Une alternative à la routine : les "enseignements de l’extrême"

Parle-t-on assez des enseignants usés, découragés, démotivés ? Non pas des néo-titulaires qui, paniqués, jettent l’éponge au bout d’un an, mais des anciens, des gradés, des chevronnés, ceux qui, en dépit des échelons acquis et des missions accomplies, éprouvent, après vingt ou trente ans de métier, un malaise, une frustration, une interrogation : à quoi je sers ? À quoi sert mon enseignement ? Qui en profite ? Qui le désire vraiment ?
L’un des problèmes majeurs rencontrés par les enseignants est sans doute le manque de retour, de reconnaissance ou de gratitude de ceux pour qui ils travaillent, élèves, familles et même personnel de direction. Faut-il se dévouer tant d’années pour ne provoquer qu’ennui ou indifférence ?
Une solution existe.

L’enseignement auprès de publics particuliers

Certains ont choisi des formes extrêmes d’enseignement, auprès de publics particuliers. Ils interviennent dans des milieux très divers et en apparence très différents : hôpitaux, maisons d’arrêt, microlycées, SRE (structures de retour à l’école), ULIS ou encore GRETA, quoi de commun entre ces structures hétérogènes sinon une profonde motivation chez tous ceux qui suivent les enseignements proposés ?
Détenus, enfants hospitalisés, handicapés, décrocheurs aspirant à une deuxième chance, adultes illettrés, ils sont nombreux ceux pour qui l’enseignement prend un sens singulier et précieux, ceux qui sont demandeurs d’instruction ou d’éducation, ceux qui désirent l’école et le savoir, ceux qui ressentent le livre ou l’écriture comme une évasion ou une libération.
Faut-il ces situations extrêmes pour que l’on découvre ou redécouvre le privilège que constitue la scolarisation ? Le proverbe résonne de toute sa vérité : c’est lorsque le puits est à sec que l’on connaît la valeur de l’eau.

Quelques chiffres

Les chiffres sont partout en augmentation : près de 50 000 détenus participent aux activités scolaires, plus de 11 000 enfants hospitalisés ou scolarisés à domicile, des décrocheurs volontaires pour un retour à la scolarisation de plus en plus nombreux : 15 000 jeunes en École de la seconde chance, 3 000 en Épide (établissement public d’insertion dans l’emploi), et à chaque fois des réponses du Ministère à la hauteur des attentes : réponses en terme d’effectifs, de pédagogie, de structures adaptées.
Pour l’enseignant bénévole ou volontaire, titulaire ou vacataire, l’intérêt est grand en effet : bien souvent une formation spécifique est proposée sous forme d’un certificat complémentaire (notamment le CAPPEI), puis une fois en situation, l’enseignement est personnalisé, individualisé ou effectué en groupes réduits, la pédagogie est bienveillante, fondée sur l’attention à la personne plus que sur la recherche de la performance, les horaires sont aménagés, les évaluations et examens envisagés en douceur. Tout est différent et pourtant l’essentiel du métier reste le même, plus visible encore que dans les structures classiques : plaisir d’apprendre et transmission de connaissances.

Pour une éducation inclusive

Ces engagements sont une partie d’un ensemble plus vaste connu sous le nom d’éducation inclusive. Il revient à Danielle Zay, professeur honoraire à l’université Lille 3, d’avoir posé en 2012 les bases d’une réflexion sur une éducation n’excluant personne. À partir de la situation des enfants handicapés, puis des enfants issus de minorités, Danielle Zay déplace le problème en n’en faisant plus une simple question de besoins mais une question de droit et de justice sociale.
Il ne s’agit plus de réfléchir en termes de capacités plus ou moins grandes, d’intégration plus ou moins réussie, mais en termes de diversité d’apprentissage afin de donner à tous le plaisir de la connaissance. Le principe d’éducabilité, le « tous capable » est le fondement d’une pédagogie non pas différenciée au sens où se recréeraient des catégories d’élèves spécifiques, mais différente au sens où la compétition et la sélection en seraient absentes pour ne viser qu’à former des citoyens égaux
L’université d’été de l’Institut national supérieur de formation pour l’éducation de jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) vient de s’achever ce 12 juillet en présence du ministre de l’Éducation nationale. Celui-ci a rappelé qu’une école inclusive était une priorité pour une société attachée à l’égalité des droits et des chances.

Retrouver le sens, l’engagement social et la liberté pédagogique

Les témoignages de ces enseignants de l’extrême, nombreux chez les intervenants en prison, sont souvent impressionnants et émouvants. Chacun d’eux fait état de difficultés mais aussi de bonheurs, de surprises et de satisfactions.
Si la réussite de l’enseignement se mesurait au nombre de remerciements reçus par les professeurs, c’est bien auprès de ces publics particuliers que le taux de « merci » s’avérerait le plus important, et par conséquent le plus valorisant pour notre système éducatif, bien loin devant l’indifférence des élèves ordinaires emportés par l’enseignement traditionnel.
Pas étonnant dès lors que soient de plus en plus nombreux ceux qui, en quête de sens, d’engagement social et de liberté pédagogique, se tournent vers ces formes d’éducation.  Ils sont quelques milliers, mais combien d’entre nous ne seraient prêts à les rejoindre ?

Pascal Caglar

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• Voir notamment sur ce site la série d’articles consacrés aux UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants).
• Voir également : Reprendre des études pour reprendre sa vie en main, par Françoise Noël-Jothy, proviseure du Lycée d’adultes de la Ville de Paris.
Troubles spécifiques du langage et des apprentissages : approches cognitive et pédagogique : les sessions de formation de l’INSHEA.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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