Épreuves terminales du baccalauréat 2020 : vers une sage et douloureuse décision ?
Jean-Michel Blanquer a amorcé la seconde période de confinement par une déclaration réjouissante, à savoir que les vacances d’été seraient maintenues. Au fil de la semaine, devraient suivre des annonces sur d’autres sujets brûlants, dont la tenue ou non des épreuves terminales du baccalauréat.
Une décision politique à assumer
Cette année, le baccalauréat a fait couler beaucoup d’encre. Et jusqu’il y a peu, les E3C (épreuves communes de contrôle continu) constituaient un objet majeur de discorde. Ironie du sort, en ces temps plus qu’incertains quant à la date d’une possible reprise des cours, le contrôle continu revient s’imposer dans le débat. En effet, la question qui trottait dans toutes les têtes depuis quelques jours déjà doit aujourd’hui être posée explicitement : est-il tenable de maintenir les épreuves terminales orales et écrites du baccalauréat ?
Face à cette interrogation, le ministère de l’Éducation nationale a nécessairement établi plusieurs scénarios. Une chose est sûre, il ne devra pas tarder à trancher. Ce qui reviendra à prendre, au sens noble de l’expression, une décision politique.
Car, toutes et tous, élèves, parents, professeurs, personnels éducatifs et administratifs ont besoin d’un éclaircissement et ce, sans déni de réalité ni illusions ingénues. Dans le contexte anxiogène entretenu par la difficulté de freiner radicalement l’expansion de l’épidémie de COVID 19, il ne semble plus temps d’espérer naïvement, à court terme du moins, des lendemains moins dramatiques. Les faits sont là, implacables et douloureux. Désormais, c’est donc bien un temps long que chacun est sommé d’affronter, un temps long qui impose naturellement, sur le plan éducatif, non pas de simples aménagements de calendrier mais de vraies prises de décision, aussi désagréables soient-elles aussi bien à annoncer qu’à entendre.
Un cap symbolique à dépasser
Les écrits du baccalauréat 2020 peuvent encore paraître lointains : 17 juin pour les premiers, soit ceux de français (épreuve anticipée) et de philosophie. Mais ne s’agit-il pas ici d’une erreur de perspective ? Si l’on admet en effet que l’Hexagone n’en est encore qu’au tout début d’une crise sanitaire en expansion, cela suppose sans doute de ne plus raisonner quinzaine après quinzaine mais, froidement, en mois. Or, comment imaginer pragmatiquement une reprise universelle et sans condition dans les établissements scolaires avant le 15 mai, pour n’en rester qu’aux prévisions officieuses du Ministère ? Et comment envisager sérieusement un retour aux apprentissages à un mois des épreuves ? Le problème se posant d’ailleurs avec quasiment la même acuité pour les épreuves du diplôme national du brevet prévues les 29 et 30 juin. Dans le cas où les épreuves écrites seraient maintenues, la période de reprise de cours ne seront-elles pas nécessairement réduites à une peau de chagrin ? La préparation des salles d’examen exigeant, entre autres contraintes, des délais incompressibles.
Mais de façon plus fondamentale, la question en ce trimestre sinistré est-elle finalement de maintenir l’examen phare de la scolarité française ? D’autres enjeux beaucoup plus prioritaires ne supposent-ils pas, comme cela s’est manifesté dès le début du confinement obligatoire, la polarisation de la communauté éducative ? Enjeux aisés à énumérer et tous aussi cruciaux les uns que les autres :
– lutter contre l’accroissement inexorable du décrochage scolaire,
– enrayer le phénomène de désapprentissage, particulièrement préoccupant des les classes de maternelle jusqu’en terminale en passant par la classe de CP, année de tous les risques pour les lecteurs les moins assurés,
– maintenir le lien école-famille,
– stabiliser un socle commun de compétences et de connaissances en vue de l’année scolaire d’après.
Affronter un enjeu psychologique
L’attachement des Français au baccalauréat est réelle. Le jour de l’épreuve de « philo », par exemple, est surmédiatisé par rapport à l’intérêt moyen porté à cette discipline. De fait, annoncer la suspension des épreuves terminales – et/ou le report de l’épreuve anticipée de français au mois de septembre – au profit d’une validation exclusive de l’examen sous la forme du contrôle continu peut effectivement faire courir le risque d’une démobilisation générale des élèves. D’où la nécessité, si l’option est retenue, d’une part de consolider les parcours d’enseignement à distance que les professeurs ont mis en place sans compter leur temps ni leur énergie et d’autre part de redonner sa pleine importance au troisième trimestre, même s’il se déroule pour l’essentiel à distance.
En tout état de cause, il revient au ministère de l’Éducation nationale de déterminer un cap et de s’y tenir en regardant les choses telles qu’elles sont et non telles que l’on espérerait qu’elles soient. Et ce, d’autant plus que, selon toute probabilité, beaucoup risquent d’encore être touchés de près ou de loin par l’épidémie et que la résilience collective a toutes les chances de subir de sérieux coups de semonces durant les longs jours à venir.
Quoi qu’il en soit, la décision politique attendue ne devra pas être celle du renoncement mais bien de la lucidité, pas celle de l’abandon mais bien celle de la résistance de tout le système éducatif à l’épreuve inédite qui accable la nation, et au-delà, la planète tout entière.
Antony Soron,
INSPÉ Sorbonne Université
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