La Grande Guerre à l’école primaire à travers la littérature et les arts
Depuis quelques jours ont lieu partout en France des commémorations célébrant la fin de la Grande Guerre et les médias proposent de multiples articles et reportages… Dans les écoles, chaque classe de CM2 peut mettre à profit la date du 11-Novembre pour expliquer ce qu’est l’armistice et évoquer la première guerre mondiale.
Jusqu’aux programmes de 2016, les leçons d’histoire concernant 1914-1918 dans les manuels scolaires étaient descriptives et linéaires, allant de l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie à Sarajevo à la signature de l’armistice dans un wagon de chemin de fer à Rethondes dans la forêt de Compiègne.
Les enseignants ont désormais pour rôle d’amener les enfants à mieux connaître et comprendre les événements du passé en devenant eux-mêmes de véritables investigateurs de cette période, par la découverte des traces du passé dans leur propre environnement. Cette démarche proactive nécessite une mutualisation des connaissances dont les recherches sont grandement facilitées de nos jours par l’outil numérique. Elle permet aux élèves de mener à leur niveau un passionnant travail de jeunes enquêteurs-historiens.
Un constat
Avec les années, la distance avec les deux conflits mondiaux s’accroît et les enfants réagissent différemment de leurs aînés lors des leçons d’histoire. D’une part, de nombreux jeunes garçons sont très attirés par la représentation de la violence des combats et leurs interrogations ne portent plus tant sur les stratégies militaires que sur les détails sordides de leurs conséquences (images des morts et des blessés). D’autre part, (est-ce un déni pour se protéger ?) beaucoup ne font pas de différence entre les films violents et les jeux vidéo qu’ils consomment.
La réalité de la guerre est si terrible qu’il leur paraît impensable que tout cela ait pu exister. Ils ont donc tendance à assimiler les faits historiques à de la fiction. Enfin, ils n’ont plus de témoignages directs dans leur famille et l’histoire contemporaine est remisée à une époque où se côtoient Charlemagne, Louis XIV ou Napoléon… Ils savent que cette guerre a eu lieu mais elle est pour eux d’une réalité si lointaine qu’ils se sentent peu concernés. Paradoxalement, si l’attitude des enfants a changé, ils manifestent néanmoins une curiosité certaine, provoquée en grande partie par une forte résonance médiatique qui les conduit donc à s’intéresser à cette période de notre histoire.
C’est pourquoi l’enseignant peut saisir l’opportunité de la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale. Voici quelques pistes qui peuvent permettre aux enfants d’approfondir les notions de guerre et de paix et les aider de mieux appréhender leur rôle de futurs citoyens.
Comprendre la Grande Guerre et construire la paix
• Mutualisation des connaissances
Dans un premier temps, les enfants mutualisent des connaissances à travers quatre corpus de documents concernant la guerre en général puisque les raisons qui amènent les hommes à se battre à travers les siècles n’ont jamais vraiment changé.
- Le groupe 1 travaille sur un dossier qui montre une carte du monde avec ses nombreux conflits et ils doivent en déterminer les causes à partir de documents adaptés à leur âge. Ils dégagent cinq causes essentielles qui sont : les territoires, la politique, la religion, le racisme et le partage des richesses.
- Le groupe 2, à l’aide d’un corpus de photos légendées découvre que lorsque la guerre éclate dans un pays, la vie de tous les jours est bouleversée, qu’elle fait de terribles dégâts et que malgré les reconstructions, quand elle est terminée, elle laisse de nombreuses cicatrices.
- Le groupe 3 réfléchit sur un ensemble de textes analysant les raisons pour lesquelles les humains arrivent à être si violents entre eux et d’où leur vient cette violence.
- Le groupe 4 travaille à partir du journal Un jour une actu consacrée à la construction de la paix avec : un article de presse d’actualité consacrée à la construction de la paix accompagné d’un poster pour aider à mener une enquête sur le monument aux morts de la commune ; une BD sur le thème « C’est quoi, l’armistice de 1918 ? » ; et une photographie décodée pour comprendre l’histoire du soldat inconnu…
Après un affichage des résultats des différentes recherches et deux séances concernant la Première guerre mondiale en classe (chronologie historique de la Grande Guerre et étude de documents sur la différence entre le patriotisme et le nationalisme, la propagande pour les enfants en temps de guerre, la production de véhicules de guerre des usines Renault…). In fine, on pourra proposer aux élèves de découvrir le monument aux morts de leur commune.
