Les auteur(e)s jeunesse face aux médias
Question pour un salon, Montreuil 2018
Le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil fournit année après année la preuve que l’objet-livre possède fondamentalement une vertu communicative, capable qu’il est de faire parler les uns avec les autres, auteurs, lecteurs, parents, enfants, mais aussi éditeurs, professeurs, professeurs documentalistes, bibliothécaires ou libraires, et ce quel que soit l’âge de chacun.
Ici sont en première ligne les figures de proue du livre jeunesse comme Marie Desplechin, Marie-Aude Murail ou Claude Ponti, armés de leur mine de plomb ou de leur plume d’encre pour des séances ininterrompues de dédicaces.
Un raconteur-né
Au fond de lui, l’écrivain pour la jeunesse n’est-il pas convaincu que le jour où l’on cessera définitivement de raconter des histoires aux enfants, la planète commencera vraiment à aller de mal en pis ? C’est toute la vertu de l’entreprise d’auteurs aussi courus que Zep et Riad Sattouf : celle de partir de l’évidence que le récit est à la fois en soi et au coin de la rue.
Les uns et les autres, qu’ils manient les mots, le dessin ou les deux à la fois comme Yvan Pommaux, ne font rien d’autre que remettre cent fois sur le métier leur ouvrage, aiguillonnés par un « sixième » sens commun malheureusement paralysé chez beaucoup d’acteurs de la vie contemporaine.
Écrire et/ou dessiner, ne consiste-t-il pas en une réanimation sans cesse renouvelée du tissu narratif qui habille l’humanité depuis ses premiers âges farouches ?
Un lecteur habité
Mais un auteur qui écrit pour la jeunesse reste tout aussi convaincu au plus profond de lui-même qu’une part non négligeable de sa mission consiste à exprimer sa dette envers celles et ceux qui lui ont donné à la fois le goût de lire et le désir d’écrire : Homère, Grimm, Andersen mais aussi Benjamin Rabier ou encore Hergé.
Yvan Pommaux est naturellement de ceux-là, de ces auteurs qu’on dit « de jeunesse », comme François Place, autre grand nom du genre à ne pas passer sous silence à l’école et au collège, comme tellement d’autres plumes essentielles actuelles, que l’on pense à Marie Desplechin, Xavier-Laurent Petit ou Éric Pessan dont les œuvres ont pour ainsi dire la vertu des graines du Petit Poucet. Ceux-là demeurent toujours à l’affût des autres, soit, pour le dire plus précisément, toujours en quête de celui d’où je viens (mon inspirateur) et de celui où je vais (mon lecteur).
Sans omettre bien entendu le troisième sommet du triangle… Car, un auteur qui écrit pour le jeune public, on ne saurait en douter, demeure aussi cet éternel « dialogueur » avec l’enfant qu’il fut, convaincu qu’il n’y a que dans cette strate primitive de son imaginaire qu’il pourra trouver le « génie ». C’est d’ailleurs ce qu’avait mis en perspective le retentissant dialogue entre François Place et Michael Morpurgo en 2015, quelques jours seulement après le tragique 11 novembre. « Je n’écris pas pour telle ou telle personne… Je fais parler l’enfant qui est en moi et puis l’adolescent et puis l’adulte et puis le grand-père », affirmait alors l’auteur du mémorable Cheval de guerre.
Ainsi, à « triple » titre, la création littéraire spécifique de l’écrivain de jeunesse apparaît comme un retour aux sources :
– à la fontaine de jouvence de l’imagination,
– au creuset des influences primordiales,
– à l’initiale de l’idée même de transmission.
La forte prégnance intertextuelle des œuvres littéraires actuelles n’est-elle pas là pour l’attester ? Le littérateur de jeunesse écrit non seulement pour les autres mais aussi, de façon plus « singulière » avec les autres. Ne se nourrit-il pas d’une féconde naïveté sous-jacente… celle qui consisterait à espérer réapprendre à lire à ses lecteurs, soit à les faire remonter au temps de l’émerveillement face aux premiers livres « entendus » sortir de la bouche d’un lecteur et aux premières images des ouvrages feuilletés dont le bout des doigts du lecteur qui ne sait pas encore qu’il en est conserve à jamais l’odeur.
La parole vibrante des écrivains de jeunesse
La présomption d’une future société de non-lecteurs ne manque pas de consistance dans les propos de quelques grands esprits chagrins ou déclinistes. Mais sommes-nous réellement en train d’assister au grand remplacement du livre ? Et allons-nous vers un monde où lire ne serait plus le propre de l’homme ? De toute évidence, le Salon de Montreuil est là pour rappeler que l’imaginaire ne peut se satisfaire des écrans qu’on lui offre.
À l’inverse, son développement dépend fondamentalement des fenêtres que les auteurs jeunesse lui ouvrent sur le monde. D’où la nécessité de leur donner davantage la parole. Outre-Manche, à titre d’exemple, J.-K. Rowling ou encore Michael Morpurgo sont des invités de choix pour les médias. En France, reste comme une réticence. Comme si la vastitude du champ de la littérature jeunesse, des premiers livres à toucher aux romans adolescents, laissait supposer que ces écrivains-là étaient des naïfs voire des écervelés. Or, la prééminence qu’ils accordent au récit et à leurs personnages, la confiance qu’ils ont dans le pouvoir de l’imagination, ne saurait en rien dévaluer leur métaphysique de romancier.
C’est à ce titre sans doute que le petit opuscule édité par l’école des loisirs en 2011, Lire est le propre de l’homme, reste d’une vibrante actualité comme peut en attester l’extrait suivants :
« Les enfants, au fond d’eux, en sont parfaitement conscients. Ils ont soif de paroles fortes, de lectures nourrissantes, de textes qui ne les laissent pas seuls avec leurs questions, leurs tourments, leurs désirs, leurs angoisses, d’exemples d’adultes qui leur donnent envie de grandir, d’expériences fondatrices qui les animent et les structurent au moment où ils en ont le plus besoin, et où ils sont le plus aptes à les retenir par toutes leurs fibres, à en faire un miel capable de couler leur vie durant. »
Sophie Chérer, « Calcium de l’âme », p. 127.
Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université
• « Lire est le propre de l’homme. De l’enfant lecteur au libre électeur ».
• La littérature de jeunesse dans l’École des lettres.