Juste sous vos yeux, d’Hong Sang-soo : ode à l’instant

Dans Juste sous vos yeux, le cinéaste coréen Hong Sang-soo creuse sa veine littéraire en confrontant une héroïne comédienne à celui qui incarne son propre double à l’écran. Celle-ci déambule dans Séoul, menacée par un danger qui la contraint à ne regarder ni derrière ni devant.

Par Philippe Leclercq, critique

Dans Juste sous vos yeux, le cinéaste coréen Hong Sang-soo creuse sa veine littéraire en confrontant une héroïne comédienne à celui qui incarne son propre double à l’écran. Celle-ci déambule dans Séoul, menacée par un danger qui la contraint à ne regarder ni derrière ni devant.

Par Philippe Leclercq, critique

Film dans le film : au mitan de Juste sous vos yeux, vingt-sixième long-métrage du réalisateur coréen Hong Sang-soo (Le Jour d’après1, 2017), l’héroïne déclare au metteur en scène qui désire l’employer dans son prochain film, que son cinéma est doué de qualités littéraires. Il se rapprocherait du genre de la nouvelle plus que du roman, développe Sang-ok (Lee Hye-young) devant Jae-won (Kwon Hae-hyo). Cette remarque, faite au personnage incarné par l’acteur fétiche du cinéaste, et son double à l’écran, vaut déclaration d’intention.

À la manière d’un texte court, l’histoire tient en quelques mots : ex-actrice d’une soixantaine d’années ayant vécu aux États-Unis, Sang-ok est de retour à Séoul. Dans l’attente d’un rendez-vous professionnel avec un cinéaste, elle vit chez sa sœur Jeong-ok (Jo Yun-hee). Une poignée de protagonistes peuplent des décors réduits à quelques intérieurs (appartement, maison, restaurant) et extérieurs (rues, parcs). Les rares personnages sont filmés en plans fixes lors de longues scènes élaborées autour du plaisir des mots et de l’art de la conversation. La durée des plans, incubatrice de la pensée et des émotions, fait naître une réalité vive. Elle parvient à déceler de l’essentiel et du sublime dans la banalité des choses de l’existence. L’intensité des scènes semble inversement proportionnelle à la légèreté des moyens déployés, aussi bien dramaturgiques que techniques. Couleurs, tonalités et grain de l’image tiennent davantage de l’aquarelle que de l’empâtement gras. Hong Sang-soo paufine son art du portrait par petites touches délicates.

Le film est parcouru d’une seule ligne narrative, marquée de pauses et de détours. Juste sous vos yeux accompagne son héroïne dans la petite déambulation ordinaire qui précède sa rencontre avec « son » réalisateur. Véritable scène de bravoure, celle-ci intervient comme un point d’orgue qui dure plus du tiers du film. Au gré du temps passé avec sa sœur, des rencontres au hasard de ses promenades et de la visite de la maison de son enfance, Sang-ok laisse choir des indices comme des points de repère. Car un mystère l’entoure, une mélancolie la hante qu’elle tente d’apaiser à l’aide de mantras, injonctions ou recommandations qu’elle s’adresse régulièrement à elle-même. Au restaurant, une goutte de sauce rouge tombée sur son chemisier gâte durablement son humeur, et le récit qui s’empourpre d’un aveu sanglant, forcément prémonitoire. Sang-ok ne dit rien du danger qui la guette, résolue à vivre sans se réfugier dans le passé ni à voir plus loin que le présent, à portée de regard.

P. L.

Juste sous vos yeux, film coréen de Hong Sang-soo (1 h 25), avec Lee Hye-Young, Jo Yun-hee Jo, Kwn Hae-hyo. En salle le 21 septembre.

1 – Philippe Leclercq, « Le Jour d’après, de Hong Sang-soo », L’École des lettres, 28 juin 2017.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
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