Enquête sur le monument aux morts de la commune
et la guerre dans la région
Le livre de Pef, Zappe la guerre (Rue du Monde), peut être une amorce intéressante avant cette visite : à l’occasion du 80e anniversaire de la Première guerre mondiale, à Rezé, 288 soldats sortent du monument aux morts pour vérifier si leur guerre a été utile et a servi à en éviter d’autres. Le début du livre explique l’importance et le rôle du monument aux morts. En enquêtant sur leur région, en produisant des reportages, les élèves apprendront, avec les enseignements de l’histoire, à comprendre le présent.
Après avoir localisé le monument aux morts (sur Google Earth ou Goggle Maps), les élèves tracent sur un plan de la ville le chemin à prendre pour se rendre à celui-ci. Munis d’un questionnaire auquel ils pourront répondre sur place, ils photographient le monument ainsi que des détails de l’édifice. Un résumé ou un article peuvent être rédigé au retour.
Dans un second temps, les enfants découvrent des photos de leur commune ou de leur quartier au temps de la grande guerre (livres, archives, exposition pour le Centenaire) pour montrer que si le front était surtout situé à l’est et au nord de la France, toutes les régions de notre pays ont été touchées directement ou indirectement.
La littérature pour comprendre la guerre :
Guillaume Apollinaire
2018 est l’année de la commémoration de la Grande Guerre mais aussi celle du centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire qui est décédé deux jours avant l’armistice de la grippe espagnole qui l’a terrassé en raison de sa faiblesse due à une blessure reçue deux ans avant, alors qu’il était au front.
Dans le DVD En sortant de l’école (éditions Tant mieux Prod) consacré au poète, quatre poèmes sont exploitables en classe pour mieux comprendre la vie dans les tranchées. Si les textes peuvent paraître de prime-abord difficiles pour de jeunes enfants, leur mise en images facilite grandement leur compréhension. Il faut bien entendu donner au préalable quelques informations sur la vie du poète. Le choix peut se porter sur les quatre poèmes autobiographiques suivants qui ont été écrits sur le front ils décrivent le quotidien de chaque soldat. À travers ces films d’animation diffusés par France Télévision Éducation sur le web, les enfants découvriront la mobilisation, la vie des poilus dans les tranchées, les combats, l’espoir qui fait vivre…
Dans Un oiseau chante, le décor est planté : il s’agit de tranchées dans un paysage désolé, dévasté. On découvre un soldat, sans doute Guillaume Apollinaire lui-même, qui regarde l’intérieur d’un médaillon où il voit un visage de femme : Madeleine Pagès. Un oiseau bleu surdimensionné le regarde. Puis le soldat repense à deux événements. Dans ces deux flashbacks, on retrouve cette jeune femme qui lit dans un train (qui fut le lieu de leur rencontre) puis plus tard leur séparation sur le quai d’un port avec un bateau qui emmène Madeleine à Oran en Algérie où elle vivait, tandis que le soldat repart à la guerre. Nous le retrouvons dans les tranchées, il est suivi sans cesse par cet oiseau qui représente la femme qu’il aime, qui représente l’amour. Durant les batailles, l’oiseau est là qui le protège et lors des terribles bombardements, il l’aide à survivre. Quand le poème s’achève, Guillaume ferme son médaillon et le décor est encore l’oiseau, symbole de l’amour.
Si ce poème est personnel, il est aussi universel : des situations similaires étaient en effet vécues chez les poilus dans les tranchées.
Dans Mutation, il y a une succession de Eh ! Oh ! Ah ! qui peuvent paraître bien mystérieux pour le lecteur. Le poème raconte l’histoire d’un soldat qui part à la guerre. Sur son chemin il rencontre une troupe de soldats qui obéissent à chaque commandement, puis celle d’un éclusier, puis la vie dans les tranchées au milieu des bombardements et enfin le retour à la maison auprès de la femme qu’il aime. Les Eh ! Oh ! Ah ! exprimés sur différents tons sont aussi tous les mots et les sentiments d’individus devenus presque muets face à la terreur et aux atrocités.
Ce film exceptionnel permet une parfaite compréhension du poème et du climat qui régnait à cette période. Ici encore, l’image est au service du texte pour en renforcer sa compréhension et sa force.
