Le Ciel rouge, de Christian Petzold
Par Philippe Leclercq, critique
Menace d’incendie dans tous les sens : le réalisateur allemand joue au puzzle avec un groupe de jeunes en pause estivale dans une maison en bord de mer et de forêt.
Par Philippe Leclercq, critique
C’est l’été. Deux amis, Léon et Félix, se rendent dans une maison familiale située au bord de la mer Baltique, dans l’intention d’y développer leurs projets artistiques respectifs : un deuxième roman pour Léon, un dossier photo pour Félix. Les deux compères ne sont pas encore parvenus à destination qu’une panne de moteur survient en pleine forêt, les forçant à continuer à pied. Alors que la nuit commence à tomber et que la route s’avère incertaine, Félix abandonne Léon pour s’assurer qu’ils ne sont pas perdus…
Apprendre à voir
Tout dans l’amorce du Ciel rouge, le dixième long-métrage de fiction de Christian Petzold (Transit, 2018 ; Ondine, 2020), semble placer l’intrigue sur les rails du thriller horrifique, tel qu’en raffole le genre américain du « film d’été » depuis Les Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975). Or, même si le réalisateur allemand ne dédaigne pas les histoires de revenants (Fantômes, 2005), ce n’est pas sur les brisées sanglantes du cinéma d’horreur qu’il a choisi d’emmener ses personnages, mais plutôt sur les plages et les chemins ensoleillés du film rohmérien d’éducation sentimentale.
À peine les deux amis sont-ils arrivés dans leur résidence de vacances qu’ils découvrent la présence d’une mystérieuse jeune femme, Nadja (Paula Beer, éblouissante comme d’habitude), à qui un surveillant de plage rend visite chaque nuit. Les couples se font et se défont bientôt ; l’amour circule librement sous l’œil agacé de Léon, soucieux de répondre à ses exigences éditoriales. Tandis que son ami Félix cède progressivement à la torpeur lascive de l’été, Léon s’enferme dans ses efforts de création et refuse les diverses sollicitations de ses compagnons de villégiature. À côté de la vie des autres, dont il préfère être spectateur – et juge –, il s’enferme dans une solitude besogneuse qui ne produit rien de bon.
Dépositaire du point de vue du film, Léon a les yeux seulement tournés vers lui-même. Il ne sait pas regarder le monde dont il se tient à distance. Et forcément, il se trompe sur le compte des êtres qui l’entourent, en particulier Nadja en qui il ne voit qu’une vendeuse de glaces, inapte à apprécier les qualités littéraires de sa prose. Quand son éditeur arrive pour une séance de travail, il apprend que celle-ci est une doctorante en littérature allemande.
L’horreur des feux de forêt
Selon Christian Petzold, Le Ciel rouge appartient à ces « films qui montrent comment on devient quelqu’un dans une situation exceptionnelle de vacances, où l’on ne contrôle rien. Dans le cinéma français et américain, ces mois d’été sont pour les jeunes un monde dans lequel ils doivent devenir quelqu’un – à partir d’eux-mêmes, mais aussi à partir de leur rencontre avec le monde ». Le titre ne répond pas seulement au brasier émotionnel qui consume les cœurs et les esprits. Dès le début du récit, une menace écologique plane sur le destin des personnages qui, trop préoccupés par leurs défis amoureux, demeurent aveugles et sourds. Sauf Léon qui remarque le ballet des Canadair. Leur insouciance les piège, mais Nadja met le feu à la conscience de Léon qui doit fuir ses préjugés et ouvrir les yeux sur le monde. Avec la tragédie des amants de Pompéi en toile de fond, les relations dans le groupe sont fonction et métaphore du drame contemporain entre flammes, déni, abandon et urgence.
P. L.
Le Ciel rouge, film allemand (1h42) de Christian Petzold, avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel. Sortie le 6 septembre.
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