« Les Météorites », de Romain Laguna
L’été. Le sud.
Nina, 16 ans, travaille dans un parc d’attractions. Une mère vaguement présente, quelques rares sorties, l’adolescente s’ennuie.
Morad, frère d’une de ses collègues, apparaît soudain. Elle s’en amourache, découvre la sexualité, avant que le garçon ne s’éclipse brutalement. Perdue, Nina poursuit seule son chemin…
Bref moment d’éternité
Résumer ainsi l’histoire du premier long-métrage de Romain Laguna, c’est trahir la beauté du vivant (corps et paysages) qui vibre dans et autour de l’image. Mais c’est aussi traduire au mieux l’épure narrative suggérée par la trajectoire céleste du titre, Les Météorites. Non que le destin de Nina se déploie en une pure ligne droite ou que la mise en scène soit dénuée d’empathie, mais c’est la fulgurance, la sécheresse du temps court, scandaleusement éphémère, qui rythme et ordonne l’univers de la jeune héroïne.
En filmant la vie très ordinaire de Nina (surtout dans la première partie du film), le réalisateur s’emploie à donner une représentation réaliste et concrète de l’emploi du temps de l’adolescente. Un temps souvent dépensé en pure perte, selon une prodigalité qui fait le privilège de son jeune âge. Un temps qui est un gaz, un peu flou, un peu fou, sans bornes évidemment. Un temps qui n’existerait pas, en somme. 16 ans ou l’éternité devant soi.
Du ciel à la chair
Ce temps invertébré, rempli d’attentes, de vides et de riens qui sont des mondes, est cadré au format 4/3 qui accentue l’idée de piège temporel, motif de plainte de la jeunesse romantique et de nos poètes à l’âme éternellement juvénile. Piégée donc, Nina apparaît souvent filmée de près et selon le même angle de prise de vue. La jeune fille n’a, pour sa part, pas prise sur le temps qui passe et qui l’enserre. Elle ne peut en saisir la « teneur », qu’elle perçoit seulement comme un long bloc de durée et d’ennui, cependant si bref qu’il faut parfois en accélérer le mouvement, tout faire dans l’urgence, comme si précisément le temps allait s’arrêter, les planètes dégringoler du ciel…
Pour autant, il n’est pas ici question de jeunesse survoltée, qui tend à vouloir rattraper le temps (perdu) par la vitesse et la précipitation. Nina, fille plutôt rêveuse, vit sous l’influence de « l’étoile filante » qu’elle a vue dans le ciel en ouverture du film. L’adolescente a été, à cet instant, comme frappée par un signe du destin. La tâche sombre qu’elle arbore au coin de son œil droit en serait la marque, la brûlure qui la désigne à un prochain changement.
La vision initiale de la météorite dans le ciel infuse la narration, et la place d’emblée sous la bannière d’un fantastique ordinaire, d’une métamorphose imminente. Un mystère est prêt de s’accomplir. L’apparition du corps céleste annonce la fracture d’un autre corps de chair et de sang. L’adolescente est dès lors en sursis d’elle-même, promise à son propre renouvellement.
Naissance d’une femme
Quand Morad, l’astre de ses jours nouveaux, vient à disparaître soudainement du récit, Nina est désorientée, accablée, sidérée au point de ne plus croire à sa brève histoire d’amour. Un corps incandescent a traversé son ciel intérieur et elle doute désormais de son récent et fugace passage.
La deuxième partie du film se clôt sur l’incrédulité de la jeune fille. La parenthèse de son adolescence se referme doucement ; Nina a perdu sa virginité et fait l’apprentissage de la sexualité. La découverte de sa féminité s’accompagne d’un fantasme de maternité, d’un désir de grossesse qu’elle s’invente. Or (troisième partie), comme si cette expérience ne devait pas rester infertile, Nina entreprend la phase finale de son accession à l’âge adulte sous la forme d’une ascension de la montagne environnante jusqu’au point de chute de la météorite.
L’impact du corps céleste est le symbole de son bouleversement, de tous les bouleversements. Les dinosaures du parc d’attractions où travaille Nina s’en souviennent. La météorite, présage de destruction, est aussi la promesse d’une aube nouvelle. Au centre du cratère noirci des cendres de son adolescence, Nina prend acte de sa naissance de femme.
La beauté plastique du dernier plan en plongée, où la jeune actrice (Zéa Duprez, en classe de terminale au moment du tournage, et dont c’est ici le premier rôle) lève la tête et dirige son regard vers la caméra, est enfin un hommage à notre propre expérience de cinéma. Où le public renaît à lui-même, à chaque fois un peu différent, au sortir des cavernes obscures. Les regards se croisent ici en un point qui rappelle le vieux pacte qui unit personnages et spectateurs dans les songes de leurs nuits fantasmagoriques.
Philippe Leclercq