Affaires de style
La littérature dite étrangère se concentre surtout pour les suppléments livres de ces dernières semaines autour des publications romanesques américaines – Jonathan Frenzen –, celles, attendues, des grands auteurs – Dashiell Hammett –, mais aussi quelques redécouvertes – Solomon Gursky – et des surprises – Patti Smith.
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Un thriller
Purity le dernier roman de Jonathan Frenzen occupe les unes de la critique ces dernières semaines ; pour Le Monde des livres et Florence Noiville, il « lève le secret » : roman prenant pour figure principale un lanceur d’alerte et la rencontre de ce dernier avec une jeune femme perdue à la recherche de son père biologique, cet épais thriller (L!Olivier, 752 p.) présente toutes les caractéristiques d’un roman fleuve en prise sur l’actualité la plus cruciale et les sujets de société du moment.
Les prénoms des héros, Andréas pour le garçon et Pip pour la fille renvoient à leur personnalité sombre et paumée. La prolifération des récits enchâssés ou parallèles signe l’habituelle manière de Frenzen depuis Les corrections tout en reflétant ici plus particulièrement le monde globalisé du réseau.
Florence Noiville nous livre le centre de la réflexion de l’auteur : « Le sujet des sujets c’est le secret […] un impératif contradictoire le taire et le dire. » Pour Stéphane Lançon, de Libération, le constat va bien au-delà du seul Frenzen :
« L’Amérique terre d’immigration et de liberté est le pays des catégories. C’est peut-être ce qui donne tant de puissance et de professionnalisme à ses meilleurs romanciers. »
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Des romanciers ? Pas seulement
« Un écrivain nommé Patti Smith », titrait il y a peu… le Figaro littéraire, avant d’être rejoint par Libération et Le Monde. « La furie éructant des années 1970 », comme la nomme Bruno Corty, réussit depuis quelques années une reconversion, ou plus exactement une double carrière ; elle-même donne acte de cette continuité à Élisabeth Franck-Dumas dans l’entretien qu’elle lui accorde à l’occasion de la sortie de son livre (M Train, Gallimard) :
« Question : La musique a-t-elle influencé votre manière d’écrire ? Réponse : Non, c’est plutôt le contraire : le fait que j’écrive a fait de moi la chanteuse que je suis. Je ne suis pas musicienne. J’ai commencé dans la musique grâce à la poésie : je faisais des performances, j’étais jeune, agitée, et parfois le langage ne suffisait pas, il fallait une guitare, quelque chose de sonique, un piano pour donner du rythme. »
Et il est vrai que ses influences revendiquées, en dehors des poètes beat comme Ginsberg ou Burroughs qui lui ont mis le pied à l’étrier, ce sont surtout Proust, Nerval ou Wilde qu’elle est allée « voir » au Père-Lachaise et des écrits de l’imaginaire enfantin comme Les Quatre FiIles du docteur March (elle s’identifie à « Jo March, l’écrivain, le garçon manqué dégingandé ») et Pinocchio.
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Côté redécouvertes, on notera le retour de Dashiell Hammett
sous l’égide de sa traductrice et éditrice Nathalie Beunat
Celle qui voulait apprendre l’anglais sans faire d’effort, en lisant quelque chose de facile a pris en ouvrant un roman de Hammett « une grande claque et avoue depuis une histoire d’amour » de trente ans.
« Interprète supérieurement qualifiée », dit à son sujet Sébastien Lapaque du Figaro littéraire, il la présente comme celle qui a sauvé les œuvres d’Hammett des ciseaux de Duhamel, le couturier démembreur de la « Série noire ».
« Mais il fallut attendre plus de soixante-dix ans pour que ces belles infidèles dopées à l’argot de Pigalle et de Ménilmuche soient revues par Nathalie Beunat et Pierre Bondil. »
Résultat de cette renaissance, l’achèvement de la publication de ses œuvres complète ; Hammett devient un auteur du répertoire, il a même fait l’objet d’une semaine complète d’émissions dans la Compagnie des auteurs sur France culture.
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Enfin, un peu plus au nord nous assistons à la renaissance
d’un auteur majeur des lettres canadiennes anglophones
Mordecaï Richler, selon la formule, a été salué par l’ensemble de la critique pour son roman fleuve Solomon Gursky. Nicolas Weil, pour Le Monde, insiste sur la durée de l’œuvre qui nous rapporte un siècle de l’histoire familiale à travers les recherches d’un de ses membres (notamment), écrivain alcoolique et hanté par une idée fixe assez typique du perdant magnifique des lettres américaines :
« De cette dynastie de parvenus et de flamboyants parias, Moses Berger, auteur sans grand succès, s’entête à percer le mystère en s’attachant à Solomon Gursky – le cadet bibliquement préféré à Bernard l’aîné –, que l’on croit mort dans un accident d’avion. »
Pour Johanna Luyssen, du LibéL, c’est la personnalité du personnage central des débuts de l’œuvre, un millénariste juif du nom d’Ephraïm Gursky, alternativement vendeur d’armes, gourou, « de tous les mauvais coups » en somme, qui retient l’attention et nous permet d’entrer dans le roman. Ce dernier possède toutes les qualités d’un chef-d’œuvre et peut être comparé à Cent Ans de solitude. Un personnage est d’ailleurs placé vers la page quarante, qui feuillette le-dit roman.
Pourquoi attendre si longtemps avant de redécouvrir cet écrivain exceptionnel ? Peut-être parce que, canadien anglophone, Mordecaï Richler a dénoncé les abus et les ridicules des nationalistes québécois… Qu’importe, les Éditions du sous-sol et Le Boréal ont entrepris de nous introduire à cette œuvre importante.
Frédéric Palierne