La première évaluation des écrits de collégiens

Comme chacune des fiches conseil que nous proposons dans le cadre du site de l’École des lettres, celle-ci n’a pas d’autre volonté que de permettre d’aborder concrètement le problème posé sans prétendre pour autant le résoudre complètement.
L’idée est simplement d’amorcer la réflexion, non d’une façon théorique, mais en posant un point d’appui favorable à une plus juste évaluation initiale des copies d’élèves et tout particulièrement de ceux de collège.
Ajoutons que ces propos s’adressent spécifiquement aux néo-professeurs de lettres, assumant, de fait, des éléments concrets et pratiques, que quelques vieux « brisquards » du métier pourront légitimement trouver trop évidentes.

 

Règle d’or

Avant tout chose, se dire qu’un écrit d’élève (on imagine ici le cas d’un travail d’invention) est autre chose qu’une dictée et que, par conséquent, il s’agit prioritairement d’en évaluer le contenu.
En ce sens, il sera sans doute nécessaire de lire un écrit d’élève à haute voix. Vraiment ! Même si vos proches vous prennent pour un fou ! C’est le seul moyen pour que le « sens » émerge et que vous ne vous laissiez pas piéger par les « fautes » d’orthographe. Ces dernières, prenons-y garde, interviennent en effet comme des aspirateurs d’attention et elles conditionnent largement l’évaluation.
Ajoutons, que plus le tas de copies avance, plus ce phénomène se renforce, selon une logique d’entonnoir qui fait qu’on ne voit plus qu’elles, ces satanées « fautes » alors qu’il y aurait tant de choses à évaluer positivement avant !
Évidemment, cette technique de lecture rend caduque la correction dans les transports en commun. Toutefois, plus sérieusement, cette impossibilité doit être comprise comme une règle d’or. À évaluer trop vite, on finit par ne plus rien évaluer du tout (sinon les « fautes »), et la situation, lors de la remise des copies en classe, risque fort d’apparaître très embarrassante.
 

Le professeur de lettres : un écrivant et pas seulement un censeur

Drôle de métier où l’on passe son temps à évaluer les autres… en oubliant parfois que le travail demandé est « difficile », voire trop difficile. En conséquence, il est capital de traiter soi-même le sujet d’imagination donné (nous restons sur cet exemple) de façon à se rendre compte concrètement de ses exigences, de ses enjeux : avec l’idée toute simple que ce qui est difficile à réaliser pour un master 2 « capésien » ou « agrégé » risque fort de mettre dans l’impasse un élève de sixième !
En réalisant, même simplement au brouillon, le travail d’écriture demandé aux élèves, on adoptera d’évidence le bon positionnement. Combien de temps ai-je mis ? Quels sont les critères qui me permettraient d’évaluer ma propre production ?
En réalité, cette condition sine qua non d’une juste évaluation, outre le fait qu’elle nous rappelle que nous ne sommes pas tout à fait des « écrivains ratés », nous permet de définir déjà des critères d’évaluation en fonction des obstacles que nous avons nous-mêmes expérimentés. Oserions-nous ajouter que nous aurons toujours plus de crédibilité à confronter les travaux des élèves à notre propre production le jour tant redouté de la remise des copies et de la correction.
 

Évaluer, et non pas chiffrer « brut »

La réflexion sur l’évaluation d’un écrit d’élève passe nécessairement par celle sur la notation. Toutefois, elle dépasse le cadre de notre modeste contribution. Disons simplement que, quelle que soit la façon de prendre le problème (partisans du « chiffre » contre ceux de la « lettre »), il réside essentiellement dans la manière dont l’élève va « la » ou « le » comprendre.
Et là encore, il est grand temps d’intégrer qu’en matière d’évaluation, comme dans toute activité proposée aux élèves, le temps perdu est du temps gagné. En effet, si l’on adopte un nombre minimal de critères d’évaluation (et que donc on a « perdu » du temps pour cela), on a toutes les chances d’en gagner au moment de l’évaluation de chaque copie.
Et là encore, l’idée est bien de se dire les choses à haute voix : « Qu’est-ce que j’attends d’un élève de cinquième (par exemple) dans la réalisation de tel ou tel travail d’écriture ? »
Il faut, par conséquent, pour soi, formuler une attente précise, explicitement. Entre parenthèses, cette verbalisation de son ou de ses attentes et exigences constitue du temps gagné par rapport aux prochaines confrontations avec les parents. En effet, à eux aussi, il va falloir expliciter ces attentes, et pas à demi-mot !
 

Cohérence interne

Alors, allons-y ! Lançons-nous : qu’est-ce que j’attends de mon petit sixième sur cet écrit ? Eh bien, déjà, que son énoncé veuille dire quelque chose. Ce qui est loin d’être évident à la première lecture ; a fortiori si l’on ne respecte pas la règle de lecture à haute-voix de la copie (les problèmes d’orthographe et de graphie desservant mécaniquement l’écrit rendu).
Qu’importe pour l’instant que ce soit « hors sujet » : ce qui compte ici, à l’aune de ce premier critère, c’est : « Est-ce que ça a un sens ? »
Cela peut nous aider, déjà, à opérer un premier tri.

