Formation des enseignants : le projet de réforme du CAPES, une réforme à contre-sens ?

Le 10 septembre 2020, la section 9 du Conseil national des universités (« Langue et littérature françaises ») a soumis une motion de défiance sur la réforme de la formation et du recrutement des enseignants impliquant à la fois le Master MEEF et le concours du CAPES. Loin de n’être qu’un mouvement d’humeur antiréformiste, le texte des universitaires relaie en profondeur les inquiétudes de l’ensemble des acteurs de la formation.

L’esprit retors de la réforme

De la création des IUFM jusqu’à l’établissement des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ), la formation des enseignants n’est jamais parvenue à faire taire les critiques. Or, à l’heure où s’engage une nouvelle réforme voulue par le ministère de l’Éducation nationale, la perspective adoptée semble toujours biaisée. Il s’agit, cette fois, d’adopter une ligne strictement pragmatique, tant sur le plan économique qu’idéologique : la formation doit incomber prioritairement aux praticiens, autrement dit aux professeurs de terrain, dont les compétences spécifiques auront été validées par les Inspections.
« Une formation plus pratique, fondée en partie sur le modèle traditionnel du compagnonnage qui accorde une place plus grande aux professeurs jugés expérimentés, devait remplacer une formation suspectée d’être trop théorique et accusée de “pédagogisme” par une certaine presse1. »
Corrélativement, ce sont les professeurs détachés à plein temps dans les INSPÉ et autres enseignants-chercheurs qui sont mis en cause. À première vue, pourtant, ce nouveau paradigme de formation pourrait ne pas susciter spontanément la défiance. Un tiers de la formation assurée par des pédagogues expérimentés et bien évalués par leur Inspection – au fond où est le problème ? L’erreur grossière consiste à considérer que le « bon prof » fera naturellement un bon formateur. De ce point de vue, les faits sont têtus. Un formateur à plein temps n’a rien d’un formateur hors-sol ou hors du temps, loin s’en faut d’ailleurs. Comment en douter, tant la réalité du métier exige un ancrage dans la réalité enseignante, ne serait-ce que par la visite régulière des professeurs stagiaires dans le cadre de la formation initiale et l’implication dans la formation continue.
En outre, en dépit des spécialités de chacun, un formateur INSPÉ ne campe pas sur un seul degré de la scolarité. C’est même là l’une des forces des praticiens à plein temps de la formation des enseignants : faire le lien entre l’école maternelle et l’école élémentaire ; entre le premier et le second degré, entre le collège et le lycée. Cette perspective d’ensemble et les axes de questionnement qu’elle induit sont essentiels, notamment face à des professeurs stagiaires qui, n’ayant en responsabilité, durant leur année de stage, qu’un ou deux niveaux de classe, ont naturellement tendance à ne considérer que ces niveaux-là. Or, le formateur doit aussi mener les stagiaires vers le long terme, c’est-à-dire vers des niveaux de classe qu’ils auront très probablement un jour.

Un CAPES privé de discipline

Le professorat est un métier qui s’apprend – c’est une évidence. Évidence facile à partager au premier abord. D’où l’idée de « bon sens » de vouloir mettre l’accent sur la formation pratique et d’inciter les futurs enseignants à appréhender le plus tôt possible la réalité du métier.
À partir de cette évidence, le Ministère s’est appliqué à construire un nouveau curriculum de formation avec, en point de mire, un concours du CAPES déplacé en Master 2. On voit bien, ici encore, le problème posé : outre le fait que cette nouvelle situation implique une moindre attraction salariale à une époque où la perspective d’une carrière professorale n’a plus le vent en poupe, ce regroupement des exigences de validation et de formation au cours de la même année risque fort de noyer le disciplinaire au profit d’un court-termisme propice à la quête de supports pédagogiques prémâchés.
Naturellement, la réflexion ministérielle s’est emparée de cette problématique, sans avoir encore définitivement statué sur les épreuves du futur CAPES. Pour autant, les informations transmises à l’heure actuelle ont de quoi inquiéter. Jusqu’alors, l’explication d’un texte littéraire assortie d’une question de grammaire constituait l’épreuve d’admission dominante, la certification attendue dépendant d’une lecture rigoureuse des textes littéraires et d’une maîtrise suffisante en matière d’étude de la langue. Or, on a tout lieu de penser que cette épreuve va disparaître au profit d’un exercice plus « professionnalisant », assimilable, pour reprendre sa définition actuelle, à :
« une épreuve orale d’entretien sur la motivation du candidat et sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire […]. »
Il semble bien que ce projet fasse fausse route pour avoir été élaboré sur de fausses « évidences ». En premier lieu, il convient de rappeler qu’un « bon professeur de lettres » est d’abord un « lecteur expert » doté d’une culture littéraire solide et d’une méthodologie d’analyse des textes. Autrement dit, un « bon professeur de lettres » est d’abord un bon lecteur, en particulier des textes résistants comme le sont certaines œuvres patrimoniales. Deuxièmement, les compétences en matière linguistique de ce « bon prof » demeurent la condition sine qua non d’un enseignement efficace de la langue, que ce soit au collège, où l’étude de la langue est prioritaire, ou au lycée, où, rappelons-le, son étude systématique a été introduite dans les derniers programmes.
« On ne peut enseigner que ce qu’on connaît : la réflexion didactique et la connaissance disciplinaire doivent être envisagées de manière complémentaire, dans une approche contextualisée et appliquée de la discipline de référence du CAPES.2 »

