Contrepoint : "Les Garçons et Guillaume, à table!" de Guillaume Gallienne
Il faut bien le reconnaître : la transposition au cinéma par Guillaume Gallienne du spectacle qu’il donna sur scène il y a peu se révèle décevante.
Malgré une critique bienveillante voire louangeuse, malgré les vivats de Cannes en mai dernier et malgré une promotion savamment orchestrée.
Les Garçons et Guillaume, à table ! repose sur une idée astucieuse, ambitieuse même – comment un garçon, programmé pour être fille, reconquiert sa masculinité –, mais manque des qualités qui constituent un film : une intrigue, une construction cohérente, des personnages consistants, une utilisation pertinente des ressources de l’image.…
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Mais pourquoi recourir aux ressources d’un exotisme fatigué ?
Pour agrémenter le propos et respecter les codes cinématographiques, Gallienne, improvisé réalisateur, croit nécessaire d’exploiter, en premier lieu, les ressources d’un exotisme fatigué.
Ce qui nous vaut une longue séquence gratuite en Andalousie, une autre tout aussi superflue en Grande-Bretagne, une troisième sans intérêt en Bavière, avec, pour chaque expérience, un recours aux clichés les plus éculés : ici l’art de la « Sevillana » (pratique quotidienne et exclusive des Espagnols du Sud), là, l’ennui distingué devant une tasse de thé, ailleurs le sens de la discipline, qu’elle soit musclée ou charmeuse. On nous aura épargné l’Italie et ses spaghetti, la Hollande et ses canaux.
Quand il renonce à nous promener en Europe, l’apprenti cinéaste, décide, pour empêcher le spectateur de bâiller, de revenir au bon vieux comique national sous la forme de sketches mille fois déclinés : les plaisirs sadiques du pensionnat, les plaisanteries grasses de l’homophobie imbécile, la stupidité anachronique de la vie militaire, les inénarrables mésaventures du balourd à cheval ou à la piscine et, pour faire moderne, les séances d’imposture paresseuse sur le divan du psychanalyste.
Satire, parodie, autobiographie déguisée ou fiction fantaisiste ?
Le sujet central lui-même – l’initiation de Guillaume – est traité avec une désinvolture affligeante. À vouloir préserver à tout prix les recettes de la comédie populaire, Gallienne en oublie l’éventuelle profondeur du propos. Ou plutôt choisit délibérément de brouiller les pistes au moyen de pitreries et d’exagérations.
L’ensemble verse alors dans le caricatural, les situations devenant invraisemblables ou grotesques, les personnages obéissant aux pires stéréotypes, comme, pour se limiter à deux exemples, la grand-mère russe (beaucoup utilisée au cinéma) et surtout la figure du père, tyran domestique obsédé par la virilité que défend, sans grand succès, le malheureux André Marcon.
L’ambiguïté empêche l’adhésion : est-on dans la satire, la parodie, l’autobiographie déguisée (le personnage porte son propre nom) ou la fiction fantaisiste ? Les questions graves de l’identité, du rapport à la famille, du lien mère-fils, de la relation entre les sexes et les générations, du moi face à ses doubles, de la différence sont à peine effleurées, nous laissant deviner ce qu’aurait pu devenir un tel film mis en scène par un vrai pro du cinéma, genre Blake Edwards ou Woody Allen.
La performance d’un acteur Protée
Restent les étourdissantes métamorphoses de l’acteur-réalisateur Guillaume Gallienne, comédien au talent reconnu qui a décidé de se faire plaisir en jouant les Frégoli. Le résultat est réellement réjouissant, notamment quand il se glisse dans les vêtements d’une mère envahissante, au caractère, pour une fois, finement dessiné.
La performance de l’acteur Protée rappelle, par certains côtés, celle du prodigieux Alec Guiness dans le mémorable Noblesse oblige de Robert Hamer, sorti en 1949. La référence est flatteuse, mais elle ne réussit pas à sauver le film.
Nous sommes impatients de retrouver Guillaume Gallienne dans un spectacle de la Comédie-Française, dont il est un brillant sociétaire.
Yves Stalloni
• Voir la critique d’Anne-Marie Baron.