Dominique Viart : "Anthologie de la littérature contemporaine française. Romans et récits depuis 1980"
Le plaisir de la découverte
À tous les ronchons, les bougons et autres déclinistes qui voient dans la littérature française un chef-d’œuvre en péril, on ne saurait trop conseiller la lecture de l’anthologie que Dominique Viart a constituée et qui a paru au mois de novembre dernier.
Ce choix de textes qui ne cherche pas l’exhaustivité mais donne à lire un très grand nombre d’auteurs ayant écrit depuis les années soixante-dix s’ouvre sur une préface optimiste.
Non, la littérature n’est pas en péril, du moins pas du côté de celles et ceux qui écrivent et renouvellent les formes, les problématiques, qui s’ouvrent aux arts et genres voisins de l’écrit.
..
Littérature « déconcertante » et littérature « industrielle »
Mais avant d’entrer dans le détail de cette anthologie, arrêtons-nous sur le public qu’elle devrait concerner. La co-publication par le Scéren-CNDP montre que les professeurs de lycée, voire de première année d’université, aussi bien dans des cursus strictement littéraires, qu’ouvert aux sciences humaines ou à l’Histoire, sont les premiers intéressés (ou visés). La littérature contemporaine est depuis 2010 dans les programmes. Des textes peuvent accompagner tel ou tel objet d’étude et l’on trouvera par exemple de quoi éclairer la question du roman (ou du personnage de roman) dans les extraits proposés.
Mais on lira ce livre comme on lit les anthologies : au hasard, au plaisir des mots, des phrases, se laissant prendre par les coulées de Claude Simon, la (feinte) sécheresse de Gailly ou les collages de Cadiot ou Alferi. On lit une page, elle nous entraîne vers une autre, on se laisse prendre par une troisième. Dans tous les cas, on peut s’orienter grâce à la présentation qu’en fait Dominique Viart, qui situe l’auteur dans une constellation et replace le texte dans le contexte de l’œuvre choisie.
Cette anthologie est la suite attendue de La Littérature française au présent, ouvrage écrit avec Bruno Vercier en 2008. Mais le champ que Dominique Viart a choisi s’est restreint pour diverses raisons sur lesquelles il s’explique dans la présentation de son livre. On ne s’étonnera pas que seule trouve place la littérature « déconcertante » qu’il préférait à la « littérature industrielle » ou à celle prenant appui sur des « sujets » susceptibles de faire scandale. On s’étonnera un peu qu’un Houellebecq apparaisse et que Christine Angot ne figure pas dans ces pages. Après tout, à une époque, tous deux semblaient privilégier les « sujets » à scandale. Et peut-être s’en sont-ils également libérés.
Le choix de la littérature française exclut les francophonies. Mais cela étonne moins. Comme l’explique l’auteur, il aurait fallu plus d’un fort volume pour rendre compte de la richesse et de la diversité à l’œuvre dans d’autres sphères géographiques que l’Hexagone. Enfin, la poésie n’est pas envisagée en tant que telle, même si des poètes comme Jacques Roubaud, Charles Juliet ou Hedi Kaddour y figurent. Et puis les frontières entre prose et poésie sont poreuses et bien des écrivains qu’on trouvera dans cette anthologie ressortissent de ce genre très vivant, bien que moins médiatisé. Enfin, entre roman et récit, l’auteur ne tranche pas de façon radicale, sinon pour noter, avec Pierre Michon, que l’imagination est plus contrainte dans le récit que dans le roman.
Une division en trois temps
On pourra discuter les choix de Dominique Viart, comme dans toute anthologie. Regretter telle absence, déplorer telle présence ; c’est le jeu habituel, le principe de l’exercice. Mais à feuilleter ce livre, à lire les textes proposés et les règles qui ont présidé aux choix, on n’a pas grand chose à regretter. Le professeur de lettres qui voudra se faire une idée claire de ce qui se passe « après Camus et Duras » (tels sont en effet les repères que donnent bien des enseignants) appréciera la division en trois temps et trois parties de cette anthologie.
Les figures tutélaires
D’abord les figures tutélaires comme Beckett, ou les écrivains dont l’œuvre a connu une forme d’apogée vers 1975. Parmi eux, Viart distingue Barthes, Doubrovsky et Perec. D’abord parce qu’ils ont donné à la biographie, l’autobiographie ou l’autofiction (mot inventé par Doubrovsky) une place ou un rôle déterminants. On trouvera aussi un extrait de Dora Bruder, récit clé de Modiano, parce que ce livre appartient à la mémoire collective.
Le rapport à l’Histoire
Mémoire collective ou rapport avec l’Histoire qui seront très importants dans la deuxième « période » envisagée par Viart, celle des grands inventeurs. De Jean Echenoz pour qui le plaisir de la découverte est le moteur de l’écriture, à Annie Ernaux, Pierre Bergounioux ou Jean Rouaud qui écrivent entre littérature et sociologie, en passant par Pierre Michon ou Pascal Quignard dont les œuvres semblent s’inscrire dans une tradition classique qu’ils ne cessent de subvertir, on trouvera tous les noms qui ont fait ces années vivantes. Tous ont dû se débrouiller avec l’héritage formel des années soixante, en préserver la meilleure part, et parler de l’Histoire, de l’homme dans le monde. On le lit chez Olivier Rolin, chez Deville, chez Emmanuel Carrère et tant d’autres cités dans cette deuxième partie.
Innovations et libres variations
La troisième partie consacrée aux « innovations et libres variations » présente des écrivains… qui ne sedéfinissent pas toujours comme tels.
Si leurs prédécesseurs écrivaient avec les classiques, eux le font souvent avec le cinéma, quand, à l’instar de Philippe Claudel ou Camille de Toledo, ils ne sont pas derrière la caméra. Mais Jean-Philippe Toussaint est-il écrivain ? Plasticien ? Cinéaste ? Bref, plus ouverts aux arts de l’image, aux séries, aux jeux vidéos, ces écrivains travaillent en pleine liberté… sans toutefois négliger les questions qui traversent depuis toujours celles et ceux qui les ont précédé, et par exemple celle de notre place dans ce vaste monde. Les découvertes continuent.
Norbert Czarny
..
• Dominique Viart, «Anthologie de la littérature contemporaine française. Romans et récits depuis 1980», Armand Colin / Scéren-CNDP, 320 p.
• Un panorama du roman français contemporain sur ce site.
..