Agnès Lassalle,
tuée dans sa classe

Les obsèques d’Agnès Lassalle, professeure d’espagnol tuée par un élève dans son lycée de Saint-Jean-de-Luz, ont eu lieu à Biarritz ce 3 mars 2023. Ce drame a suscité peu de réactions, à l’inverse du meurtre de Samuel Paty le 16 octobre 2020. Il en réveille un autre : celui de Fabienne Terral-Calmès, poignardée devant ses maternelles par une mère d’élèves à Albi, le 4 juillet 2014.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

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« Voici un assassinat : s’il est politique, c’est une information, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers », disait Roland Barthes. Le meurtre par décapitation, dans une rue non loin de son établissement, du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, le 16 octobre 2020, a fait la une des journaux. Perpétrée par un jeune homme extérieur au collège, au nom d’une croyance fanatique, facilité par des réseaux sociaux prompts à attiser la haine en ligne, et d’une rare atrocité, la tragédie justifiait des questionnements tous azimuts avec, en arrière-plan, l’inquiétude de voir le modèle républicain une nouvelle fois attaqué de manière démente après les attentats de novembre 2015 contre Charlie Hebdo. Le meurtre d’Agnès Lassalle, tuée le 22 février par un élève armé d’un couteau dans l’espace a priori sanctuarisé de sa salle de cours, s’est produit dans un tout autre contexte, et soulève encore de nombreuses questions.

La victime, enseignante chevronnée et respectée de 52 ans, officiait depuis 25 ans dans cette ville favorisée du sud-ouest de la France, Saint-Jean-de-Luz, et dans un établissement scolaire d’un millier d’élèves, le lycée Saint-Thomas d’Aquin, intégré dans l’enseignement privé. « Un établissement très calme, réputé pour la sérénité de son climat scolaire », a précisé le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui s’est rendu sur place.« Face à ce drame, nous avons tenu à être présents pour témoigner de notre émotion, mais aussi de notre solidarité, à l’égard de la communauté éducative. », a-t-il ajouté. « Il n’y a jamais eu de difficultés ici, comme on en observe ailleurs », a déclaré au Figaro Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, par ailleurs vice-président de la commission de l’éducation au Sénat. Ce lycée privé catholique serait l’un des plus prisés du Pays basque. « Des générations de Basques sont passées par cet établissement, qui ressemble à une famille. », a ajouté le sénateur.

Au stade actuel de la procédure judiciaire, peu d’éléments ont filtré. Il apparaît toutefois que le meurtrier de 16 ans – qui avait préparé l’agression – s’estimait mal noté en espagnol. « Petite cause, grands effets », reprenait Roland Barthes dans ses études sur le fait divers (Essais critiques, 1964). D’où le silence qui a suivi, nonobstant le respect pour la victime, sa famille et pour tous les élèves qui ont assisté à l’assassinat de leur professeure par l’un des leurs. Les médias ont, pour une fois, évité la curiosité maladive qu’un acte réalisé par un adolescent avec un couteau de cuisine de dix-huit centimètres peut déclencher.

Tout le monde, aujourd’hui, évoque à nouveau Samuel Paty, mais qui pense à Fabienne Terral-Calmès, institutrice poignardée par une mère d’élève, le 4 juillet 2014 à Albi, devant sa classe de maternelle ? L’agresseuse avait justifié son acte en déclarant que cette enseignante « voulait lui prendre sa fille ». Agnès Lassalle a été tuée alors qu’elle donnait son cours comme tant d’autres enseignants au même moment. « Une collègue assassinée alors qu’elle faisait son métier. Les mots sont difficiles à dire car ils disent l’indicible, ils disent l’impensable : mourir en enseignant. », a résumé Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU.

L’expert psychiatre qui s’est penché sur le meurtrier d’Agnès Lassalle n’aurait retrouvé « aucune maladie mentale de type schizophrénie, état maniaque, mélancolie ou retard mental, ni aucune décompensation psychiatrique aiguë », d’après un article paru dans Le Monde qui indique aussi : « Parmi les enseignants, certains invitent à s’interroger sur le suivi et l’accompagnement psychologique des élèves au sein des établissements scolaires, et aux moyens qui y sont dévolus. » Il faudra également réfléchir à la peur qu’un tel geste attise au sein d’une profession malmenée et en pleine crise des vocations. Enseigner sans peur : un objectif urgent.

À la sortie de la cérémonie d’enterrement, « Je ne repartirai » pas de Nat King Cole a retenti devant l’église. Un homme a commencé à danser seul sur le parvis, bientôt rejoint par des couples de danseurs. Agnès Lassalle adorait danser. La vidéo de celui qui partageait sa vie dansant sans elle, devant son cercueil, est devenue virale. Elle dit l’absence et donne une autre image du deuil, terriblement émouvante et bouleversante.

A. S.


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Antony Soron
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