« Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche », d’Hervé Blutsch : une introduction au théâtre postmoderne

« Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche », d’Hervé Blutsch © Christophe Raynaud de Lage

Après une tournée retentissante en province, Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche, d’Hervé Blutsch arrive au Théâtre du Rond-Point pour une série de vingt-cinq représentations jusqu’au 10 février.
C’est l’occasion de découvrir un théâtre ébouriffant, tournant à la dérision les codes et les valeurs, volontiers irrespectueux et délirant, qui pourrait rappeler le théâtre de Jarry, les spectacles dada, le premier Ionesco ou encore les Marx Brothers, et qui finalement correspond bien à l’inspiration postmoderne.
La pièce, qui pourrait paradoxalement ne paraître pas drôle par excès d’extravagance et de stéréotypes, prend du sens, et fournit du plaisir resitué dans une esthétique du jeu et de la dérision, d’une culture connue, assimilée, et dépassée, consacrant l’absurde et la folie comme seul parti raisonnable ans un monde en plein chaos.
Le sujet tend à se dissoudre par accumulation d’accidents entraînant une dérive incessante : au point de départ un homme, Ervart, croit que sa femme, Philomène, le trompe, et de fureur tire des coups de feu partout dans la ville. Mais nous apprenons aussi que cette action n’est que du théâtre. D’ailleurs trois comédiens anglais croyant jouer dans une autre pièce, « La mort de la poubelle », interviennent par erreur dans l’action première.
Une actrice en quête de rôle se greffe aussi à la troupe, en essayant pathétiquement et comiquement de faire valoir ses talents de comédienne. Un psychanalyste participe à son tour à l’action, persuadé qu’un bombardement de citations (Sartre, Bergson, Sénèque…) finira par guérir le mari jaloux. Un agent secret zoophile chargé d’enquêter sur des terroristes s’agrège au groupe et finit par vivre une histoire d’amour avec un cheval, l’ombre de l’amant apparaît dans la maison suivant Ervart comme son double, et enfin, last but not least, un homme jetant ses œuvres subversives comme autant de bombes dans des poubelles, finit sa vie en joueur de claquettes : il se nomme Frédéric Nietzsche. Tel est l’univers de la pièce, à l’intrigue volontairement désordonnée.
Ainsi l’excès tourne à l’absurde, l’incohérence au renversement carnavalesque, les temps se télescopent, la mort de Nietzsche (1900) rencontre les attentats de 2001 (la première version de la pièce est de 2002), le sérieux est définitivement expulsé d’un monde affranchi de toute valeur. Tel est le ton de la pièce, conforme au jeu des acteurs, volontiers parodique et second degré, conforme à la mise en scène de Laurent Fréchuret et à un dispositif scénique onirique, conforme au personnage de l’auteur, pour lequel il suffit de lire la page Wikipédia (et le site personnel) pour en comprendre la philosophie :

« D’abord composés en latin ses premiers textes dépeignent avec une troublante perspicacité les travers de la société romaine du Ve au IVe siècle avant notre ère. »

Ou encore :

« Après avoir facilement obtenu son baccalauréat il tente de passer son permis de conduire et échoue. Il jure de se venger en devenant le plus grand auteur dramatique de sa génération. »

De qui se moque-t-on ? Cette réaction naïve d’un spectateur non averti est la meilleure marque d’une compréhension profonde d’un théâtre qui se moque de tout, allègrement et sans complexe. Le paradoxe de ce théâtre, c’est de requérir de la culture pour en apprécier la mise en pièces. Le spectateur classique s’indignera, le spectateur à la mode s’en délectera, le spectateur cultivé s’interrogera.

Pascal Caglar

Pascal Caglar
Pascal Caglar

2 commentaires

  1. « Après une tournée retentissante en province » je me demande bien où vous êtes allé pêcher cette info? retentissante, carrément? vous avez le sens des nuances, apparemment car non à part quelques jours à Lyon et St Etienne, le retentissement n’a pas eu lieu et les critiques mauvaises d’un spectacle trop long et mal fichu ont été nombreuses.

    • Tournée Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche :
      – Comédie de Saint-Etienne, du 2 au 5 octobre 18
      – Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon, du 9 au 13 octobre 18
      – Comédie de Picardie, du 17 au 19 octobre 18
      – Le Préau / Cdn de Vire, le 6 novembre 18
      – Théâtre municipal de Grenoble, le 9 novembre 18
      – Le Cratère, Scène nationale d’Alès, du 15 et 16 novembre 18
      – Les Salins, Scène nationale de Martigues, les 22 et 23 novembre 18
      – Espace des Arts, Chalon-Sur-Saône, les 27 et 28 novembre 18
      – Théâtre Durance – Château-Arnoux/Saint-Auban, le 1er décembre 18
      – Le Quai CDN d’Angers Pays de la Loire, les 4 et 5 et 6 décembre 18
      – Théâtre du Rond-Point – Paris, du 9 janvier au 10 février 19
      – Théâtre de l’Union – Cdn du Limousin, les 13 et 14 février 19
      Presse : https://urlz.fr/8WUX (manque papier Télérama que vous trouverez facilement)

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