Dans les coulisses de Parcoursup
Par Milly La Delfa, professeure de lettres au lycée de Cachan
Comment les profs de prépa sélectionnent-ils les dossiers des lycéens qu’ils reçoivent ? Témoignages d’enseignants qui se prêtent même à imaginer des critères de sélection plus pertinents et plus justes.
Par Milly La Delfa, professeure de lettres au lycée de Cachan
Le rideau est tombé le 4 mai sur le premier acte de Parcoursup. Une fois passée la date de confirmation des vœux et la fermeture temporaire du serveur, une intense activité s’est mise à bruisser dans les méandres de l’enseignement supérieur. Algorithme, double authentification, CEV[1], OAD[2], les équipes pédagogiques doivent, dans un temps limité, apprécier le dossier des candidats qui postulent dans leurs établissements afin d’établir un classement qui permettra, ou non, aux élèves de rejoindre la formation sollicitée. Certains parcours post-bac se déroulent au sein des établissements du secondaire. C’est le cas des classes préparatoires aux grandes écoles, les fameuses CPGE, qui sont à la fois une exception française et une poursuite d’étude particulièrement prisée.
Comment les professeurs de trois filières de ces classes préparatoires (scientifique, littéraire, économique et sociale) vivent-ils ce temps dédié à la sélection des dossiers ? Que se passe-t-il vraiment dans les coulisses de Parcoursup ?
450 dossiers pour former une classe de 45
Nathalie est professeure de mathématiques en classe préparatoire scientifique dans un lycée du Val-de-Marne. Aux alentours du 19 avril, elle a reçu, comme chaque année, un fichier PDF, un tableau Excel et une liste : trois outils pour lui permettre d’examiner, dans un délai d’un mois, deux cents dossiers sur les mille reçus dans son lycée. Ces dossiers ont fait l’objet d’un pré-classement à partir de critères définis par l’équipe pédagogique. Les coordonnateurs ont confectionné, à partir de là, un petit algorithme qui n’a rien d’exceptionnel selon Nathalie : sont regardées les notes dans les matières scientifiques et en français, anglais et philosophie, le tout étant d’avoir des bulletins équilibrés ; est pris en compte également le rang de l’élève dans sa classe et dans les matières scientifiques, ainsi que les critères sociaux. 450 dossiers sont susceptibles d’être sélectionnés pour former à l’arrivée une classe de 45 élèves. Si ce pré-classement peut être fait à l’aide de paramétrages numériques, le classement final émane de la lecture que Nathalie et ses collègues feront des dossiers qui leur ont été attribués. Alors, que cherchent à déceler les enseignants dans ces dossiers ? Et cette charge de travail conséquente bien que nécessaire est-elle garante d’une sélection tout à fait pertinente des candidats ?
Des dossiers difficilement lisibles
Ce que souligne Nathalie, c’est un manque de lisibilité des dossiers. Contrairement à ce que l’on voudrait penser, il n’est pas évident de percevoir l’individu à travers un ensemble d’informations scolaires. Les données chiffrées ne sont pas d’une fiabilité absolue. Une moyenne n’est pas la même selon l’établissement d’origine de l’élève et les exigences des professeurs, et, surtout, elle ne laisse pas toujours percevoir les ressources potentielles de l’élève qui lui permettront de suivre en CPGE. La réforme du lycée a encore accentué ce phénomène de lissage des notes, et tous les dossiers solides se ressemblent.
Damien, professeur en classe littéraire dans un lycée parisien, déplore également cette trop grande homogénéité dans les bulletins. Sur les 2000 dossiers que la commission de son établissement traite, la sélection des 90 élèves qui intégreront la filière ne peut se faire uniquement sur les moyennes, qui sont toutes plus ou moins équivalentes.
D’autres éléments viennent donc étayer le choix des professeurs, en particulier les appréciations de l’équipe et du chef d’établissement. Sur ce point, Estelle, professeure en classe préparatoire économique et commerciale d’un lycée de Seine-Saint-Denis, est sur la même ligne que Nathalie : les appréciations sont essentielles, elles permettent de juger du sérieux d’un candidat ou de ses progrès, et de se faire une idée plus précise de sa personnalité scolaire. Damien, lui, est plus circonspect : il regrette des appréciations trop souvent dithyrambiques qui entravent une sélection éclairée.
