ATD Quart Monde fait témoigner les familles précaires sur les inégalités scolaires
Par Benoit Falaize, historien au Centre d’histoire de Sciences Po
Il est des livres essentiels qui viennent percuter l’école. On parle aisément d’inégalités entre savants et chercheurs, ou des inégales dispositions sociales face aux apprentissages. Colloques, séminaires, tables rondes se multiplient. L’Égale dignité des invisibles. Quand les sans-voix parlent de l’école, sous la direction de Marie-Aleth Grard, n’est pas une nouvelle étude sur la misère, mais un témoignage écrit par ceux qui vivent la pauvreté et en souffrent chaque jour. Ils sont mieux placés pour l’évaluer que n’importe quelle analyse distanciée. Publié par le mouvement ATD Quart Monde, dans le cadre de son combat pour la dignité de toutes et tous, cet essai se fait le porte-parole d’enfants et de parents peu entendus.
Plusieurs voix s’y font entendre, de militants d’ATD – Gwenaëlle, Céline, Vincent –, mais aussi d’élèves, comme Raphaël et Thomas, et de militants de l’école pour tous. Soucieux d’une égalité palpable, toutes et tous réclament un égal accès à la dignité et à la culture, dans la lignée du mot d’ordre de Joseph Wresinski, fondateur du mouvement, et de tant de pédagogues qui se battent depuis la fin du XVIIIe pour l’école du peuple.
Garder la tête haute
Cette pauvreté ne concerne pas une poignée de concitoyens, prévient Marie-Aleth Grard : « Quelque 20 % des mineurs, soit 2,9 millions d’enfants et de jeunes, sont issus d’une famille vivant sous le seuil de pauvreté et, parmi eux, 1,6 million appartient à une famille vivant dans la grande pauvreté. » De quoi mettre à mal la promesse républicaine. Comment accepter ce que disent toutes les familles précaires confrontées à l’institution scolaire ? À la lecture de ces témoignages, les points communs abondent.
Les parcours scolaires apparaissent très chaotiques, les enseignants acceptant presque à leurs corps défendant la fatalité de l’échec scolaire des enfants pauvres. Il s’agit de « garder la tête haute » disent les parents face à l’humiliation parfois, au mépris aussi, au regard que l’école renvoie à ces familles. Elles sont démunies financièrement certes, mais elles sont également dépourvues des codes d’accès à la compréhension du monde scolaire. De nombreux parents ayant souffert de difficultés scolaires, ils estiment ne pas être armés pour aider leurs enfants. Ils en tirent du dépit, un sentiment d’impuissance et de honte qui se transmet trop tôt à leurs enfants.
Recherche-action
Ces familles disent aussi que l’école ne leur a pas donné de chances, dès le début. Premier marqueur : les devoirs à la maison sans parents pour aider, dès le CP. S’installe une fragilité chez l’élève à laquelle se surajoutent de plus grandes encore engendrées par la précarité des conditions sociales. Les parcours scolaires deviennent chaotiques, ponctués de sigles vécus comme dévalorisants – IME, Itep, Segpa, Ulis, CAP, Clis, etc. – qui contredisent la sensation de pouvoir faire plus, d’avoir un enfant qui peut réussir si on lui donne sa chance. Tous ces dispositifs vécus comme des relégations, peuplés en majorité d’enfants en précarité, n’offrent rien de valorisant pour les familles.
La recherche-action que mène ATD au sein de son groupe CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation) réunit des militants d’ATD, des parents, des enseignants et la chercheuse Dominique Reuter interrogée en fin d’ouvrage. Son objectif consiste à dégager des leviers d’action : plus d’aide dans les classes, une vraie mixité sociale, et s’appuyer plus massivement sur la formation des maîtres. C’est crucial : c’est souvent le regard porté sur un élève par une maîtresse ou un professeur de collège qui permet de reprendre espoir.
Entendre leurs désirs et leurs craintes, les associer à la scolarité de leurs enfants et leur apprendre à maîtriser les codes : dès que l’école accepte de travailler avec les familles, la réussite s’ouvre un chemin.
B. F.
Marie-Aleth Grard, L’Égale dignité des invisibles. Quand les sans-voix parlent de l’école, Éditions Quart Monde/Le Bord de l’eau, Lormont/Montreuil, 2022.
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