Une séance de littérature pour comprendre le harcèlement
Dans le cadre des séances de français, un temps d’apprentissage consacré au harcèlement gagnerait à s’ancrer sur une approche raisonnée du lexique. La réflexion sur le champ sémantique du verbe harceler serait ainsi à préconiser en distinguant en amont les formes verbales actives et passives.
On pourra ainsi travailler sur les contextes d’emploi du binôme verbal (harceler / être harcelé) et du nom commun harcèlement. La démarche adoptée engagera la classe à décrypter ce champ sémantique. L’expression « harceler l’ennemi », appliquée à un contexte de guerre, sera également évoquée.
Après la mise en perspective de ce premier emploi à l’aide d’un dictionnaire, la réflexion se prolongera par la lecture de la fable de La Fontaine « Le Lion et le Moucheron » car elle figure de façon exemplaire une situation de harcèlement physique.
« Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle ;
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat; le voilà sur les dents. »
Progressivement, la séance déplacera le point de vue sur le verbe harceler du plan physique au plan moral. C’est à ce niveau que l’on devra recentrer la réflexion des élèves sur des formes de harcèlement dont ils ont pu se sentir eux-mêmes victimes. On en revient ici, naturellement, à notre propos antérieur et à la nécessité de les faire réfléchir sur le phénomène de harcèlement qu’ils ne sauraient percevoir naturellement et spontanément.
Trois conclusions s’imposeront en fin de séance. D’abord, le fait que le harcèlement reste un phénomène dont les élèves n’ont pas vraiment conscience et qu’ils peinent à appréhender et à définir. D’où la réticence à dénoncer des faits observés mais banalisés. Ensuite, que le harcèlement peut être aussi bien physique que moral et que l’un reste tout aussi pernicieux pour un individu le subissant que l’autre. Enfin, que celui qui harcèle reproduit sans le savoir un mode opératoire quotidien par rapport auquel il est incapable de se protéger.
Lutter contre le phénomène de harcèlement revient ainsi à traiter le problème comme un phénomène global en protégeant la jeunesse contre un « pishing » diablement efficace : capable à terme de désactiver tout leur bouclier critique.
Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université
Voir sur ce site :
• La lutte contre le harcèlement scolaire. Deuxième journée et cause nationale, par Antony Soron.
• La lutte contre le harcèlement à l’école, par Antony Soron.
◆ Sur La Fontaine, voir : « La Fontaine. En vers et contre tout ! », de Sylvie Dodeller,
par Stéphane Labbe, dans le numéro 2 de « l’École des lettres » 2017-2018.
La biographie que Sylvie Dodeller consacre à Jean de La Fontaine (l’école des loisirs, 2017) permettra à des élèves de cinquième d’entrer dans l’univers social du XVIIe siècle, si éloigné du nôtre. Le professeur de français veillera, par son étude, à faire écho au cours d’histoire, qui aborde la question de l’absolutisme. Ce sera l’occasion, en français, de revenir sur l’entrée, « Vivre en société, participer à la société », illustrée par la thématique intitulée « Avec autrui : familles, amis, réseaux… ».
Le parcours de La Fontaine (comme les intrigues de Molière) montre comment, au XVIIe siècle, la famille organise la vie de l’individu sans tenir compte de ses aspirations personnelles. Il témoigne aussi de l’importance des réseaux dans cette France de l’absolutisme toute dévouée à la personnalité d’un monarque sourcilleux.