"Liberté, égalité, Mathilde", de Sophie Chérer ou l'éducation à la citoyenneté
« À toutes les maîtresses qui sont belles comme la Justice guidant le peuple à travers les ténèbres…et aux enfants qui, chaque année viennent à l’Assemblée nationale pour y prendre une leçon de démocratie, et repartent en l’ayant donnée aux adultes. »
En pleine période électorale, les esprits des candidats comme des électeurs s’échauffent et la vitesse d’information qui caractérise les médias et plus encore les réseaux sociaux, ne laisse pas toujours de place à la réflexion. L’événementiel, le sensationnel et les scandales politiques l’emportent sur les débats de fond, l’économie et la politique elle-même. L’image que reflètent les hommes politiques en est sans cesse altérée.
Sophie Chérer, dans Liberté, égalité…Mathilde (illustré par Véronique Deiss) évoque une situation de classe que de nombreux enseignants pourraient vivre. Son récit plaît aux enfants car ils se reconnaissent dans les protagonistes de l’histoire.
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« Liberté, égalité, Mathilde », de Sophie Chérer
Un jour, la maîtresse propose à sa classe de vivre une aventure extraordinaire. Il s’agit de participer au « Parlement des enfants » où un élève de CM2 remplacera un député de sa circonscription pour aller défendre une loi à l’Assemblée nationale à Paris. L’histoire racontée par Sophie Chérer montre combien les enfants au départ sont incrédules et pointent les dysfonctionnements de la politique en parlant au nom de leurs parents.
Mathilde ira proposer une loi sur la culture gratuite pour les enfants et un événement l’amènera à demander le vote d’une autre loi que la sienne car elle considérera qu’il y a des degrés d’importance et qu’il faut agir au mieux pour les autres et non par pour satisfaire ses désirs personnels, même s’ils sont destinés à améliorer la vie de chacun.
Le message est clair : cette enfant montre la voix de la raison où « on s’en fiche d’être les premiers, où il faut être uniques et travailler main dans la main. Et où on ne souhaite rien gagner, que le droit d’habiter un pays où il fasse bon vivre ». D’où, l’importance de l’éducation morale et civique à l’école et plus encore en période électorale…
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Comment faire connaître le fonctionnement des institutions
Lorsqu’ils arrivent en cycle 3, les élèves méconnaissent bien souvent les institutions politiques et leur fonctionnement, mais ils sont très au fait des anecdotes montées en épingle dans les médias ainsi que des rumeurs colportées par Internet.
L’enseignement moral et civique permet de réfléchir au sens de l’engagement et de mieux comprendre le fonctionnement des institutions dans la vie collective. Le montage de projets simples concernant directement les enfants s’avère être un bon moyen de les intéresser à l’importance du travail collectif et de tordre le cou à bien des idées reçues.
Par exemple, la mise en œuvre de véritables élections de délégués de classe avec une « campagne électorale » est facilement réalisable et permet d’enrichir de nombreux champs lexicaux autour des droits et des devoirs des citoyens en puissance que sont les élèves.
Avec la découverte d’un vocabulaire bien défini, ils découvrent l’importance de ce qui doit être proposé à son futur électorat et qu’une loi , ce n’est pas quelque chose qui sert à réaliser ses rêves comme par un coup de baguette magique ! C’est une règle qui s’applique à tous et qui permet d’organiser la vie en société pour le bien commun.
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Les enfants ont une conscience politique
Bien que L’ÉMC soit au programme, les séquences consacrées à la citoyenneté et aux institutions sont le plus souvent survolées alors que ces notions sont fondamentales dans la construction de l’esprit critique des futurs citoyens. Les enfants sont capables de comprendre dès leur plus jeune âge qu’il existe des règles qu’ils doivent accepter. Ils sont rapidement amenés à comprendre l’intérêt d’abandonner une partie de leur liberté pour construire un avenir commun dans leur classe, dans leur école, et a fortiori dans la commune, le département, la région, le pays et au-delà…
Comment devenir un véritable citoyen si on ignore ce qui définit la démocratie, les lois et les institutions ? Après avoir doté chacun d’un vocabulaire précis concernant l’action à mener, il est aisé de mettre en place des scènes afin de comprendre de façon ludique ce qui semble de prime abord rébarbatif.
Pour expliquer le rôle du Parlement lors d’une séance d’éducation civique, des lois fictives peuvent être créées, dans lesquelles chaque enfant aura un rôle à jouer.
Par exemple, le schéma suivant peut permettre de bien comprendre la vie d’une loi et les mécanismes qui la régissent : une loi est proposée, les députés et les sénateurs débattent et votent pour ou contre. Si la loi est votée, elle est promulguée par le chef de l’État et publiée au Journal officiel. Le gouvernement la fait appliquer et les juges veillent à ce qu’elle soit respectée en sanctionnent ceux qui y contreviennent.
Si des élèves ont la chance comme Mathilde de participer au Parlement des enfants, ils siègeront à l’Assemblée nationale à la place du député de leur circonscription, pour débattre et voter.
À ce jour, quatre domaines ont été retenus :
• Maintien des liens entre frères et sœurs en cas de séparation des familles.
