Les naufragés d’Affelnet
Fonctionnant sur le même principe que Parcoursup en terminale, la plateforme qui oriente les élèves en fin de troisième n’est pas moins cruelle. Cette semaine, les élèves sans affectation attendent de savoir où ils seront acceptés en septembre, dans des établissements et des filières qu’ils n’auront pas choisis. Une situation mortifère qui frappe les plus fragiles.
Le 1er juillet, juste après leur dernière épreuve du brevet, les élèves de troisième ont reçu leurs affectations au lycée via la procédure d’Affelnet (affectation des élèves par le net). Une simple formalité pour ceux ayant choisi une seconde générale et technologique car ils sont, dans le pire des cas, affectés dans leur lycée de secteur. En revanche, les élèves ayant fait le choix de s’orienter vers la voie professionnelle (CAP ou Bac Pro) nourrissent nettement plus d’appréhension. Et pour cause : ils réalisent une dizaine de choix de lycées sous forme de « vœux » par ordre de préférence, sur le même modèle que Parcoursup en terminale. Mais, le nombre de places étant limité, ils ne sont pas forcément reçus aux lycées de leurs choix voire, parfois, se retrouvent sans solution. Ils attendent donc dans l’angoisse le second tour d’affectation. Qui a lieu cette semaine.
Voici une quinzaine d’années que je suis professeur principal en troisième. À ce titre, je dois aider mes élèves à s’orienter au lycée. Si c’est assez simple pour ceux qui se dirigent vers les lycées généraux et technologiques, c’est beaucoup plus compliqué pour les formations professionnelles. Dans mon collège, un petit tiers des élèves choisit cette voie et ce sont souvent les plus en difficulté. On leur demande de réfléchir pendant sept mois à la filière professionnelle qu’ils souhaiteraient faire. Or, choisir le métier de ses rêves à 14 ou 15 ans n’est pas chose aisée.
En avril, ils doivent donc valider une dizaine de vœux sur la plateforme Affelnet. Prenant en compte leurs adresses, leurs résultats scolaires, la validation des compétences du socle commun mais surtout le nombre de places disponibles dans chaque établissement, ce logiciel est sans pitié. Dans les lycées professionnels, on n’ouvre pas de nouvelles classes en fonction des besoins. C’est la loi du plus fort qui prévaut. Les élèves en grande difficulté scolaire n’ont qu’un choix très limité entre des CAP ou des bac pro peu demandés.
À titre d’exemple, la filière ASSP (accompagnement, soins et services à la personne) est très demandée chez les filles et la concurrence est féroce. Chez les garçons, la filière aéronautique est quasi inaccessible. Pour la mécanique ou l’hôtellerie restauration, il faut avoir des résultats corrects pour espérer l’intégrer. Je me retrouve parfois à dire à un élève qui a réussi à trouver une voie qui lui sourit que la concurrence y est trop rude et que son choix est probablement voué à l’échec. Ce qui est très douloureux pour lui et pour moi.
Vœux à l’aveugle
Dans mon collège, douze élèves se sont ainsi retrouvés sans affectation le 1er juillet, obligés d’attendre la fin de la phase d’inscription au lycée pour participer au second tour le 8 juillet. En fonction des chefs d’établissement, les familles sont plus ou moins accompagnées et ont plus ou moins accès aux informations sur les places laissées vacantes.
Les futurs lycéens doivent parfois faire des vœux « à l’aveugle » sans savoir s’il reste de la place dans la filière demandée. Où vont-ils au final ? Souvent dans des lycées plus éloignés de chez eux et dans des formations qu’ils n’ont même pas choisies. C’est l’une des causes majeures de leur décrochage rapide l’année suivante. Certains refusent même leurs affectations et reviennent au collège en septembre pour faire une nouvelle troisième ou intégrer une seconde MLDS dans un lycée (mission de lutte contre le décrochage scolaire) où l’on essaie de les affecter dans le courant de l’année vers une filière qu’ils désirent.
Dans ce contexte, la création d’un poste de ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la formation professionnels, Carole Grandjean, sous la double tutelle de l’Éducation nationale et du ministère du Travail laisse dubitatif. Le risque est très clair : les entreprises vont s’immiscer nettement plus (c’est déjà le cas dans les centres de formation des apprentis qui ont le vent en poupe) dans la création ou la disparition de certaines filières pour que les formations correspondent mieux au marché de l’emploi.
Si cela peut s’avérer bénéfique en matière d’insertion professionnelle, on imagine les dégâts en matière d’émancipation. Un métier se choisit en fonction, certes, d’une certaine réalité économique mais aussi et peut-être surtout en fonction de ses appétences personnelles, de ses goûts, de sa motivation. Comme un fait exprès, ces sont ceux qui ont le plus de difficultés scolaires et comportementales qui se retrouvent sur la touche. De quoi fabriquer des décrocheurs et des non diplômés qui vont peiner à trouver des emplois stables.
Une réflexion doit donc être menée sur l’orientation en voie professionnelle afin qu’elle tienne compte des envies et prépare des savoir-faire sans exclure ni brimer.
J.-R. K.
Ressources :
Les lycées professionnels en partie gérés par le ministre du Travail, pas forcément une mauvaise nouvelle, Libération, 5 juillet 2022.
Enseignement professionnel, la double tutelle des ministères, France info, Noémie Bonnin, 4 juillet 2022.
Où va l’enseignement professionnel ?, Café pédagogique, François Jarraud, 4 juillet 2022.
Des pistes pour une nécessaire évolution de l’enseignement professionnel, Unsa éducation, 25 juin 2022.
Le bac professionnel à l’épreuve du plein-emploi, Le Monde, Sylvie Lecherbonnier, 14 juin 2022.