Dans le mille : quand les chiffres se jouent des expressions
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », « Jamais deux sans trois », « Couper les cheveux en quatre » : Yves Stalloni piste et explique les expressions fondées sur des chiffres avec un humour qui remonte le moral à zéro.
Par Norbert Czarny, critique littéraire
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », « Jamais deux sans trois », « Couper les cheveux en quatre » : Yves Stalloni piste et explique les expressions fondées sur des chiffres avec un humour qui remonte le moral à zéro.
Par Norbert Czarny, critique littéraire
Apprendre en s’amusant, découvrir avec le sourire : ainsi peut-on résumer ce qui se passe en ouvrant un livre d’Yves Stalloni. Ce professeur de khâgne, contributeur de longue date à L’École des Lettres, a souvent mis la puce à l’oreille, créant le consensus intra-muros, expliquant les expressions latines, l’origine des mots « poubelle », « catogan » et « frangipane », le pourquoi des éponymes ou des mots de l’amour et de l’amitié. Cette dernière restant essentielle à ses yeux, notamment parce que le liant à l’écrivain Paul Desalmand, décédé en juin 2016, avec qui il écrivait.
Le nouvel opus d’Yves Stalloni fait la part belle aux chiffres. De zéro à onze mille, il propose un grand nombre d’expressions qu’il explique et illustre d’exemples. Difficile d’oublier Les Quatre Cents Coups à l’entrée, invitant (ou pas) à les faire ou les revoir. Ils ne furent pas toujours si nombreux. On est passé de quatre à cent, et l’auteur fait le lien, à la fin de son livre, avec « faire le diable à quatre ». D’autres références filmiques apparaissent, dont Blanche-Neige et les Sept Nains, Les Sept Samouraïs devenus Sept Mercenaires, en arrivant au Far West.
Comme nous avons connu, à l’échelle mondiale, la quarantaine, nous n’épiloguerons pas sur cette expression, synonyme de souvenirs peu agréables. On préférera s’attarder sur les entrées liées à la culture générale, qu’il s’agisse de références bibliques avec le Pentateuque ou le carême, des dix plaies d’Égypte ou de l’expression « jeter la première pierre ». On ne s’étonnera pas que le plus grand nombre d’entrées concerne le chiffre deux. L’auteur se réfère à la charge symbolique, liée au dualisme de nos raisonnements, et il est vrai que deux et deux font quatre, notamment pour Sganarelle, ou Argan comptant ses potions.
La mythologie occupe une large place. Le chiffre trois revient : les trois Furies, Gorgones ou Hespérides. Quant aux expressions populaires, on devine qu’elles ne sont pas à « prendre au premier degré » : qui a encore « deux fers au feu » ? Qui, littéralement, « brûle la chandelle par les deux bouts » ? Et, surtout, qui « dort sur ses deux oreilles » ?
Difficile de résister à la tentation, si l’on est professeur, de faire écrire des collégiens à partir d’un florilège tiré de ce livre. Imaginer une origine à « nager entre deux eaux » ou « couper les cheveux en quatre » est une manière de jouer les académiciens et de montrer que l’on a « deux sous de jugeote » et pas envie de « s’ennuyer à cent sous de l’heure ».
On peut aussi essayer de caser le plus grand nombre d’expressions dans un texte cohérent. Exercice à contrainte que les oulipiens ne renieraient pas. N’oublions pas qu’en parler dans la langue, c’est aussi une façon de célébrer ces chiffres qui forment des nombres et racontent des histoires. Comme celles du zéro qu’Yves Stalloni célèbre. Jouer avec sérieux est le meilleur antidote pour ne pas avoir « le moral à zéro ». Apprendre à compter, à l’école élémentaire, est une activité essentielle, avant même que l’on apprenne à lire. Le faire avec ce petit livre est une façon de « mettre dans le mille ». Mille milliards de mille sabords, voilà un sacré livre.
N. C.
Yves Stalloni, En 2 temps 3 mouvements sans y aller par 4 chemins, les chiffres dans les expressions françaises, collection « Au fil des mots », Éditions Christine Bonneton, 259 pages, 17.90 €