Flo, de Géraldine Danon :
une âme de forban

Géraldine Danon livre non pas un biopic mais un portrait impressionniste de Florence Arthaud, montrant une femme courageuse et féline, affrontant les hommes pour embrasser sa passion de la voile et de l’océan.
Par Ingrid Merckx

Géraldine Danon livre non pas un biopic mais un portrait impressionniste de Florence Arthaud, montrant une femme courageuse et féline, affrontant les hommes pour embrasser sa passion de la voile et de l’océan.

Par Ingrid Merckx

Elle chante « Le forban » plusieurs fois à tue-tête, dans les bars avec les marins jusque devant le cercueil de son frère. « À moi forban que m’importe la gloire / Les lois du monde et qu’importe la mort / Sur l’océan j’ai planté ma victoire / Et bois mon vin dans une coupe d’or… » Elle a cherché la gloire, Florence Arthaud, en trompant la mort, les dangers de la haute mer et la loi des hommes, pour mourir en hélicoptère, en 2015, à 57 ans. Neuf autres personnes ont perdu la vie dans cet accident : la nageuse Camille Muffat (25 ans) et le boxeur Alexis Vastine (28 ans), deux pilotes argentins et cinq membres de la production de Dropped, émission de téléréalité à laquelle tous participaient.

Florence Arthaud avait embarqué pour financer un projet : une course à la voile entièrement féminine, l’Odyssée des femmes. Les sportifs courent l’argent et courent pour l’argent. C’est l’un des principaux enseignements du film de Géraldine Danon qui s’arrête en 2011, quand Florence Arthaud réchappe d’une chute de son bateau en pleine nuit au large du cap Corse.

« J’ai basculé en une fraction de seconde. Je suis dans l’eau. Il fait nuit noire. Je suis seule. Je tourne la tête en tous sens, instinctivement. Je vois mon bateau qui s’éloigne… Dans quelques instants, la mer, ma raison de vivre, va devenir mon tombeau. Effacer toute trace de mon existence. M’engloutir. »

Cette nuit, la mer est noire, Florence Arthaud, éditions Arthaud, 2015

Flo montre une femme courageuse, incarnée par une Stéphane Caillard au sourire charmeur et espiègle, luttant contre vents et marées pour avoir le droit et la possibilité de participer, au même titre que les hommes, aux plus grandes courses à la voile. Pour cela, elle affronte une série d’obstacles : survivre physiquement et psychologiquement à l’accident de la route qui la cloue à 17 ans sur un fauteuil, s’imposer comme femme skipper en solitaire, et trouver des financeurs qui acceptent de miser sur elle en affrétant un bateau de compétition.

« Après le cap Corse, les éléments se déchaîneraient à nouveau. Au cœur de cette tempête, je vivais ces moments qui sont pour les marins synonymes d’éternité. J’avais embarqué mon chat Bylka – kabyle, en verlan. Comme son nom l’indique, je l’avais trouvé en Kabylie. Il errait sur le port de Tigzirt, abandonné. J’étais partie de Marseille pour rejoindre l’Algérie. Comme toujours, je voulais être seule sur mon bateau. Profiter de cette intimité avec les vagues et l’infini du cosmos. »

Cette nuit, la mer est noire, Florence Arthaud, éditions Arthaud, 2015.

Des libertés

Le scénario prend des libertés dans son récit des aventures de Florence Arthaud, sûrement beaucoup, à en croire les polémiques ayant précédé la sortie du film, notamment du côté de sa fille, Marie Arthaud-Lingois, qui a porté son opposition jusque devant les tribunaux. Elle redoute entre autres que le film ne donne une « mauvaise image » de sa mère.

Géraldine Danon se montre en effet sans concession pour le goût immodéré de Florence Arthaud pour l’alcool et la fascination qu’elle exerce sur les hommes. La réalisatrice accentue même le côté félin de la sportive dont le corps mince et musclé est scruté sous tous les angles, à terre et en mer. C’est comme si elle hypersexualisait son héroïne mais moins, semble-t-il, pour l’objectiver que pour en faire une composante de sa bravoure et de ses exploits : c’est ce corps frêle de « crevette » et de « moineau » qui a séduit tous ces marins, a traversé l’Atlantique, a affronté tant de vagues, et a été la première à remporter La Route du Rhum, le 18 novembre 1990, à bord de son trimaran de légende, Pierre 1er.

