Edgar Morin : "Penser global. L’humain et son univers"
Après plusieurs dizaines de livres et sept décennies de réflexion et d’écriture, Edgar Morin parvient encore à poser, avec intelligence et finesse, les questions fondamentales qui engagent notre destin.
Ce Penser global, qui paraît aujourd’hui, reprend pas mal des idées ou des analyses qui nourrissaient les ouvrages précédents. Mais, s’il n’est pas neuf, il est plus efficace car plus direct, plus simple et plus « parlé », dans la mesure où il constitue la mise au clair de six conférences prononcées à la Fondation de la Maison des sciences de l’homme (FMSH) pour marquer les cinquante ans de son existence.
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Un essai très pédagogique
Très pédagogique, l’essai commence par définir l’objet du débat, en l’occurrence l’humain qu’il convient de considérer sous trois angles indissociables : biologique, sociologique, anthropologique. « Penser global » consistera d’abord à tenir compte de cette définition trinitaire, à n’en rien négliger et à en explorer conjointement les contenus. Avec, comme fil conducteur, cette idée majeure de globalité, c’est-à-dire le devoir de penser l’ensemble sans négliger les parties, de dépasser les paradoxes, de concilier les contraires.
Par exemple, dans nos modes de vie, il sera bon d’associer ce qui est « prose » (gagner de l’argent, travailler, survivre, se nourrir…) et ce qui relève de la « poésie » (élever son esprit, se cultiver…). On devra convenir que l’être humain est un (le sacro-saint « je »), mais en même temps multiple (car inséparable des autres).
Il faudra maîtriser la trilogie contradictoire qui commande l’univers : ordre/désordre/organisation ; et encore substituer à la révolution physique (première dans notre évolution) une évolution culturelle, sociale, intellectuelle, plus difficile à circonscrire.
Et aussi accepter les déviances, souvent génératrices de progrès ; renoncer à vouloir hypothéquer l’avenir, par définition imprévisible, voire surprenant, ce qui n’empêche pas de tenter ni de le réguler, ni de l’infléchir.
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Remettre l’humain au cœur de nos préoccupations
Cette façon de percevoir le monde doit nous aider à ouvrir une nouvelle « voie » (terme cher à Morin), seule capable d’expliquer la « complexité » (autre mot essentiel). Ce nouveau paradigme, que nous avons du mal à délimiter, devra nous conduire à passer de la « mondialisation » (concept essentiellement économique) à la « globalisation », de nature plutôt philosophique et anthropologique, et ceci en agissant sur le devenir ou en accompagnant les changements en cours porteurs parfois d’angoisse, tels l’urbanisation massive, la modification du climat et de l’environnement, le développement des sciences, l’allongement de la vie, la multiplication des risques.
La rationalisation n’y suffira pas, encore moins la dogmatisation (fondée sur les préjugés) ou l’arrogance. Il y faudra plutôt de la générosité et de la souplesse de pensée (grâce à la contextualisation), ces qualités qui nous aideront à sortir de la « préhistoire de l’esprit humain » et à remonter à ce qui devrait être au centre de nos préoccupations, l’humain.
À presque quatre-vingt-quinze ans, le juvénile Edgar Morin nous invite donc à sceller la réconciliation de l’homme et de l’univers.
Yves Stalloni
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• Edgar Morin, « Penser global. L’humain et son univers », préface de Michel Wieviorka, Robert Laffont, 2015, 131 p.
• Voir sur ce site : Edgar Morin : » La Voie. Pour l’avenir de l’humanité « , par Yves Stalloni.
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