Mutation
Une femme qui pleurait
Eh ! Oh ! Ha ! (soupir de lassitude et de tristesse)
Des soldats qui passaient
Eh ! Oh ! Ha ! (cris du commandement)
Un éclusier qui pêchait
Eh ! Oh ! Ha ! (étonnement d’un moment d’accalmie)
Les tranchées qui blanchissaient
Eh ! Oh ! Ha ! (cris de frayeur)
Des obus qui pétaient
Eh ! Oh ! Ha ! (cris d’appel au secours)
Des allumettes qui ne prenaient pas
Et tout
A tant changé
En moi
Tout
Sauf mon Amour
Eh ! Oh ! Ha ! (soupir d’apaisement et de joie)
Fusée signal est descriptif. Des blessés sont amenés à l’hôpital et un soldat, dans une auto, un bandeau autour de la tête (comme la célèbre photo d’Apollinaire quand il fut trépané) découvre hébété des paysages dévastés sous les bombardements. On ignore si l’action se passe le jour ou la nuit, les décors sombres et gris étant seulement éclairés par cette fusée signal. L’infirmière vient à l’arrière pour parler au soldat blessé ; il n’entend rien et lit sur ses lèvres, ce qui donne l’un des plus beaux vers du poème : « Ta langue, le poisson rouge dans le bocal de ta voix ». En classe, on pourra parler du travail des femmes durant la guerre.
Carte postale : une femme attend à la fenêtre l’arrivée du facteur. Sur la table de sa salle à manger, il y a un immense bouquet de fleurs de toutes les couleurs. Dans l’attente de son courrier, elle plie en deux toutes les cartes postales qu’elle a déjà reçues formant ainsi des toiles de campements d’où sortent des soldats avec leurs baïonnettes. L’un d’eux a une fleur au bout du fusil, une fleur identique à celle du bouquet sur la table. On le voit qui écrit dans des paysages dévastés et soudain deux arbres reprennent vie. Toutes les cartes postales avec des photos de l’époque s’animent, des avions décollent et lacèrent d’autres cartes représentant des soldats, des habitations, des couples d’amoureux…
Il n’y a aucun texte dit, seulement une musique inquiétante avec des bruitages qui montent en puissance jusqu’à une fusillade. Un obus éclate et le bouquet de fleur s’ouvre brutalement de façon synchronisée et laisse tomber de nombreux pétales. La canonnade est représentée par la fleur qui fane avant d’avoir été. On frappe à la porte et la jeune femme reçoit une carte avec le poème Carte postale écrit et signé du nom d’Apollinaire.
Cette missive est adressée à Madeleine Pagès. Elle retourne s’asseoir à sa table, le bouquet est toujours fané mais on voit dans un cadre accroché au mur les deux arbres vivants. Elle plie la carte postale et imagine son fiancé Guillaume sous la tente en train de lui écrire à la lueur d’une bougie. Dehors, c’est la nuit, c’est un moment d’accalmie, le ciel est bleu roi et il y a plein d’étoiles.
À la suite de ce poème, une activité décrochée pourra être menée sur l’étude des fleurs pendant la guerre. On pourra évoquer en classe les réalisations que faisaient les soldats lors des périodes d’immobilisation prolongée. Ils se livraient à de véritables travaux d’orfèvrerie, de gravure ou d’ébénisterie avec des douilles ou des débris d’obus. Pour atténuer les douleurs de la guerre, les soldats cultivaient aussi de minuscules jardins souvent éphémères au plus près des tranchées et retrouvaient un monde rural qu’ils avaient quitté. Ils plantaient des pois de senteur, des tournesols, des résédas, du lin… bref, la beauté au milieu de la laideur. Des jardins développés à l’arrière des lignes se retrouvaient dans tous les pays engagés dans le conflit (cf. Plantes de poilus, la fleur au fusil, de Denis Richard, Éditions Plume de carotte).
Après avoir fait comprendre aux élèves que le conflit a été marqué par une violence massive et extrême et qu’ils auront construit des repères temporels et mieux compris le quotidien des combats tant sur le front qu’à l’arrière, des productions pourront être proposées en classe.
Faire un débat à visée philosophique :
la mémoire et l’oubli
La discussion à visée philosophique permet de développer la réflexion critique en confrontant ses jugements à ceux d’autrui dans un débat argumenté. Les enfants sont amenés à réfléchir sur la mémoire et l’oubli en prenant la parole devant autrui, en écoutant autrui et en apprenant à justifier un point de vue.