• Permission à un enfant orphelin de participer au conseil de famille.
• Interdiction de l’achat par les écoles et les collectivités locales de fournitures
fabriquées par des enfants dans des pays qui ne respectent pas leurs droits.
• Renforcement du rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de
mauvais traitements aux enfants.
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Les enfants ont une conscience économique
Les enfants ont une conscience économique remarquable qui étonnerait bien des observateurs.
Lors d’une leçon relative aux impacts de l’industrialisation au XIXe siècle, des élèves de CM2 ont eu à analyser un texte de Jules Simon qui expliquait qu’avec l’arrivée des progrès techniques, un entrepreneur n’aurait plus besoin d’employer 12 ouvriers mais seulement 4 et qu’avec le prix des machines et leur entretien, ses charges seraient divisées par deux.
Beaucoup d’élèves ont compris dès lors la définition du capitalisme et si certains ont été offusqués du sort réservé aux ouvriers qui n’auraient plus d’emploi, d’autres se sont réjoui pour le patron qui faisait « de sacrées économies » ! Le débat qui a suivi l’explication du texte a montré que les enfants avaient bien intégré cette notion. Elle les éclairait sur la situation contemporaine.
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Les enfants ont une conscience historique
Si les schémas concernant les institutions politiques proposés dans les manuels scolaires sont de qualité, il est important de les éclairer en établissant des liens interdisciplinaires avec l’histoire de France et du monde actuel et en soulignant l’importance du vote et de la démocratie. Peu de documents, hélas, sont à la disposition des enseignants sur ce sujet, à part les séances concernant la Révolution française.
Par ailleurs, très peu d’informations destinées au cycle 3 sont consacrées à des sujets aussi importants que, par exemple, la manipulation politique ayant mené Hitler au pouvoir, l’histoire du vote des femmes, ou l’existence des dictatures actuelles.
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Comprendre l’importance des élections législatives
Pendant des semaines, les médias se sont focalisés sur l’élection présidentielles et ont entretenu un certain climat d’insécurité. Or, pour diriger un pays, il faut aussi un Parlement et un Sénat, nécessaires à l’équilibre des pouvoirs.
Alors que les élections législatives pour le renouvellement des députés sont en cours, il est aussi important de rappeler aux enfants qui parviendront très vite à l’âge d’être citoyens, combien ces élections moins spectaculaires car moins personnalisées, sont tout aussi importantes dans la vie politique d’un pays démocratique.
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Quelques pistes pédagogiques
Lire Liberté égalité…Mathilde, de Sopjhie Chérer, permettra à chaque enseignant de travailler l’éducation morale et civique de façon interdisciplinaire en lien avec le nouveau programme mis en œuvre depuis 2016 et qui a pour but de « favoriser une aptitude à vivre ensemble dans une société démocratique. »
Un éventail d’activités peut être proposé en lien avec ce récit :
• Comprendre et travailler sur les règles de communication.
• Apprendre à maîtriser les règles de la discussion de groupe, savoir se justifier, débattre de façon argumentée.
• Travailler en arts plastiques sur les caricatures politiques (par exemple sur les caricatures de Louis-Philippe en 1831, et celles de Daumier) et en réaliser soi -même. S’intéresser à la symbolique des couleurs bleu, blanc, rouge…
• En ÉMC, connaître les valeurs et les symboles de la République française.
• Étudier en vocabulaire les champs lexicaux de la loi et du droit.
• Connaître la notion de bien commun dans la classe, l’école et la société.
• Élire démocratiquement des délégués de classe et connaître les différentes étapes du scrutin. Apprendre aux électeurs à se sentir responsables de leur vote. Les différentes élections seront évoquées et une comparaison entre celles des délégués de classe, du président de la République, les députés de l’Assemblée nationale ou du Parlement européen seront faites.
• Réaliser un éphéméride des célébrations républicaines.
• Réaliser un film avec les élèves à partir du livre…
• Suivre l’actualité avec les journaux 1jour1actu.com ou Le Petit Quotidien.
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Conclusion
Il paraît ainsi judicieux que le livre de Sophie Chérer Liberté, égalité…Mathilde soit intégré dans une programmation de cycle 3. Ce texte à la fois sérieux et plein d’humour fera prendre conscience aux enfants des enjeux et de l’importance de la politique.
Quant aux illustrations, elles s’inspirent des caricatures que l’on trouve dans différents journaux, soulignant ainsi leur caractère très actuel.
Alexandra Ibanes
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• Ce récit publié par l’école des loisirs dans la collection « Mouche » est actuellement en lice pour le prix de l’UNICEF 2017.
• « Renommer », de Sophie Chérer, illustré par Philippe Dumas : une invitation à changer la vie, par Yves Stalloni.
• Tous les romans de Sophie Chérer à l’école des loisirs.
• Le roman de jeunesse et son enseignement à l’école, au collège et au lycée : rencontre avec Sophie Chérer, Brigitte Smadja et Xavier-Laurent Petit à l’ÉSPÉ de Paris.
• Un corpus pour le CM1-CM2 : II. La morale en questions.
• Le site du Parlement des enfants.