« Dramaturgies de l’atelier-théâtre 2 : Au bonheur des petites formes », de Chantal Dulibine et Bernard Grosjean
Cet ouvrage est la seconde collaboration de Chantal Dulibine, enseignante et formatrice d’enseignants, et Bernard Grosjean, metteur en scène-intervenant et enseignant à l’Institut d’études théâtrales de Paris III.
Dans leur premier opus, Coups de théâtre en classe entière au collège et au lycée, les deux auteurs avaient déjà exploré les diverses façons d’aborder le texte et le jeu théâtral en contexte scolaire. Ils proposaient, sous forme de fiches pédagogiques concrètes, une réflexion sur les consignes pour lire, jouer, écrire et regarder du théâtre, sur les moyens d’étendre le répertoire travaillé au domaine contemporain, et sur les obstacles qui risquaient de se présenter aux enseignants et artistes-intervenants souhaitant mettre en place ce type d’atelier.
Pour s’adapter au format de plus en plus réduit des ateliers théâtre, ils proposent cette fois-ci un ouvrage consacré aux petites formes, c’est-à-dire à des spectacles composés de plusieurs textes, le plus souvent dramatiques, qui se frottent les uns aux autres pour donner un sens inédit. Tout en offrant une plus grande flexibilité en termes de postes de jeu, de dispositif scénique et de temporalité, la petite forme stimule l’imaginaire des élèves en s’appuyant sur une grande diversité culturelle et un renouvellement des formes dramatiques.
La fabrique de la petite forme
Dans la première partie de l’ouvrage, les auteurs plongent le lecteur dans la fabrication d’une petite forme théâtrale commémorative sur la Grande Guerre, intitulée La Der des der, construite à partir de chansons de l’époque, articulées les unes aux autres pour constituer un spectacle cohérent. Ils exposent chacune des étapes de ce projet en fournissant dans le même temps une sorte de méthodologie de l’atelier théâtre de petites formes.
On y apprend tout d’abord comment, en amont de l’atelier, agencer et adapter un corpus de textes, puis, comment relever les « paramètres de la situation » (p. 43) des scènes (lieux, personnages, objets, rituels et actions, émotions, points d’intérêt pour le jeu) pour construire un espace scénique adapté et créer des propositions de jeu préparatoire.
On assiste ensuite aux différentes phases de l’atelier : présentation du projet aux participants, exploration des textes par l’improvisation guidée, distribution des postes de jeu, calage des scènes jusqu’au jeu maîtrisé, répétitions et filages, et évolution du jeu au fur et à mesure des différentes représentations. Tout au long du processus, sont détaillés précisément le rôle de l’animateur de l’atelier, sa fonction cadrante et dynamisante, et les réactions possibles des participants. Les phases de retour sur le jeu, en « cercle de parole » (p. 60), sont par exemple un moment crucial de l’atelier qui permet de faire évoluer la pratique théâtrale et les représentations des apprentis comédiens.
Comment déterminer un corpus
Dans la deuxième partie, on apprend comment construire d’autres corpus variés de petites formes. En préambule, les auteurs proposent une méthodologie nourrie d’exemples concrets : de la « collecte foisonnante » (p. 84) des textes à leur organisation à partir du croisement de plusieurs systèmes de classement. La question de la pertinence du propos est également abordée en lien avec les effets dus à la délimitation des extraits, au montage et au titrage des scènes.
Ensuite, les auteurs proposent des inventaires de corpus classés en fonction de deux catégories : les catégories thématiques et les catégories spécifiquement théâtrales. Les corpus proposés sont stimulants, problématisés et variés, s’étendant du théâtre antique au répertoire contemporain pour la jeunesse, en passant par toutes les périodes majeures de l’histoire du théâtre. Ils s’appuient tous sur une réflexion concernant la dramaturgie des textes, nourrie des propositions des plus grands metteurs en scène.
Les auteurs concluent cette deuxième partie en soumettant au lecteur les écueils possibles de ce genre d’atelier et les solutions concrètes pour y remédier.
La troisième partie présente trois annexes destinées à clarifier certains points abordés : un exemple de « parcours d’induction » (p. 167) à partir d’une pièce de Sylvain Levey ; la constitution d’une bande-annonce pour entrer de manière originale dans une petite forme ; et enfin la perspective de mettre en scène des petites formes avec des textes non théâtraux.
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Cet ouvrage, pragmatique et ambitieux, donne envie de mêler les formes théâtrales de cultures et d’époques différentes en les problématisant. Les élèves trouvent dans ces petites formes de l’intérêt et du plaisir à voir leurs questionnements existentiels interrogés par les textes patrimoniaux et contemporains. L’atelier-théâtre devient dans le même temps « un lieu de recherche sur le langage du théâtre » (p. 166) et un « espace de construction identitaire et sociale » (p. 166).
C’est donc un outil précieux, tant sur le plan culturel que sur le plan dramaturgique, pour les enseignants de lettres qui veulent monter des ateliers théâtre de qualité en temps limité comme pour les artistes-intervenants qui animent ces projets.
Karine Veillas, professeure formatrice Lettres,
ÉSPÉ de Versailles
• Chantal Dulibine et Bernard Grosjean, « Dramaturgies de l’atelier-théâtre 2 : Au bonheur des petites formes », Lansman, 2018, 190 p.