Voici quelques questions qui pourront être posées aux élèves : À quoi sert la mémoire ? Peut-on décider d’oublier ? Y a-t-il des méthodes pour se souvenir ?
L’objectif est de faire comprendre aux élèves qu’en se souvenant on arrive à mieux se connaître et mieux comprendre le monde dans lequel on vit. Les enfants seront amenés aussi à débattre sur la mémoire partagée (commémoration historique) pour comprendre que chaque pays a des événements à fêter, que chaque ville a ses monuments afin que la population partage les mêmes souvenirs et que chacun se sente relié aux autres par la même histoire dans une perspective de vivre ensemble et de consolider la paix.
À la fin de la séance les enfants pourront confectionner des colombes en origami et attacher à chacune d’elle une phrase ou un petit texte du message qu’ils aimeraient transmettre aux dirigeants du monde pour qu’il n’y ait plus de guerre …
Lire des poésies pour la paix
Un choix de plusieurs poèmes pourra être proposé aux élèves, par exemple : Le plus important d’Alain Bosquet, La blanche école de René-Guy Cadou, Après la pluie de Gianni Rodari, L’amour blessé de François David, La grande chanson d’Armand Monjo, Les maisons de Michel Cosem, Je dis douceur de Guillevic. Après lecture, les enfants pourront en sélectionner un, l’apprendre par cœur et écrire une lettre fictive à leur auteur pour dire pourquoi ils aiment ce texte.
Mettre des livres à la disposition des élèves
Durant une longue période les enfants auront une boîte à livre dans la classe qui évoque la Grande Guerre. Ils y trouveront notamment les ouvrages suivants :
La vie des enfants. La grande guerre 1914-1918, de Philippe Godard (Sorbier) ; On n’aime guère que la paix, de Jean-Marie Henry, Alain Serres et Nathalie Novi (Rue du monde) ; Zappe la guerre, de Pef (Rue du monde) ; La Grande Guerre expliquée à mon petit-fils, d’Antoine Prost ; L’Album de la Grande Guerre, de Jean-Pierre Verney avec une paire de lunettes stéréoscopiques et 35 photographies originales (Les Arènes) ; L’Histoire de France en BD. 14-18, de Dominique Joly et Bruno Heitz (Casterman) ; Lulu et la Grande Guerre, de Fabian Grégoire (l’École des loisirs) ; Sylvestre s’en va-t-en guerre, de Stéphane Heinrich, Kaléidoscope.
Alexandra Ibanes
Vidéos et bibliographie
– Le blog du CM2 de l’école Sévigné, à Narbonne.
– Un jour une question. À quoi ça sert de se souvenir de la première guerre mondiale ? (France Télévision).
– C’est pas sorcier. La grande guerre (France 3).
– En sortant de l’école, Saison 3 Guillaume Apollinaire (Tant Mieux Prod).
– Manuel d’Histoire-Géographie CM2, Nathan, collection « Panoramas ».
– Filotéo, n° 175, Non à la guerre.
– 1jour1actu : Enquête sur le monument aux morts de ta commune (dossier pédagogique) ; Les enfants pour la paix.
– I-Profs, fiches pédagogiques sur « Zappe la guerre », de Pef.
Voir sur ce site
• L’enseignement de la Grande Guerre de 1914 à nos jours. Entretien avec Benoit Falaize, par Alexandre Lafon.
• « À l’Est la guerre sans fin, 1918-1923 ». Aux racines du siècle présent, par Norbert Czarny.
• Lire et étudier «Ceux de 14». Hommage à Maurice Genevoix, cent ans après, par Alexandre Lafon.
• Commémorations du 11-Novembre : questions-réponses à l’usage des enseignants.
• Pourquoi commémorer la Grande Guerre.
• 1918-1919 : de l’armistice à la paix.
• Qu’est-ce qu’un monument aux morts. Projets pédagogiques et culturels.
• « Au revoir là-haut », d’après Pierre Lemaitre. Mises en mots et en images de la Grande Guerre : du roman à son adaptation en bande dessinée et au cinéma, par Alexandre Lafon.
• « Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre et Christian De Metter. Une leçon graphique, par Marie-Hélène Giannoni.
• 14-18. Écrire la guerre. Un numéro spécial de « l’École des lettres ».
et les nombreux articles publiés dans
l’École des lettres