit ne l’est pas tant que ça, il dit quelque chose. C’est un moyen d’expression, un langage incroyable. Après, quand on devient dessinateur, on se rend compte de la profondeur de ce langage. Je suis dessinateur, je sais ce que c’est, c’est un monde qui s’ouvre sous moi, j’ai une autre sensibilité sur le dessin, je vois comment ils ont dessiné et je me dis “Comment ont-ils pu dessiner ça ?” Souvent je suis ébahi. Il y a beaucoup de dessins devant lesquels je reste sans voix. »
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Un langage à part entière
Écrivain et dessinateur, Frédéric Pajak est l’auteur d’une vingtaine de livres (dont le troisième tome du Manifeste incertain, prix Médicis essai 2014). Il a fondé Les Cahiers dessinés en 2002. Avec une centaine d’ouvrages publiés à ce jour, cette entreprise éditoriale unique est consacrée au dessin sous toutes ses formes. C’est aussi une revue qui fait aujourd’hui l’objet d’une très belle exposition dont Frédéric Pajak est l’un des deux commissaires avec Martine Lusardy, la directrice de la Halle Saint-Pierre.
Cette manifestation est une plongée dans l’univers foisonnant et illimité du dessin, ce langage à part entière qui gagne de plus en plus les faveurs du public. Environ 500 œuvres y sont présentées. Réalisées par 67 artistes des XIXe et XXe siècles, elles reflètent treize années de publication des Cahiers dessinés.
L’exposition est subdivisée en trois grandes catégories. Avec « Les artistes du dessin » qui regroupent entre autres des dessins de Fred Deux, Olivier O. Olivier, Stéphane Mandelbaum, etc., et « Le dessin d’humour et de presse » (Willem, Vuillemin, Siné, Gébé, Reiser, Muzo, etc.) la troisième partie de cette exposition, « Le langage de la rupture », est spécifiquement consacrée aux artistes de l’Art brut. Ils sont chez eux à la Halle Saint-Pierre puisque cette institution unique à Paris et entièrement dédiée à ce domaine artistique.
Mais on peut faire fi de ces thématiques. D’autres affleurent. On peut par exemple s’amuser à rêver à la Suisse – patrie d’origine de Frédéric Pajak – en compagnie des nombreux artistes helvètes exposés, comme Anna Sommer, Noyau, Gaston Teuscher ou Louis Soutter (à qui la maison Victor Hugo consacre bientôt une grande rétrospective), etc. On peut aussi s’amuser à repérer les écrivains qui dessinent et les dessinateurs qui écrivent. C’est d’ailleurs avec Victor Hugo, formidable et inventif dessinateur, que le visiteur commence sa visite.
Montrer des artistes qu’on ne connaît pas
Tous ces découpages thématiques sont de pure forme car ici aucun parcours n’est imposé au visiteur. Il peut aller à l’instinct, de découvertes en découvertes, suivant un fil invisible, voguant au gré de correspondances esthétiques ou de filiations. Otto Wols dialogue ainsi avec Saul Steinberg, Roland Topor avec Bruno Schulz. Alechinsky est proche de son ami Dotremont et non loin de Michel Macréau.
Certains rapprochements créent des effets de surprise, le but étant clairement de déstabiliser le visiteur en le déshabillant de ses a priori, passant d’une « star » du dessin à un parfait inconnu : « Il a toujours été dans la vocation des « Cahiers dessinés » de montrer des artistes qu’on ne connaît pas. Peut-être qu’Alechinsky et Sempé feront faire venir les gens, mais ce qui est intéressant ici c’est de se demander ce qu’a voulu exprimer tel ou tel dessin. C’est après qu’on s’intéressera peut-être au nom de l’artiste. »
Parmi ces nombreux inconnus, le cas le plus étrange est celui de Marcel Bascoulard, un autodidacte qui a vécu misérablement à Bourges et dont le trait étonnamment précis est aussi fort inquiétant.
Mais l’inattendu, dans cette exposition, revêt d’autres formes encore. Certains artistes, comme Tetsu, célèbre dessinateur humoristique, peuvent en cacher d’autres. Pajak a décidé de montrer une série de ses lavis jamais exposés jusqu’à présent : « Il les a fait à 90 ans. Je suis une des seules personnes à les avoir vus de son vivant. Dans ces lavis Ensor est présent. Quand je les ai publiés tout le monde disait “Ah ? il faisait de la peinture ?” Oui, il a fait quatre ans avec Maurice Denis.»
On pense également aux autoportraits de Tal-Coat, jamais exposés, et qui forment également une unité, tout comme cette série de mouches dessinées par Martial Leiter, les magnifiques pastel d’Anna Gourouben ou encore les autoportraits de Patrick Van Ginneken exposés également pour la première fois.
« Le dessin résiste, écrit Frédéric Pajak dans le catalogue de l’exposition. Il n’est jamais là où on l’attend. Il se nourrit de tout son passé, au plus loin qu’il peut, sur les parois de la caverne de la nuit des temps, sur le graffiti du mur de chiotte à Pompéi, dans la marge de la Bible recopiée. Il refait le muscle charbonneux du traité d’anatomie, recommence le miroitement des grands arbres pleurant sur le bord du fleuve. Mais attention ! il ne recopie pas. Il se souvient, c’est tout, et restitue de ce souvenir une chair encore chaude et palpitante. Il reprend de la vie là où elle vit : à son origine. »
Olivier Bailly
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• « Les Cahiers dessinés », Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 75018 Paris, jusqu’au 14 août 2015.
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