Un professeur de français est aussi respecté pour ce qu’il sait

La formation des professeurs stagiaires de lettres implique une nécessaire didactisation des savoirs et ne saurait être optimale sans une maîtrise disciplinaire. Être un peu « court » sur tel courant littéraire ou tel aspect d’une œuvre peut créer l’un de ces points de fragilité d’où découlent des difficultés à gérer une classe.
« Il n’y a rien de plus inconfortable pour un enseignant que de savoir ses propres connaissances strictement limitées à celles qu’il doit transmettre : cela signifie qu’il ne peut faire face à aucune question de ses élèves, n’est pas en mesure de juger de la pertinence de telle page de manuel, ne peut prendre aucun recul face à son enseignement.3 »
Une observation facilement transposable dans tous les champs disciplinaires, et notamment concernant l’étude de la langue. Bien entendu, on pourra objecter qu’un « expert » n’est pas nécessairement un bon pédagogue. Mais un professeur de français est aussi respecté pour ce qu’il sait et ce qu’il est capable de transmettre : contextualisation des textes (histoire littéraire), interprétation des œuvres, expertise de la langue et de ses évolutions…
Il paraît ainsi incongru de vouloir réformer la formation en jetant la connaissance disciplinaire « avec l’eau du bain ». En dépit des aménagements nécessaires du Master MEEF, il serait improductif de lui ôter ce versant disciplinaire. Un bon enseignement n’est ni ignorant du public scolaire auquel il s’adresse, ni vidé de sa substance disciplinaire. Une séance de français n’est pas le « dernier lieu où l’on cause », mais un véritable espace de partage et de transmission du savoir, qui ne saurait donc se passer de compétences fondamentales dont l’épreuve de certification doit encore et toujours demeurer garante.

Antony Soron,
INSPÉ Sorbonne Université

1 https://laviedesidees.fr/La-reforme-de-la-formation-des-professeurs.html#page
2 Motion de la section 9 du CNU sur la réforme de la formation des enseignants, 10 septembre 2020 : http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8787
3 Communiqué de la SLLMOO sur le projet de réforme du CAPES de lettres modernes : http://www.conjointures.org/index.php?article896/communique-de-la-sllmoo-sur-le-projet-de-reforme-du-capes-de-lettres-modernes

Antony Soron
Antony Soron

3 commentaires

  1. Concernant la réforme des épreuves du concours, le projet d’arrêté de fin octobre indiquait que cela entrerait en vigueur pour la session 2023. Or des bruits courent que cela serait pour 2022. Cela ne me semble pas logique puisque la réforme des concours va de pair avec la réforme des Masters. Or, les étudiants qui vont expérimenter la nouvelle masterisation le feront à la rentrée 2021. Il me semble donc impossible qu’ils puissent passer le nouveau concours à la rentrée 2022 dans la mesure où ils sont sensés passer le concours en fin de Master 2. Pour moi, la session 2022 ne peut reposer que sur le modèle actuel. Quelqu’un aurait-il des informations à ce sujet ? Merci par avance.

  2. La France est dans l’impossibilité de se reformer en profondeur, de se remettre en question selon nos voisins européens ; cette idée reçue ne fait que se confirmer au regard de la complexité du parcours universitaire d’un étudiant qui souhaite accéder au métier d’enseignant surtout dans le secondaire : concours dans la discipline choisie en fin d’étude et non examen comme dans tant d’autres pays où la sélection a eu lieu en amont, différences de salaire notables en fonction du concours pour un même poste bien souvent. Suivant que l’enseignant possède l’agrégation ou le CAPES, il assurera 15 heures d’enseignement hebodomadaires ou 18 heures selon le principe de travailler plus pour gagner moins mais avec des conditions de travail extrêmement différentes selon les matières, les régions, les établissements.
    Aucune souplesse et possibilité d’adaptation du projet de l’éducation nationale aux differentes situations de l’exercice du métier d’enseignant, par ailleurs, si noble !
    On comprend mieux pourquoi ce métier continuera de n’avoir plus le vent en poupe si rien ne change sigificativement.

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