Des éléments annexes pour un portrait plus ressemblant ?
Quid de la fameuse lettre de motivation ? Si elle apporte des informations qui peuvent rentrer en ligne de compte – l’expression d’un intérêt particulier pour la filière ou l’établissement ou la présentation d’un projet cohérent –, Nathalie et Estelle la trouvent particulièrement discriminante.
Pour Nathalie, sa rédaction reflète davantage le milieu socio-professionnel dont est issu l’élève que son attrait véritable pour la formation. Pour Estelle, l’inflation de la rubrique « Activités extra-scolaires », avec la mention du nombre d’engagements citoyens, prouve l’anticipation par les établissements, notamment privés. Seules, peut-être, les pratiques artistique et sportive de longue haleine sont des indicateurs fiables de capacité d’organisation, de constance dans l’effort, de gestion performante du stress : elles complètent alors de façon pertinente le profil d’un élève.
Malgré cela, Estelle rappelle qu’il serait « prétentieux de dire que la lettre de motivation permet aux enseignants de se faire une idée de la personnalité du futur étudiant, et il est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui traduit un véritable engagement de la personne et ce qui émane d’une stratégie dans la constitution d’un dossier. » Il s’agit effectivement de savoir lire entre les lignes, à travers ce qui est dit, mais surtout ce qui ne l’est pas, indique Damien. Pour le professeur de khâgne, un entretien bref, en face-à-face, serait plus propice à percevoir l’énergie du candidat et la réalité de sa motivation.
Un classement qui relève forcément du pari
Ces trois professeurs reconnaissent la nécessité de cette étape de sélection afin de pouvoir constituer des classes que l’équipe pédagogique accompagnera pendant une année. Pourtant, dans cette période particulièrement dense, les heures de travail en plus sur les dossiers Parcoursup aboutissent à un résultat insatisfaisant et une sélection pas toujours pertinente. En effet, selon Nathalie, « Quand on regarde la corrélation entre les quarante élèves qui intègrent la classe prépa, la façon dont on les avait classés et leur classement au bout de trois mois chez nous, force est de constater qu’il n’y a pas trop de rapport. Quelqu’un qu’on avait recruté en dernier peut se retrouver dans les premiers et, à l’inverse, un élève qu’on avait sélectionné en tout premier choix peut éprouver de réelles difficultés. »
Estelle n’est pas dupe non plus des biais de sélection. S’ils ne sont pas spécifiques à Parcoursup, ils reflètent les biais de la structure même de l’enseignement au lycée, notamment ceux engendrés par la réforme et les problèmes liés au contrôle continu. Malgré tout le sérieux et la bonne volonté des enseignants, le classement des dossiers relève aussi du pari.
Des qualités invisibles
Quelles seraient les trois qualités sur lesquelles chacun des professeurs pourrait s’appuyer pour une sélection plus sûre des candidats ? Pour Damien, il s’agirait de détecter un esprit capable d’analyse réflexive : « Je n’ai jamais lu de dossiers qui mettent en avant les faiblesses du candidat ou ce qu’il tente d’améliorer. Cela pourrait pourtant être intéressant, ça démontrerait une capacité à prendre prise de recul sur soi-même. » Chez Nathalie, la réponse fuse : « Un sens de l’organisation pour tenir le rythme, une grande capacité de concentration car ceux qui réussissent sont ceux qui sont concentrés en classe, et la faculté de rebondir parce que cela ne va pas être facile tous les jours. », énumère-t-elle sans hésiter. De son côté, Estelle, aimerait pouvoir se rendre compte de « La curiosité naturelle et personnelle, difficilement mesurable à travers les lettres de motivation, la capacité à se projeter dans l’avenir, et également le goût du travail en groupe ». Aux candidats de trouver comment faire transparaître de telles dispositions dans leurs lettres, sauf à imaginer modifier les appréciations, sauf à imaginer des entretiens ? Ce qui serait somme toute plus logique et plus juste.
M. L.-D.
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Notes
[1] CEV : acronyme désignant la commission d’examen des vœux, instance qui définit pour chaque formation les critères d’examen des dossiers, critères qui doivent correspondre à ceux publiés sur la plateforme en amont de la phase de formulation des vœux.
[2] OAV : Outil d’aide à la décision qui permet, grâce au paramétrage émanant de la commission d’examen des vœux, un pré-classement des dossiers.
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