Colonisation, une histoire française : des faits historiques contre le déni

France 3 a diffusé le 4 octobre un documentaire sur la constitution de l’empire colonial français. Abordé en classe de quatrième en histoire, ce film, réalisé par Hugues Nancy, peut être une source intéressante pour les professeurs d’histoire comme de français.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie au collège de Chelles (Seine-et-Marne)

France 3 a diffusé le 4 octobre un documentaire sur la constitution de l’empire colonial français. Abordé en classe de quatrième en histoire, ce film, réalisé par Hugues Nancy, peut être une source intéressante pour les professeurs d’histoire comme de français.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie au collège de Chelles (Seine-et-Marne)

Le documentaire intitulé « Colonisation, une histoire française » a eu un retentissement important chez les enseignants. Réalisé par Hugues Nancy, auteur de plusieurs documentaires historiques, ici conseillé par l’historien Marc Ferro, il a été diffusé en trois épisodes par France 3, le 4 octobre, en partenariat avec le Huffington Post.Racontant plus de cent ans de conquête coloniale entre 1830 à 1945, il a choisi de ne pas s’en tenir à la période décoloniale et fait intervenir des écrivains célèbres engagés sur la question coloniale, notamment Guy de Maupassant, André Gide et Albert Londres. À l’instar de la série documentaire Apocalypse – qui regroupe sur France 3 également vingt-sept films sur la Première Guerre mondiale, la Seconde et le totalitarisme – des images d’archives retrouvées récemment, numérisées et mises en couleurs offrent au spectateur des séquences parfois inédites, relatives à cette conquête. D’une durée totale de trois heures, le documentaire évoque les différentes étapes de la conquête coloniale : ses motivations au XIXe siècle, son apogée dans les années folles, puis son effondrement après la Seconde Guerre mondiale.

Commençant par la lecture d’un texte de Guy de Maupassant sur l’Algérie, le ton du documentaire est donné de manière solennelle :

« Dès les premiers pas, on est saisi, gêné, par la sensation du progrès mal appliqué à ce pays, de la civilisation brutale, gauche, peu adaptée aux mœurs, au ciel et aux gens. C’est nous qui avons l’air de barbares au milieu de ces barbares, brutes il est vrai, mais qui sont chez eux, et à qui les siècles ont appris des coutumes dont nous semblons n’avoir pas encore compris le sens. »

Texte paru dans Le Gaulois du 17 juillet 1881, qui envoya Maupassant écrire une série d’articles en Algérie, puis dans La Revue politique et littéraire du 17 novembre 1883, puis dans le recueil Au soleil et ses Récits d’Afrique, tome 2.

Tous les peuples indigènes ont résisté

Le caractère violent de cette conquête apparaît ainsi dès le départ. Difficile de rester de marbre face à une telle cruauté, notamment celles des généraux Bugeaud en Algérie, Gallieni à Madagascar ou du maréchal Pétain au Maroc.

En évitant de se focaliser sur la conquête de l’Algérie, le film a aussi le mérite de montrer que le recours à la violence par la puissance coloniale fut systématique pour écraser les résistances locales. Il y a en effet eu très peu de périodes d’accalmie dans ces conquêtes, et, du rif marocain aux rizières de l’Indochine, en passant par Madagascar, les peuples indigènes ont refusé la colonisation avec tout ce qu’elle engendrait.

Ces faits historiques sont retracés de manière implacable. À chaque fois, la parole est donnée tant aux colonisateurs qu’aux colonisés, ce qui permet de mieux comprendre l’écroulement rapide de l’empire colonial après la Seconde Guerre mondiale. Les figures d’Hô Chi Minh, Abdelkrim El-Khattabi ou Samory Touré sont éclairantes sur cette résistance.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy en France (mai 2007-Mai 2012), le débat est relancé sur « les aspects positifs de la colonisation ». S’appuyant sur la thèse de l’économiste Jacques Marseille, les partisans de cette vision positive expliquent que la métropole a pris en charge la construction onéreuse d’infrastructures dans les colonies. Notre pays aurait aussi connu une modernisation sans précédent une fois déchargé de son empire colonial qui grevait son budget… Le documentaire met à mal cette thèse en insistant sur l’aubaine pour les entrepreneurs français de trouver dans les colonies des matières fournies à très bas prix : caoutchouc, cacao, phosphate, riz, etc. Le réalisateur Hugues Nancy évoque plutôt un « déni collectif » : « Il y a eu de la résistance très forte dès les premiers moments. Nous voulions raconter ces prises de position et ces contestations dans le contexte de l’époque, sans jugement a posteriori. »

La « mission civilisatrice » de la IIIe République

Ce qui ressort également du documentaire, c’est la duplicité de la IIIe République qui, tout en voulant installer durablement les valeurs républicaines en métropole, les a totalement bafouées dans les colonies au nom d’une mission civilisatrice. Jules Ferry – qui a justifié, en tant que président du Conseil des ministres, la politique d’expansion coloniale le 28 juillet 1885 à l’Assemblée nationale au nom d’un droit des races supérieures sur les races inférieures – est mis face à ses contradictions. De même que l’écrivain et homme politique Victor Hugo qui put trouver quelque romantisme à ces conquêtes.

À aucun moment le documentaire ne sombre dans une réquisition partisane contre la République française. Georges Clémenceau (avant son accession au pouvoir), mais surtout Léon Blum, à la tête du gouvernement du Front populaire, sont mis en avant dans leur contestation de la colonisation pour l’un et une volonté d’assouplissement des conditions d’occupation pour l’autre. L’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza est aussi évoqué longuement avec sa volonté de ne pas recourir à la violence lors de ces conquêtes.

