Fin de l’utopie interdisciplinaire ?
Une contre-réforme « tranquille »
non sans conséquences
Le nouveau ministre de l’Éducation nationale a choisi d’adopter une ligne réformatrice distincte de celle de son prédécesseur notamment pour ce qui concerne la réforme du collège.
Désormais moins imposée, son application est donnée comme variable en fonction des établissements.
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Le temps perdu des résistances…
Sur la question précise des EPI, les formations spécifiques mises en place à l’intérieur des établissements ainsi que leurs premiers lancements au cours de l’année scolaire 2016-2017 ont mis en évidence de fortes divergences quant à l’adoption sans frein de la logique interdisciplinaire.
Rétifs à une nouvelle organisation des enseignements ressentie comme une injonction verticale, nombre de professeurs de collège l’ont adoptée par défaut, pour ne pas dire contraints et forcés.
En fonction des établissements, la résistance s’est même muée en lever de bouclier comme si quelque chose de sacré ayant trait au socle disciplinaire venait d’être atteint de plein fouet.
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La discipline, une entité singulière ?
Bloc disciplinaire, domaine disciplinaire, les expressions institutionnelles varient autant que le cadre épistémologique sur lequel elles se fondent. Dans le même temps, chaque professeur reste plus ou moins viscéralement attaché à sa discipline – le possessif étant de – présupposant, le cas échéant, des frontières opaques et intangibles entre les domaines : français et géographie, mathématiques et histoire, etc.
À ce titre, une heure dédiée aux EPI n’est pas toujours perçue, loin s’en faut d’ailleurs, comme une heure fondamentale du point de vue disciplinaire. Il est à noter, en outre, que cette fixation identitaire des professeurs sur leur discipline se révèle en règle générale d’autant plus forte que les classes en responsabilité sont présumées de bon niveau scolaire.
À l’inverse, l’intuition d’un fort potentiel didactique de l’interdisciplinarité est considérée comme plus fructueuse dans des établissements moins favorisés sociologiquement.
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Désenclaver sa propre discipline
À titre d’exemple, un professeur de lettres travaillant sur un récit de voyages en classe de cinquième comme Le livre des Merveilles ou encore Moby Dick a tout lieu d’établir des connivences naturelles avec le lexique de la géographie en s’intéressant aux distances parcourues, à la toponymie, aux coutumes des différentes sociétés rencontrées voire aux données climatiques.
En ce sens, le croisement des disciplines demeure a priori à l’œuvre dans le cadre même des séquences de littérature. On mesure combien l’esprit des EPI visant à intensifier le croisement des disciplines pouvait avoir un rayonnement positif. Comment ne pas penser par exemple, sur le plan didactique, que le démarrage d’un travail d’écriture et d’une réalisation graphique ont un certain nombre de points communs ?
Dans les deux cas, pourtant, séparés par la tacite frontière disciplinaire, le questionnement du statut de l’esquisse du peintre et du brouillon de l’écrivain permet d’alimenter la réflexion des élèves, le professeur de français et celui d’arts plastiques développant ici une forme d’approche génétique comparée susceptible de faire entrer les élèves dans l’atelier des artistes.
À partir du moment où les EPI seront optionnels, on risque de retomber sur une définition restrictive du disciplinaire. Or, dans le cas du français tout particulièrement, nous avons affaire à une matière vivante et ouverte.
L’interdisciplinarité au lycée, un horizon lointain…
La vocation – au moins implicite – de la réforme du collège reposait sur son possible effet d’entrainement par rapport à l’enseignement pratiqué au lycée. Ce prolongement des expérimentations menées à l’étage inférieur de la scolarité relevait cependant de l’utopie étant donné le cadre compartimenté des disciplines.
La mise entre parenthèses des EPI au collège ne laisse donc pas présager d’évolution sensible. Pourtant, les vertus de l’interdisciplinarité resteraient facilement démontrables même au lycée. Imaginons, à titre exemplaire, l’intérêt qu’un professeur de lettres pourrait avoir à démarrer des apprentissages sur l’écriture naturaliste (objet d’étude : du réalisme au naturalisme) par une première approche des enjeux du naturalisme scientifique et encore plus spécifiquement du dessin naturaliste.
Les élèves seraient d’autant plus attentifs aux spécificités de l’écriture zolienne qu’ils auraient compris préalablement les objectifs de la représentation naturaliste. On ne détaillera pas ici ce virtuel « EPI » en lycée, mais on rappellera que la littérature doit être définie avant tout comme une matière vivante embrassant dans le cadre de sa revitalisation permanente d’autres domaines que le sien.
Antony Soron, ÉSPÉ Paris
Cet article est excellent, très juste. La réalité décrite, je l’ai vécue puisque dans mon établissement, de « bon niveau », les EPI ont été quasiment sabotés. Le français reste une « matière » (laquelle au juste ?) et il semble qu’on reste dans le cadre scolaire le plus étroit, quand écrire, lire, communiquer, cela se vit à chaque instant.
Fin du cauchemar interdisciplinaire, des montages factices complaisamment subordonnés aux directives d’en haut. La véritable interdisciplinarité naît de l’envie qu’ont les professeurs de travailler ensemble, de construire des projets qui correspondent à leur volonté de transmettre des savoirs vivants, structurés et finalisés, pas de décrets ministériels qui sont fatalement perçus comme des « injonctions verticales ».