Le Concours européen de la chanson philosophique de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre
Connaissez-vous le concours de l’Eurovision ? Pas le show télé retransmis depuis sa naissance en 1957, mais le spectacle de Massimo Furlan créé en 2019 actuellement en tournée dans toute l’Europe et consacré à la chanson philosophique ?
Oui, pas d’erreur : l’Eurovision au théâtre, mais l’Eurovision de la chanson philosophique, avec un vrai jury, un vrai classement, une vraie analyse des textes : cet événement/performance créé par le Suisse Massimo Furlan et la dramaturge Claire de Ribaupierre ne pourra qu’enchanter celles et ceux qui s’efforcent de promouvoir la culture, la « valeur esprit », par les canaux mêmes qui d’ordinaire nous emportent dans la bêtise et la paresse.
Le projet est assez rare, assez original pour valoir une publicité aussi inspirante que méritée. L’artiste et performeur a demandé à des universitaires et chercheurs européens de premier ordre (pour la France Philippe Artières, historien des écritures « coupables » et criminelles, pour la Belgique Vinciane Despret philosophe et ornithologue, ainsi que neuf autres savants, anthropologues, psychanalystes, artistes ou écologistes) de composer une chanson, avec rimes, couplets et refrains exposant leur pensée, leurs travaux, pour ensuite la faire chanter dans le cadre parodique du concours de l’Eurovision, le tout sur une scène de théâtre transformée en plateau télé, spectaculaire à souhait, saturé d’écrans, d’effets spéciaux… et de sous-titrages pour les chansons en version originale.
Ainsi si, à l’exception du jury composé d’intellectuels débattant sérieusement du texte des chansons, tout est joué, voire surjoué (présentation, interprétation, costumes et décors), le jeu le plus bluffant est encore celui de ces philosophes mués en paroliers d’un soir, souvent doués d’un étonnant talent de compositeur comme, pour la chanson francophone, l’anthropologue suisse Mondher Kilani et sa chanson du cannibale :
« Le goût de l’autre s’est-il perdu à l’ère de la dévoration globale ? Il fut un temps où la gloire était du côté de la loyauté, Il fut un temps où l’identité se construisait en rapport avec l’altérité. »
Le spectacle parvient à tenir cette alliance rare entre rire et réflexion, plaisir des sens et plaisir moral, premier et second degré, pendant près d’une heure et demie, faisant de lui un objet unique et insolite. Appelé à tourner dans les onze pays participant aux concours (du Portugal à la Norvège, en passant par la Slovénie ou la Lituanie), cette pièce musicale et philosophique, jouée pour la première fois cet été en Suisse (à Lausanne et Genève) ne peut donner rendez-vous qu’à un public français restreint et privilégié dans quelques villes comme Bordeaux, Besançon, Bobigny, et Bayonne. Reste le livre, Onze chansons philosophiques, publié aux éditions ArtFictions en cet automne 2019.
Thèmes abordés par les philosophes-paroliers
– Marginalité et exclusion, par Philippe Artières (France) ;
– Désenchantement du monde, par Léon Engler (sociologue et dramaturge, Allemagne) ;
– Cannibalisme dans les sociétés d’hier et d’aujourd’hui, par Mondher Kilani (anthropologue, Suisse) ;
– Mémoire et espoir, par Vinciane Despret (éthologue, Belgique) ;
– Mathématiques et intelligence artificielle, par Jean Paul Van Bedegem (philosophe des mathématiques, Belgique) ;
– L’être et le non-être, par Santiago Alba Rico (philosophe, Espagne) ;
– Fragilité de l’existence, par Michèle Marzano (philosophe et politicienne, Italie) ;
– Écologie, par Ande Somby (philosophe du droit, Norvège) ;
– Écologie, par Kristupas Sabolius (philosophe, Lituanie) ;
– Culture et écologie, par José Braganca de Miranda (philosophe, Portugal) ;
– Être humain et raison, par Mladen Dolar (philosophe, Slovénie).
Les enseignants qui ne manquent jamais d’’énergie et de générosité pour sensibiliser à la culture et développer l’esprit critique de leurs élèves trouveront une source d’inspiration d’une fraicheur inédite dans ce projet artistique pluridisciplinaire, auquel on souhaite le même succès qu’à son illustre prédécesseur.
Pascal Caglar
• Pour toutes informations complémentaires, comptes-rendus, images et vidéos, se reporter au site du spectacle : https://europhilo.eu/
J’adore et je vais m’en inspirer. Merci pour cet article passionnant une fois de plus. Alexandra Ibanès