Culture et pandémie, les enjeux de la chaîne éphémère Culturebox
Pour rappeler l’utilité sociale de la culture en ces temps de pandémie, on observe deux types d’action : occuper les théâtres ou occuper les écrans. Se rappeler à l’État ou se rappeler au public. Réclamer la réouverture immédiate des salles ou imaginer des diffusions sur des plateformes. L’affrontement ou l’alternative.
Si les objectifs sont différents, les deux voies sont néanmoins plus complémentaires que contradictoires, et elles interrogent l’une et l’autre nos politiques culturelles. Dans ce cadre, l’anniversaire de Culturebox fêtant ce 1er mars ses deux mois de diffusion gratuite et pour tous sur le canal 19 de la TNT est un miroir intéressant de nos attentes et représentations de la culture.
La programmation de Culturebox est clairement à l’image de la conception que l’État se donne de la culture : non élitiste mais démocratique car ouverte à tous les genres et à toutes les cultures ; contemporaine et non conservatrice, l’actualité des spectacles primant sur les enregistrements « historiques » ; nationale et non parisienne, les captations de spectacles en région étant aussi nombreuses que dans la capitale ; indépendante et non « industrielle », les artistes ou label marginaux étant privilégiés sur les majors ; divertissante et non savante, le format, le style et les animateurs rappelant la formule du magazine plus que celle de la causerie entre spécialistes ; et enfin, citoyenne mais non politique, les valeurs de tolérance, diversité et subjectivité procédant d’expériences artistiques et non de discours ou d’idéologie.
De prime abord Culturebox est donc un peu l’idéal de la culture républicaine, éclectique, représentative, fédératrice. Cependant, cette richesse de programmation est-elle vraiment le moyen d’atteindre des publics variés, élargis, recouvrant la diversité de la population française, ou bien n’est-elle que le luxe et le goût d’un seul public, celui qui parle de culture essentielle, sous toutes ses formes, de tous les genres et de toutes les esthétiques ? Cette diversification est-elle le gage d’une démocratisation culturelle ou le privilège d’une minorité cultivée seule capable d’être à l’aise aussi bien avec Don Giovanni qu’avec la Compagnie La Baraka, devant les Justes que devant Bigre, un festival jazz ou une scène hip hop ?
En fait loin de poursuivre un but éducatif et d’avoir vocation à l’initiation, de l’aveu même de Michel Field, directeur du pôle Culture de France Télévision, l’objectif de Culturebox est de faire venir devant la télévision les « passionnés » qui d’ordinaire fréquentent les salles plus que le petit écran. Autrement dit, d’offrir une consolation aux habitués frustrés de sorties culturelles, plutôt qu’inviter à la culture ceux qui la ressentent d’ordinaire et à juste titre dans leurs conditions de vie comme non essentielle.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’audience de Culturebox reste confidentielle, que les habitués seuls retrouvent leurs marques, leurs spectacles de la Comédie-Française, de l’Odéon ou de l’Opéra de Paris, les expositions des musées parisiens, les chanteurs des scènes alternatives, les festivals d’été renommés, les productions des centres dramatiques régionaux subventionnés, et que les initiés se reconnaissent dans les manières de penser et de créer des artistes contemporains, dans leurs univers et leurs questionnements, leurs « propositions » et leurs « explorations ».
Culturebox est une belle idée, une belle vitrine du spectacle vivant en France, dommage qu’elle ne vise qu’à apporter du baume au cœur des amateurs touchés par la fermeture des salles. Il y a là pourtant une occasion, un outil, une matière qui auraient mérité de rencontrer un vrai projet d’éducation culturelle, une véritable ambition de démocratisation. Dommage de laisser seules les manifestations des professionnels de la culture intéresser les médias et le grand public.
Pascal Caglar
• Le site de Culturebox.