Samuel Jouy et Stéphane Caillard © Metropolitan FilmExport

Après la course à l’argent menée tête baissée par cette fille d’éditeur qui n’est pas née sans le sou, mais a connu le manque et la faim, c’est sur la revanche physique et mentale que la réalisatrice, femme du navigateur Philippe Poupon, insiste : il faudrait des muscles pour border les voiles ? Elle montre Florence Arthaud sentant le vent mieux que ses coéquipiers quand ils sont plusieurs à bord, mais manœuvrant comme un chat quand elle est seule, tournant la manivelle du winch ou grimpant au mas.

Sur le quai de Pointe-à-Pitre, qui la couronne « Petite fiancée de l’Atlantique », elle lui fait dire comme premiers mots : « Ce soir les femmes peuvent relever la tête à la maison ». Et lorsque l’homme qui bat son amie vient importuner celle-ci dans le bar où elles vident des verres, c’est ivre peut-être, mais féroce comme une Nikita post-#MeToo, qu’elle le met à terre et le roue de coups en scandant : « On-ne-tape-pas-les-femmes ! ».

Portrait impressionniste

Flo n’est pas un biopic, mais un portrait de la navigatrice par une femme qui l’a connue, c’est le fruit de son regard à elle, fait de ce qu’elle a perçu et de ce qu’elle admirait. Probablement que ce portrait, dont Géraldine Danon confie qu’il a été inspiré par la lecture du livre La mer et au-delà de Yann Queffélec, détonne avec ce que Florence Arthaud était vraiment, et ses proches sont légitimes à le dénoncer. Mais il fait apparaître une femme libre et tête brûlée, diablement courageuse, amoureuse des hommes et plus encore de la mer, qui aimait le sexe et l’alcool, et faire tourner les têtes, à commencer par la sienne. Le film aligne les plans vus du ciel qui la regardent danser ou faire l’amour le regard levé, et enchaîne avec des contre-plongées sur Flo les yeux perdus vers le large ou surveillant l’oscillation de ses voiles.

De navigation finalement, il est peu question : tout au plus voit-on la navigatrice tracer des coups de crayon sur des cartes ou tendre une drisse. Ce n’est pas un film pour les « voileux », mais pour tout le monde. Si les marins sont nombreux à la préparation et au casting, il reste peu de technique et d’éléments documentaires à l’arrivée. Flo est plutôt un film impressionniste qui entend faire partager une passion et un spectacle exceptionnel en multipliant les scènes en mer loin des côtes, de jour et parfois de nuit, par bon vent et pas trop de mer.

Des extraits du journal de bord de Florence Arthaud percent par moments. Presque pas assez : pas de contrechamp, peu de for intérieur. Le spectateur contemple la navigatrice contemplant la mer. Son sourire, sa position, son air bravache, ses coups de tête. En dehors de sa mère et de son amie rencontrée à l’hôpital, Flo évolue dans un monde d’hommes où elle parvient à se faire un chemin en essuyant des humiliations : le film chavire vers la comédie sentimentale en surjouant une scène de quiproquo nuptial, ou penche vers le drame en noyant son personnage dans l’alcool après la vente du bateau de la gagne.

C’est avec une minerve à la suite d’un nouvel accident de voiture que Florence Arthaud embarque pour la Route du Rhum après des mois de préparation physique. Et c’est pendant cette traversée où elle perd tous ses instruments de navigation et fait route à l’ancienne, sans assistance, complètement seule, qu’elle fait une fausse couche et perd sang et connaissance sur le pont. Difficile de mieux célébrer ses noces quasi organiques avec son embarcation et l’océan que lors de cette scène de souffrance filmée comme la traversée d’une tempête : « C’est toi et moi, mon bateau… »

Quand Flo revient à elle, la mer est calme, elle est bercée par le clapot, elle lave les traces de sang à l’eau de mer. « Trucs de fille…, j’ai cru mourir », euphémise-t-elle en voyant arriver Olivier de Kersauson à sa hauteur en bateau à moteur. Elle pense ainsi justifier un échec quand il lui annonce qu’elle est en tête et lui lance un magique : « Va, marin, chercher ta victoire ! ».

« La vie est un cadeau, il faut la vivre pleinement et croire toujours en son destin. »

Cette nuit, la mer est noire, Florence Arthaud, éditions Arthaud, 2015.

I.M.

Flo, film français de Géraldine Danon, Yann Queffélec. Avec Stéphane CaillardAlison WheelerAlexis Michalik. En salles mercredi 1er novembre.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Ingrid Merckx
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