D’où rayonne la nuit (Molière-Lully, impromptu musical) : l’éclairante collaboration des deux Baptiste
Le comédien Yoann Gasiorowski se lance dans une première mise en scène avec un genre peu connu qui consiste en une improvisation sur un thème donné. Des saynètes succèdent aux morceaux de musique joués à la basse de violon et au théorbe, ou chantés comme des airs baroques et des chants populaires italiens du XVIIe siècle.
Par Philippe Leclercq, critique
Le comédien Yoann Gasiorowski se lance dans une première mise en scène avec un genre peu connu qui consiste en une improvisation sur un thème donné. Des saynètes succèdent aux morceaux de musique joués à la basse de violon et au théorbe, ou chantés comme des airs baroques et des chants populaires italiens du XVIIe siècle.
Par Philippe Leclercq, critique
Molière et la musique ? Quoi de mieux qu’un impromptu pour aborder le sujet. Soit une forme à mi-chemin entre le « Théâtre à la table » – programme en ligne mis en place pendant les confinements – et les spectacles musicaux auxquels la troupe de la Comédie-Française nous a habitués comme Les Serge (Gainsbourg point barre) ou Mais quelle comédie !
Le genre est peu répandu. Jeu de société à l’origine, Molière en a codifié la forme et fourni un modèle, L’impromptu de Versailles, en 1663. Son biographe, Georges Forestier, en livre la définition suivante : « Comédie qui se présente comme une improvisation sur un thème donné. […] L’impromptu moliéresque se développe sur deux plans différents, entre lesquels s’instaure un va-et-vient : le plan de la représentation du thème – point de vue des personnages –, et le plan des conditions de la représentation – point de vue de l’auteur face à ses acteurs et des acteurs face à leurs personnages. »
Mise en abyme
Une joyeuse répétition donc, ou variation, entre deux Baptiste – prénom que donnait encore Madame de Sévigné à Jean-Baptiste Poquelin devenu Molière – et Giambatista Lully (1632-1687). Douze spectacles sont nés de leurs dix années de collaboration.
Pour cela, le comédien, et pour la première fois metteur en scène, Yoann Gasiorowski a réuni autour de lui deux musiciens, spécialistes de musique baroque, et cinq de ses camarades de la Comédie-Française. Croisant les fils du théâtre, du chant et de la musique, son impromptu ressemble à un atelier de broderie. Où l’on brode sur des bouts d’histoires aux motifs variés, allant de l’écriture d’une scène à l’amusante visite en carrosse à Versailles ou encore à une improbable soirée moderne au château de Chambord…
Comme dans une comédie-ballet dont Molière et Lully sont les inventeurs (complaisant ainsi au goût de Louis XIV pour la danse), les saynètes succèdent aux morceaux de musique (basse de violon et théorbe, une sorte de guitare longue d’un mètre cinquante, apprend-on avant un petit cours de lutherie sur l’âme des instruments à cordes). Serge Bagdassarian et Elsa Lepoivre donnent le meilleur de leur voix pour reprendre quelques airs baroques ou chants populaires italiens du XVIIe siècle. Ce n’est pas encore les Arts florissants, mais de bonne tenue.
Selon le principe du théâtre dans le théâtre, les acteurs, vêtus de costumes modernes (sweats et baskets), jouent à être qui Molière lui-même, qui Lully bien sûr, qui Madeleine Béjart, sa fille Armande ou encore le jeune Marc-Antoine Charpentier (qui succéda à Lully). La dramaturgie, au diapason de la musique, est animée d’une puissante énergie ; le plaisir de jouer des acteurs, de faire la fête avec leur « patron », est palpable.
Écrits par Yoann Gasiorowski, les textes, très pédagogiques, mêlent langue classique et propos modernes, et plaisent au jeune public. Les saynètes, un pied dans le passé, un autre dans le présent, mettent les deux en miroir dans une réflexion fertile. Elles sont parfois interrompues par un comédien qui questionne les enjeux.
On s’arrête, on rit, on discute ; les remarques de jeu fusent, tous s’en mêlent, provoquant un joyeux babil ; on corrige et l’on reprend. C’est divertissant et instructif. On assiste en direct à une sorte de « work in progress » qui en apprend autant sur les ambiguïtés du rapport entre le dramaturge et le musicien (complicité, rivalité, notoriété, rapport au pouvoir royal, problèmes financiers…) que sur l’élaboration d’un spectacle et le travail du comédien.
D’où rayonne la nuit, beau titre inspiré par un vers des Contemplations de Victor Hugo, évoque avec enthousiasme le compagnonnage en clair-obscur de deux artistes de génie.
P. L.
D’où rayonne la nuit, texte et mise en scène de Yoann Gasiorowski, avec Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Yoann Gasiorowski, Birane Ba, Élissa Alloula, Claïna Clavaron.
Et les musiciens (en alternance) : Elena Andreyev : basse de violon ; Cécile Vérolles : basse de violon ;Victorien Disse : théorbe, guitare ; Nicolas Wattinne : théorbe, guitare.
Du jusqu’au 6 mars 2022 à la Comédie-Française (Studio-Théâtre), à Paris, puis en tournée dans toute la France.
Ressources complémentaires
« Un Tartuffe inédit à la Comédie française, L’École des lettres, Philippe Leclercq, 1er mars 2022
« Dom Juan, retour aux sources », L’École des lettres, Philippe Leclercq, 17 février 2022.
« Après Molière, quels sont les enjeux de ce quadricentenaire ? », L’École des lettres, Martial Poirson, numéro 3, février-avril 2022.
« L’anniversaire du ‘‘ patron ’’ », L’École des lettres, Philippe Leclercq, numéro 3, février-avril 2022.