Cohérence externe

« Bon », cet écrit a un sens mais pas « le bon » : sans aucun rapport avec ce qui est demandé. On se situe ici par rapport à un nouveau critère.
Il va de soi, par parenthèse, que l’on pourra gratifier chaque critère de « points » ou de « + » en fonction de l’option retenue. Remarquons, bien entendu, que pour un professeur débutant, la stratégie d’une évaluation avec critères bien définis a quelque chose d’un peu désespérant. Tout ce temps de perdu pour ça ! Oui, mais, combien de temps gagné par la suite !
Sous l’item cohérence externe, on est, en outre, à même d’ajouter des éléments qui relèvent de la contrainte linguistique possiblement proposée à l’élève dans la réalisation de sa tâche (ex : « Vous utiliserez l’imparfait de l’indicatif dans la description du lieu »). En clair, nous nous nous trouvons à ce stade de notre raisonnemen en face de trois critères :
1. L’énoncé a un sens ou pas.
2. L’énoncé répond au sujet ou pas.
3. L’énoncé tient compte de la contrainte linguistique imposée ou pas.
Sans parler de la taille de l’énoncé (qui peut donc constituer un nouveau critère) ! Et là-dessus les exigences des programmes sont claires : tant de lignes en 6e, tant de lignes en 5e… En n’oubliant pas cependant qu’il s’agit d’objectifs à terme et non de résultats à obtenir dès le premier écrit !

La cohésion grammaticale

Évidemment, tout finit par être lié dans l’évaluation. Et, on aura beau « finasser » dans les critères d’évaluation, les bonnes copies resteront les bonnes. Toutefois, que l’on s’intéresse à celles-là ou aux autres, le problème demeure. Selon quels critères ai-je pu décréter que tel écrit valait 02/20 ou 15/20 ?
En clair, l’évaluation ne doit pas être comprise comme un mode de sanction ; davantage comme un outil de formation. Ce qui peut impliquer par exemple que l’élève puisse revenir sur sa production, voire qu’il ait le loisir d’améliorer sa « note ». L’idée c’est d’éviter le « couperet » !
De ce point de vue, il faut se rappeler qu’un élève de collège n’est pas simplement promis aux études générales. La réalité concrète de la scolarisation post-collège conforte l’idée que le « technique » (même en lycée général) l’emporte largement sur le « général ». Combien de 1res STT dans un établissement ? Combien de 1res L ? Les faits sont là. En outre, beaucoup d’élèves obtiennent une orientation professionnelle après la classe de 3e. Ce qui commence à faire beaucoup de monde !
Qu’en conclure ? Tout simplement que nos élèves n’entrent pas tous dans le même moule et qu’il est par conséquent nécessaire de « différencier » l’évaluation. En clair, l’attente ne sera pas la même dans tel et tel cas ou, pour être plus concret, la « valeur » des critères pourra être différente en fonction des cas.
Mais revenons-en à notre évaluation concrète d’un écrit. La liste des entorses linguistiques resterait bien entendu à approfondir. Toutefois, on remarquera de façon criante la tendance des élèves à écrire « au kilomètre ». Pour beaucoup, en effet, l’écriture ne peut se dérouler qu’en mode « formule 1 » qui, comme on le sait, ne s’arrête que lorsqu’elle n’a plus d’essence. Aussi, l’élève aura-t-il tendance à écrire le mot « fin » quand il pensera avoir achevé, allant jusqu’à remettre immédiatement sa copie à son professeur. Il va de soi que la ponctuation est alors souvent absente et que l’on repère maintes répétitions (avec trop peu de recours aux substituts nominaux et/ou pronominaux dans le cas d’un récit par exemple).
En ce sens, le simple fait de rayer proprement un mot et de le remplacer par un autre (d’une autre couleur) après relecture de la copie doit être valorisé. Il faut que l’élève voie que le professeur a apprécié son effort de « correction » aussi minime fût-il. C’est un nouveau critère dont on pourra tenir compte.
Ce qui donne en plus de ceux déjà énoncés.
4. L’énoncé est ponctué ou pas.
5. L’énoncé est répétitif ou pas.
6. L’élève a effectué (d’une couleur différente) des retours pertinents.
En gardant à l’esprit que la taille de l’énoncé – par exemple : 10 lignes demandées – peut constituer un critère.

La maîtrise du code orthographique

Impossible de n’y prêter aucune importance. Impossible car même les élèves qui s’orienteront à la fin du collège dans des filières courtes devront en avoir une maîtrise minimale. Néanmoins, l’idée est ici de souligner combien il importe de ne pas inverser les priorités. L’erreur, ad minima, serait de tout polariser sur l’orthographe.
Lors du temps de correction, on prendra soin, cependant, de se servir des erreurs commises, pour rappeler des règles grammaticales. Il sera ainsi possible de retravailler sur le lien syntaxique entre les constituants de la phrase. On repèrera alors aisément ce qui « cause souci » à savoir que l’élève cumule les constituants sans faire de lien entre eux. Phénomène renforcé par son écriture « au kilomètre » : toujours progressive et jamais « régressive » si l’on prend ce terme dans une signification positive.
Il suffirait que ces quelques modestes conseils soient appliqués pour que l’évaluation initiale du néo-professeur de lettres ait toutes les chances d’être mieux comprise par les élèves, par les parents, et par les autres professeurs…

Antony Soron

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• Voir sur le site de « l’École des lettres » : 

– Conseils pour une première prise en charge de sa classe par le professeur de lettres, par Antony Soron.

Premier poste, dix conseils pour entrer dans le métier, par Thérèse De Paulis.

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Antony Soron
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