Dominique Noguez, "La Véritable Origine des plus beaux aphorismes"
L’occasion nous est donnée, avec la parution du dernier livre de Dominique Noguez, La Véritable Origine des plus beaux aphorismes, de rendre un hommage appuyé à une catégorie, rare et précieuse, dont il est un des meilleurs représentants, les amateurs de citations, encore appelés, suivant le mot d’un ami cher atteint du même mal, les « citatologues ».
Mais pas de méprise sur le mot « amateur », qui ne désigne pas ici le désinvolte mondain qui parsème ses propos de salon d’emprunts approximatifs dont il ignore d’où ils viennent, qui les a prononcés, voire ce qu’ils veulent dire. Non, notre amateur est « éclairé ».
C’est un érudit de l’aphorisme, un esthète de la référence, un maniaque de la paternité littéraire. Sa minutie confine à la pathologie : « J’ai cette maladie, écrit Dominique Noguez à la première ligne de sa postface, je veux toujours savoir qui est l’auteur véritable d’une citation. » Et, plus loin, il évoque sa famille et sa pratique, « cette sorte d’archéologie ou de paléontologie du bon sens ».
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Contre le grégarisme et le plagiat
À une époque où en cliquant sur un écran lumineux le savoir universel (ou prétendu tel) nous est offert gratuitement, où la parole se répand, s’amplifie, se ramifie, se dissémine grâce aux vices conjugués « du grégarisme et du plagiat », l’exigence intellectuelle de ces infatigables chercheurs de l’originel, de l’attesté, de ces pourfendeurs désintéressés de l’à-peu-près et de la seconde main (d’ailleurs souvent pleins, sinon d’indulgence, du moins de commisération, pour les ignorants heureux qui colportent des sottises), le travail de ces ascètes du savoir devrait être reconnu de salubrité publique. Ils sont les derniers à nous aider à parler droit, à penser juste, à dire vrai.
Aucune défaillance donc, dans le dernier opus du très fécond et très brillant Dominique Noguez qui examine en détail – parfois sur plusieurs pages – près d’une centaine de ces petites phrases plus ou moins connues qui seront appelées « aphorismes » par souci de simplification, mais pourraient être nommées proverbes, locutions, répliques, observations, toutes obéissant à la règle de la concision, de l’élégance et, souvent, du paradoxe.
« Tout, tout de suite »
Ces formules sont parfois familières (« Pour vivre heureux, vivons cachés », du fabuliste Florian), parfois plus recherchées (« La gloire est le deuil éclatant du bonheur », de Germaine de Staël). Elles demandent, dans certains cas, à être rendues à leur vrai propriétaire, comme pour le très actuel « Tout, tout de suite », que prononce l’Antigone d’Anouilh et que l’on croit parfois repris d’un graffiti de Mai 1968, ou le très célèbre « L’humour : la politesse du désespoir » que l’on oublie d’attribuer à Chris Marker.
D’autres fois, c’est l’origine de la citation qui mérite d’être précisée comme la sentence « C’est avec les beaux sentiments que l’on fait de la mauvaise littérature », que Gide exprime en plusieurs lieux. Ou bien l’intérêt tient au commentaire, comme pour cette morale de La Fontaine : « Notre ennemi, c’est notre maître » (« Le vieillard et l’âne », Fables, VI, 8) ou pour l’affirmation (introuvable) de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi », ou encore à propos de l’apologie de la solitude proposée par Montherlant dans la phrase qui commence par la question « Vae Soli ? […] » (La Petite infante de Castille).
Une enquête universelle
L’enquête déborde les frontières (voir l’apparente tautologie de François Ponsard : « Quand la borne est franchie, il n’est plus de limite »), car Dominique Noguez est omniscient et polyglotte. De là des aphorismes venus de l’antiquité gréco-latine (assez nombreux), d’autres empruntés à l’anglais, l’espagnol, l’italien l’allemand, le japonais.
Le même Noguez est également ouvert à tous les savoirs, puisqu’à côté des monuments de la pensée – de Térence à Molière, d’Ésope à Beckett – , il peut aller chercher son bien chez François Mitterrand et Jean Yanne, chez Maurice Chapelan (auteur de l’excellent : « Un écrivain ne lit pas ses confrères : il les surveille ») ou chez Charles Dantzig.
« À chaque jour suffit son bonheur »
Le hasard de l’alphabet fait que ce petit dictionnaire s’ouvre sur la maxime évangélique fameuse : « À chaque jour suffit sa peine » (Mt. 6, 34). Le développement commence par rappeler l’objet de la prédication de Jésus, puis s’intéresse à la durée hebdomadaire de travail pour l’ouvrier, avant de glisser enfin sur le temps quotidien optimal passé à son bureau par l’écrivain.
On aurait envie d’ajouter un élargissement : la durée idéale de lecture dans une journée. Pour ce merveilleux petit ouvrage, écrit avec rigueur, humour et finesse, la réponse est évidente : il appelle une lecture non-stop qui procurera un immense plaisir. « À chaque jour suffit son bonheur. »
Yves Stalloni
• Dominique Noguez, « La Véritable origine des plus beaux aphorismes », « Manuels Payot », Éditions Payot & Rivages, 2014, 234 p.