Crise de l’attractivité :
le rapport un peu court de Gérard Longuet
Nouveau billet d’humeur sous forme de dialogue pour décrypter efficacement le rapport remis à la commission des finances du Sénat sur la crise des vocations aux concours de l’enseignement. Avec ce conseil : si les experts ne descendent plus sur le terrain, qu’ils fassent monter profs et syndicats dans les ministères.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres à Paris
Nouveau billet d’humeur sous forme de dialogue pour décrypter efficacement le rapport remis à la commission des finances du Sénat sur la crise des vocations aux concours de l’enseignement. Avec ce conseil : si les experts ne descendent plus sur le terrain, qu’ils fassent monter profs et syndicats dans les ministères.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres à Paris
Ce 9 juin, le sénateur Gérard Longuet a remis à la commission des Finances du Sénat un rapport sur la crise d’attractivité du métier d’enseignant, avec ce sous-titre : « Quelles réponses des pays européens ? » Après l’avoir lu, un ami m’appelle :
« Alors, satisfait ? L’État ne cache pas la poussière sous le tapis mais prend à bras-le-corps le sujet de la crise de l’attractivité ?
— Hum !
— Pas question de cacher les faits ou de minorer le problème. Au contraire : le rapport annonce même que la crise ne peut qu’empirer en Europe et en France, avec le vieillissement constant de la population enseignante, la proportion grandissante des plus de 50 ans dans le corps professoral, (plus de 38 % en 2020) et l’âge moyen d’entrée dans le métier qui, de son côté, ne cesse de reculer. Pour preuve, ces chiffres sans appel : entre 2008 et 2018, l’âge moyen d’entrée dans le métier est passé de 27 à 31 ans. L’autocritique est courageuse, non ?
— Hum !
— Et le rapport tire la sonnette d’alarme : la baisse de candidats entraîne la nécessité de recruter des contractuels : 9,2, % en 2021, seuil historique après une augmentation annuelle de 2,5 % depuis 2010. En outre, elle rencontre l’accroissement faible, mais inexorable, des démissions qui ont franchi pour la première fois la barre des 3 % en 2020…. Vous dites ?
– Continuez…
– Le rapport ne cache pas non plus que les professeurs français sont les plus nombreux en Europe à souffrir d’un manque de reconnaissance sociale (94 % disent le ressentir). Il y a urgence…
– Hum !
– Eh bien ! Vous pouvez faire « Hum ! Hum ! », le gouvernement réagit, et Gérard Longuet fait des propositions, des recommandations, quinze au total, des salaires au suivi des évolutions : hausse de la rémunération des enseignants en début de carrière, simplification du calcul de la part indiciaire, accompagnement sous forme de mentorat des professeurs débutants, bonification de la rémunération dans les disciplines et les territoires où les déficits d’enseignants sont les plus importants, augmentation de la formation disciplinaire et pédagogique…
– Assez, s’il vous plaît !
– Pardon ?
– Est-ce qu’il y a là la moindre mesure nouvelle ? La moindre analyse originale de la crise d’attractivité et de ses causes ? La moindre remise en question des directions antérieures ? Ces recommandations sont une misère !
– Comment une misère ? Et la création d’une commission d’évaluation de la formation confiée à l’Inspection générale ?
– Bagatelle !
– Et la création d’espaces d’échange et de collaboration entre professeurs dans les nouveaux bâtiments scolaires ?
– Gadget !
– Et la mise en place au sein d’un ministère d’une nouvelle cellule d’analyse et de prospective ?
– La belle affaire ! En vérité, ce énième rapport ressasse pour la énième fois les mêmes marottes réactualisées par une comparaison avec les pratiques dans les autres pays européens. Il n’y a rien là qui amorce la moindre ébauche de réduction de la crise d’attractivité du métier d’enseignant !
– Le regard sur les pays étrangers fournit des pistes. La comparaison avec l’Allemagne pour les salaires…
– Quel besoin de se tourner vers l’Allemagne pour savoir que les enseignants français sont sous-payés ? Que dit vraiment le rapport ? Que la rémunération n’est pas le seul frein à l’entrée dans le métier ! Il insiste sur le fait que même l’Allemagne, aux fortes rémunérations, est confrontée à une crise d’attractivité…
– Preuve qu’il faut des experts !
– Si vous cherchez vraiment des experts, écoutez les enseignants, dialoguez avec les syndicats, donnez la parole aux étudiants, aux formateurs, au monde universitaire, et vous en verrez alors fleurir des propositions, des recommandations, des idées neuves, vraies, pertinentes pour comprendre totalement la crise et agir sur ses causes ! Croyez-vous vraiment que l’accompagnement seul changera les conditions de travail ou la crise de l’autorité ? Que la formation continue changera la crise du savoir, ou le respect d’une véritable maîtrise disciplinaire ? Qu’une publication annuelle dédiée à la comparaison européenne des systèmes éducatifs fera surgir des solutions miracles ?
– Mais Gérard Longuet…
– Gérard Longuet connaît mieux les rapports de la DEPP que la réalité du métier d’enseignant, c’est-à-dire l’expérience vécue quotidiennement par des milliers de collègues dans les collèges et lycées de France. Si les experts ne descendent pas sur le terrain, faites monter les profs et les syndicats dans les ministères et vous en aurez des réponses à cette crise d’attractivité, si commode finalement pour couvrir le renversement même des fondements de notre enseignement.
– Si vous ne croyez pas aux outils d’analyses statistiques…
– Je crois la parole de ceux qui, élèves, m’ont dit être dégoûtés par des cours sans intérêt, de ceux qui, enseignants, m’ont dit être découragés par la lourdeur administrative, et j’admire la patience de toutes celles et ceux qui aiment leur métier malgré tous ces traitements malveillants. »
P.C.
Retrouvez l’essentiel du rapport Longuet et de ses recommandations :
Sur L’École des lettres :
- Nouvelle formation initiale des professeurs, comment s’y retrouver, par Antony Soron, 30 mai 2022.
- Capes 2022, des résultats inadmissibles, par Pascal Caglar, L’École des lettres, 20 mai. 2022
- Le nouveau capes à l’épreuve du feu, Laetitia Malpot, L’École des lettres, n°4, mai-août 2022.
- Oraux du Capes : la prime aux programmes ? Antony Soron, L’École des lettres, 5 juillet 2021.
- Capes de lettres, la composition est remplacée par une dissertation, Antony Soron, L’École des lettres, avril 2020.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.