Accuser le choc
Poursuivant son étude du syndrome post-traumatique dans Revoir Paris, Alice Winocour revient sur les attentats du 13 novembre 2015. Elle suit les efforts de Mia (Virginie Efira) pour se souvenir de ce qu’elle a vécu ce soir-là, dans une brasserie de la capitale.
Par Philippe Leclercq, critique
Poursuivant son étude du syndrome post-traumatique dans Revoir Paris, Alice Winocour revient sur les attentats du 13 novembre 2015. Elle suit les efforts de Mia (Virginie Efira) pour se souvenir de ce qu’elle a vécu ce soir-là, dans une brasserie de la capitale.
Par Philippe Leclercq, critique
Après un singulier détour par le genre de l’odyssée spatiale (Proxima, 2019), la réalisatrice Alice Winocour revient à des questionnements psychologiques déjà placés dans l’orbite de sa jeune cinématographie. Son premier long-métrage, Augustine, en 2012, scrutait notamment la relation entretenue par le professeur Charcot, pionnier de la neurologie française, avec l’une de ses patientes. En 2015, Maryland dressait le portrait d’un ex-soldat revenu d’Afghanistan et frappé de stress post-traumatique. La cinéaste se penche de nouveau sur ce syndrome à travers l’actualité des attentats de 2015, que le cinéma français promet, par ailleurs, de traiter abondamment cet automne avec des films comme Novembre et Vous n’aurez pas ma haine. Revoir Paris suit une femme d’une quarantaine d’années, Mia (Virginie Efira), prise au piège d’une attaque terroriste perpétrée, un soir, dans une brasserie de la capitale.
Hasards de la vie
Le titre Revoir Paris devra se lire à partir de cet événement traumatique qui laisse Mia amnésique. Sa double acception sémantique en dessine les contours dramaturgiques, les enjeux et l’esthétique de ce film où il sera question, pour l’héroïne, d’effectuer son retour dans la capitale après une ellipse de trois mois chez sa mère en province pour accuser le choc, et de revisiter les différents espaces non seulement du drame mais de sa vie d’avant.
Inspiré des attentats du 13 novembre au Bataclan – le frère de la cinéaste y était ce soir-là –, Revoir Paris procède du naturalisme de l’ordinaire et de sa fragilité. Arroser une plante, briser un verre, aller au travail… Winocour capte, dans les premières minutes de son film, les détails qui composent la somme des jours quand ils sont vécus comme une évidence. Sa caméra s’attache à souligner les petits gestes qui dictent l’existence de Mia et ceux qui peuvent dévier sa trajectoire. C’est d’abord son compagnon, Vincent (Grégoire Colin), médecin-urgentiste, avec qui elle dîne dans un restaurant, qui prétexte un appel pressant (une relation adultère, en vérité) et la laisse seule à table. C’est ensuite son trajet à moto pour rentrer chez elle, soudainement interrompu par un violent orage, qui l’oblige à se réfugier dans une brasserie. Enfin, alors qu’elle prend un verre en attendant la fin de l’averse, le stylo-plume, avec lequel elle jette quelques notes de travail sur un calepin, se met à fuir, la poussant à courir aux toilettes de l’établissement pour se laver les mains… Un incident dérisoire qui la sauve peut-être.
Se reconstruire
La caméra est placée aux côtés de Mia de bout en bout du récit. Parcellaire, la représentation de l’attentat via sa position plaquée au sol traduit le chaos ambiant. N’apparaissent guère plus que la silhouette furtive d’un terroriste armé (sans son « visage d’ange » selon des rescapés), et quelques images de corps ensanglantés, limitées par l’étroitesse des angles, le sous-éclairage et la rapidité du montage. Winocour fait le choix d’une distance morale, s’interdisant toute complaisance face au massacre, comme elle se tiendra plus tard à l’écart prudent de la facilité mélodramatique.
La réalisatrice préfère emporter sa caméra dans des zones encore peu explorées pour étudier les efforts de son héroïne à recouvrer la mémoire. Longtemps, celle-ci (jeu admirablement découplé de Virginie Efira) apparaît comme absente d’elle-même, comme si elle avait deux corps, comme si son esprit vivait au présent dans un corps d’avant. La bouche de Mia s’emplit certes de mots et de sourires, mais ses yeux restent vides, perdus dans le vague de sa mémoire qui se refuse.
Pour s’y retrouver, Mia s’interroge, enquête autour d’elle, scrute les indices ou les cicatrices laissées, non seulement sur les corps, mais aussi dans la mémoire collective des rescapés réunis en association sur les réseaux, et qu’elle croise par hasard. Cette rencontre, et les retrouvailles avec Thomas (Benoît Magimel), entraperçu lors de la soirée de l’attentat, jalonnent bientôt le récit qui se restructure autour d’une petite intrigue amoureuse, propice à un rééquilibrage humoristique du drame. La reconstruction mentale, traversée de souvenirs fantômes, prend désormais forme, excluant les conjoints respectifs, étrangers aux blessures qui soudent le couple naissant.
Mia est souvent filmée, de nuit, sur sa moto, le phare allumé. Cette image est emblématique du film et de la circulation du personnage dans l’espace de sa mise en scène. C’est comme cela que Mia est arrivée à la brasserie, lieu où sa vie se brise et où son « tunnel » physique et psychique débute ; et, c’est de la même manière qu’elle en sortira, en sillonnant Paris de part en part, sa géographie urbaine devenue comme la projection extérieure de son espace mental, le labyrinthe de sa mémoire défaillante dont elle se sent prisonnière et dont elle s’efforce de retracer la cartographie pour en sortir.
Des images, des « flashs », des sons surgissent et la guident portés par une bande-son copieuse ; sa quête se meut en expérience sensorielle. Enfin, la dramaturgie, aiguillée sur la piste d’un clandestin africain employé dans les cuisines de la brasserie du Bataclan et disparu, se tend progressivement d’un suspense de thriller.
P. L.
Revoir Paris, film français d’Alice Winocour (1 h 43). Avec Virginie Efira, Benoît Magimel, Grégoire Colin, Maya Sansa, Amadou Mbow, Nastya Golubeva. En salles ce 7 septembre.
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