Évoquant l’abolition de l’esclavage en 1848, souvent perçu comme une émancipation définitive des esclaves de notre empire, le documentaire insiste sur le travail forcé qui apparaît comme un nouvel esclavage plus meurtrier encore.

Illustration avec le chantier de la voie ferrée Congo-Océan traversant la forêt équatoriale de Brazzaville (République du Congo) à la côte Atlantique. Parce qu’il a coûté la vie à des milliers d’ouvriers entre 1921 et 1934, ce chantier a permis une prise de conscience en métropole sur les méfaits de l’entreprise coloniale, notamment grâce aux plumes d’André Gide et d’Albert Londres. Les deux hommes sont allés en Afrique subsaharienne pour constater par eux-mêmes les conditions de vie des colonisés, et sont ainsi devenus à leur retour des farouches opposants au système colonial.

André Gide a ainsi pu influencer Léon Blum, son ami depuis les bancs du lycée Henri IV. Enfin, le film aborde un aspect récemment médiatisé avec l’historien Pascal Blanchard (et qui avait créé d’ailleurs une polémique) : l’hypersexualisation des femmes indigènes qui a permis aux colons et militaires d’assouvir leurs fantasmes sexuels au grand jour, loin de la métropole. La description du quartier réservé de Bousbir à Casablanca apparaît de manière effarante dans le documentaire de Hugues Nancy.

Que montrer aux élèves ?

Difficile de montrer ce documentaire dans son intégralité aux élèves. Néanmoins, il faut aborder avec eux la résistance acharnée et les conditions de vie des indigènes car elles permettent de mieux comprendre la décolonisation qui a suivi d’une part, mais aussi de mieux appréhender tous les débats actuels autour de la mémoire de cette période, d’autre part.

Comme toutes les zones d’ombre de notre histoire, celle-ci doit être regardée en face. Le temps du roman national souhaité sous la IIIe République n’est plus. L’école est le lieu le plus opportun pour y étudier cette histoire commune dans laquelle les non-dits alimentent les fantasmes sombres.

J-R. K.

Ressources pédagogiques : Que dit le programme d’histoire sur le sujet ?

Traité en quatrième dans le thème 2, un chapitre complet est consacré à cette période. Il s’intitule « Conquêtes et sociétés coloniales » (voir tableau). La fiche d’accompagnement d’Eduscol et les pistes de mise en pratique (texte ci-dessous) proposent ainsi l’étude de la conquête algérienne à partir des années 1830 ou celle de Madagascar, deux exemples évoqués dans le documentaire.

Thème 2 : L’Europe et le monde au XIXe siècle

« Le temps de l’industrialisation est aussi celui de l’affirmation des nationalités et des États nations. Ainsi, l’unification nationale tardive de l’Allemagne et de l’Italie explique en partie leur immaturité impériale à la fin du XIXe siècle. C’est du mélange indissoluble du développement du capitalisme moderne, de la croissance des échanges et des enjeux maritimes et de la volonté de puissance des États que naissent l’impérialisme colonial et les rivalités qu’il entraîne. Les progrès technologiques de l’Europe lui fournissent une supériorité militaire et maritime considérable. Les États rivaux cherchent à la fois des conquêtes prestigieuses, des points d’appui stratégiques, des sources de matières premières et des débouchés. La conquête de l’Algérie par la France, commencée en 1830, doit asseoir son statut de puissance méditerranéenne, la relance de la colonisation dans les années 1880 doit alors beaucoup, pour les gouvernants français, à la volonté de redonner à une France humiliée par la défaite de 1870 des motifs de fierté nationale. Quand bien même les effets d’entraînement pour l’ensemble de l’économie ne semblent plus évidents aujourd’hui, il y a cependant bien des intérêts économiques en jeu. De même, l’idée de la « mission civilisatrice » chère à Jules Ferry a pu être prise au sérieux : on la retrouve également chez Victor Schoelcher, l’homme de l’abolition de l’esclavage, ou chez le Victor Hugo du « discours sur l’Afrique » de 1879. Les sociétés coloniales connaissent cependant une réalité bien différente, qui en fait des témoins privilégiés de ce que certains historiens ont pu appeler la « première mondialisation », et que les géographes appellent la « deuxième mondialisation » (ce qui est plus opérant dans le cadre de notre programme). On les analyse désormais dans la lignée de la « situation coloniale » décrite par l’anthropologue Georges Balandier en 1951. Cette notion, qui est à la racine des études sur les sociétés coloniales, induit tous les rapports entre coloniaux et colonisés, qui ne se réduisent pas à une simple domination économique et culturelle, mais témoignent aussi de résistances et de contacts avec les élites locales qui préparent les futurs mouvements d’émancipation.

L’étude de l’empire colonial français doit être l’occasion d’une réflexion sur les motivations, à la fois politiques et économiques, de l’entreprise coloniale, menée à partir de l’étude des acteurs. L’action de Jules Ferry, comme celle de Joseph Gallieni à Madagascar ou d’Hubert Lyautey au Maroc, peut être présentée. Si la carte de l’empire colonial français permet de donner une vue d’ensemble, l’exemple développé d’une société coloniale, par exemple celle de Madagascar, doit permettre de donner une vue plus concrète de la domination coloniale et de ses effets dans divers domaines.

Ressources supplémentaires

Sur Victor Hugo

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/culture-africaine/quand-victor-hugo-defendait-la-colonisation-de-l-afrique_3402337.html

Sur André Gide

https://www.retronews.fr/arts-colonies/long-format/2018/03/20/1927-voyage-au-congo-dandre-gide

Sur Albert Londres

https://www.jeuneafrique.com/mag/457329/culture/journalisme-faut-il-relire-albert-londres/

Sur Maupassant

https://www.nonfiction.fr/article-10555-maupassant-et-la-question-coloniale.htm

Jean-Riad Kechaou
Jean-Riad Kechaou