Annonces sur le lycée pro :
les élèves de troisième s’inquiètent
en remplissant leurs voeux
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d'histoire (77)
Trêve d’hypocrisie : « Les lycées professionnels doivent répondre aux besoin de l’économie », a déclaré sans détour Pap Ndiaye le 5 mai sur France Info. C’est pourquoi 80 filières du tertiaire en voie professionnelle, comme la vente, l’emploi et l’accueil, vont être supprimées dès la rentrée, a annoncé le ministre de l’Éducation. Mais sans dire lesquelles ni dans quels lycées. Cette déclaration qui intervient quelques jours avant que les troisièmes ne saisissent leurs vœux d’orientation pour le lycée a semé un trouble chez certains, voire un début de panique chez ceux qui ne remplissent que des vœux en « lycée pro ». Sans compter que l’échéance, déterminante pour l’avenir de ces futurs lycéens, tombe le 30 mai.
Les adultes encadrants – chefs d’établissements, psychologues de l’Éducation nationale et professeurs principaux de troisième – n’en sachant pas plus que les élèves, ils se trouvent bien en peine d’encadrer correctement la saisie des vœux d’orientation au lycée sur la plateforme Affelnet.
Deux semaines après l’annonce de la réforme du lycée professionnel du ministre, le flou règne toujours au collège concernant l’orientation vers la voie professionnelle. Aucune information ne permet de savoir quelles filières seront maintenues dans les établissements de secteur. La vente, l’emploi et l’accueil devraient être concernés selon le ministre. Soit les plus demandées.
Taux de pression renforcé sur certaines filières
À titre d’exemple, dans ma seule classe de troisième (pour laquelle je suis le professeur principal), cinq élèves ont fait des vœux vers les Bac pro Métiers de la Gestion administrative, du transport et de la logistique (GATL) et celui des Métiers de la relation client (MRC). Dans le lycée professionnel de Chelles (Seine-et-Marne), il n’y aura, selon des sources syndicales, à la rentrée de septembre, que deux secondes MRC au lieu de trois, et une seule de GATL au lieu de deux. Les enseignants du lycée Louis Lumière se sont mis en grève. Les annonces du ministre les invitant à se diriger vers le professorat des écoles ou à accepter de nouvelles missions d’encadrement dans leurs établissements ne les ont pas apaisés.
Pour les élèves, ces annonces soudaines ont pour incidence un taux de pression renforcé sur ces filières : moins de place dans les secondes professionnelles en septembre avec autant de demandes, le nombre d’élèves non affectés pourrait croître singulièrement. En cause, Affelnet : en effet, c’est cette plateforme qui détermine l’orientation des collégiens, à l’instar de Parcoursup pour les lycéens vers les études supérieures.
Trois de mes élèves n’ont saisi que des vœux vers une seconde GATL : si toute la filière est supprimée, que deviennent les choix renseignés ? Les élèves sont-ils orientés vers d’autres filières pro ou se retrouvent-ils sans affectation ?
La saisie des vœux se terminant le 30 mai, il semble très compliqué voire impossible de formuler de nouveaux vœux d’ici une semaine. Et ce, notamment vers des filières industrielles « plus adaptées », selon les termes de Pap Ndiaye, comme la chaudronnerie ou le génie thermique mentionnés pour abonder dans le sens du président Emmanuel Macron qui a récemment affiché sa volonté de réindustrialiser le pays.
L’orientation vers la voie professionnelle arrive de toutes façons très tôt dans la vie d’adolescents qui peinent à choisir un métier à 14, 15 ans. Ce qui explique en partie le succès de certaines filières tertiaires : gestion-administration, commerce, accueil. Assez générales, elles permettent à certains de repousser le choix d’un métier et d’envisager des études supérieures, vers un BTS notamment.
Or, ce sont précisément ces filières plus générales et plus prisées qui seront supprimées progressivement dans les trois ans. La rentrée de septembre 2023 avec un nombre de seconde réduit dans ces filières pourrait être la dernière promotion. Les entreprises, via les centres de formation d’apprentis (CFA), prendraient ensuite la relève pour former elles-mêmes leurs futurs employés.
« Cette réforme est en réalité un outil au service des entreprises pour pallier le manque de main-d’œuvre dans des secteurs d’activité identifiés. Elle n’est aucunement guidée par l’intérêt des élèves. », a réagi le syndicat majoritaire SNUEP dans un décryptage des mesures présidentielles publié le 10 mai.
Devant l’absence d’informations officielles, l’inquiétude se déporte sur les réseaux sociaux. « Les collègues : où est-ce qu’on peut voir les filières pros qui seront supprimées ou renommées la rentrée prochaine à Marseille ? Quelqu’un a une idée ? », a tweeté le populaire @Rachid l’instit le 11 mai.
La plateforme gouvernementale Inserjeunes, censée accompagner l’orientation professionnelle, afficherait brutalement plusieurs filières comme « fermées », selon des utilisateurs. La carte des formations pour la rentrée de septembre étant déjà arrêtée par les rectorats, comment comprendre ces fermetures sur les plateformes d’orientation ?
La CGT Educ’action appelle à une journée de grève le 30 mai et une intersyndical s’organise pour le 6 juin. Mais pour les troisièmes de 2023, la date de clôture des vœux aura été dépassée.
J.-R. K.
Ressources :
« Lycée professionnel : à qui profite la valorisation ? », Antony Soron, L’École des lettres, 11 mai 2023.
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