Le bac et ses masques

Alors que les résultats du bac viennent d’être communiqués, atteignant des taux de réussite record et mettant fin à deux mois de faux suspense, les propos d’un collègue de lycée récemment rencontré trouvent une résonance plus grande et plus grave encore.
Ce dernier me disait à peu près ceci :

« Après avoir rendu impossible ces deux derniers mois toute parole d’élèves sur autre chose que le respect des mesures barrière et la performance des outils numériques, il serait temps que le ministère entende d’autres voix, d’autres inquiétudes, à commencer par ce qui ressort de nombreux témoignages de lycéens frustrés, écœurés même, par la manière dont le contrôle continu s’est substitué aux épreuves du bac, au plus grand mépris des niveaux, des hiérarchies, des capacités, des évaluations et des règles d’égalité. »


Parce que les élèves ont conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, beaucoup ont eu le sentiment que ce bac 2020 ne reconnaîtrait pas vraiment leur mérite ou leur potentiel. Lorsqu’ils ont exprimé leur crainte d’un bac dévalué (au rabais), c’est en fait de leur propre valeur qu’ils parlaient, de leur impossibilité d’éprouver au fond d’eux-mêmes l’estime de soi à laquelle ils pouvaient prétendre.
Il y a vingt ans déjà, avec le début de l’inflation des mentions TB au brevet, ces résultats qui nivelaient les capacités réelles des élèves entraînaient l’impossibilité sous une même mention de distinguer les vrais niveaux. C’est ce même phénomène de lissage des différences qui se produit avec ce bac 2020, avec comme inévitable conséquence ces légitimes interrogations : Qu’est-ce que je vaux ? À quoi bon travailler ?
Un parallèle peut s’établir alors entre professeurs et élèves, confrontés les uns et les autres à une perte de sens de ce qui les rassemble à l’école : transmettre pour les uns, apprendre pour les autres, et pour tous la croyance en une dignité d’éducation Mais avec des résultats en trompe l’oeil, des examens généreux, chacun doute et redoute d’entrer dans un simulacre d’instruction.
À dire vrai cette crainte n’est pas fausse car désormais, clairement, l’enjeu pour le ministère est ailleurs, comptable, idéologique : tel le pôle stratégie et développement d’une entreprise, il semblerait que l’organisation et la réorganisation permanente des moyens et des ressources visant à fluidifier le passage des élèves vers le supérieur soient son unique souci.
Dans un tel chantier le bac ressemble à une vieille façade dans un immeuble que l’on rénove : on la conserve et derrière on abat tout pour reconstruire à neuf et tout autrement.
Cette obstination à vouloir saturer les années de Première et Terminale de contrôles continus et d’évaluations permanentes – au nom du bac à protéger – a beaucoup moins à voir avec un souci de niveau d’instruction qu’avec un souci de formation sociale, faisant penser à cette docilité requise dans l’entreprise, assignant un même but à l’employé comme à l’élève : remplir ses objectifs et valoriser ce qui est quantifiable.
À cet égard, le prochain bac, avec sa batterie d’épreuves et de contrôles répartis tout au long du lycée, est bien l’apprentissage à la vie professionnelle, obsédée par l’évaluation permanente et la mesure de la performance. Une telle éducation gagne effectivement à commencer de bonne heure.

Pascal Caglar

Voir sur ce site :
Le chantier permanent du baccalauréat, par Antony Soron.
 
 

Pascal Caglar
Pascal Caglar

Un commentaire

  1. Très juste. Un exemple me vient en tête d’élève qui avait 8,1 de moyenne à l’issue du contrôle continu, qui, par le biais de l’arrondissement au point supérieur voulu par le ministère puis par les manipulations effectuées par les différentes commissions d’harmonisation a fini à 9,7! Et bien sûr a bénéficié de la « bienveillance » d’un collègue de philosophie à l’oral du second tour. L’élève en question, qui n’a manifesté pendant l’année aucun souci du suivi de sa scolarité, a donc eu son bac, s’offrant même le luxe de ne pas passer l’autre épreuve du second tour tant il était sûr de son rapt. Son succès ne nous enlève rien mais il interroge justement ceux qui ont travaillé, se sont préparés. Il décrédibilise, notre travail, notre parole auprès des élèves. « Travaillez, ne faites rien, vous aurez le précieux sésame! » Mais le plus triste dans tout cela, c’est que c’est l’institution, qui devrait nous inciter à « élever » le niveau des enfants, qui nous recommande la sempiternelle bienveillance, gentil euphémisme utilisé pour ne pas parler clairement de laxisme.

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