Fractures sociales et scolaires : non à la fatalité
Les slogans sur l’égalité des chances réveillent l’esprit critique. Le fait de l’affirmer masque des inégalités criantes, sans remédier à ce qui les alimente. Deux ouvrages décrivent une réalité dégradée et dénoncent les dysfonctionnements de l’école républicaine. À quand un projet politique articulant lutte contre la pauvreté et réussite scolaire ?
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire et historien
Les slogans sur l’égalité des chances réveillent l’esprit critique. Le fait de l’affirmer masque des inégalités criantes, sans remédier à ce qui les alimente. Deux ouvrages décrivent une réalité dégradée et dénoncent les dysfonctionnements de l’école républicaine. À quand un projet politique articulant lutte contre la pauvreté et réussite scolaire ?
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire et historien
Les rentrées scolaires sont toujours l’occasion pour les gouvernements, et le ministère de l’Éducation nationale en particulier (qui a maintenant en charge la Jeunesse et les Sports), d’affirmer les grandes priorités pour notre école républicaine. Comme un mantra, les expressions clés programmatiques, comme « égalité des chances » ou « réussite pour tous », tiennent le haut des discours. Le ministère entend ainsi mobiliser tous les services et toutes les troupes sur le terrain afin d’améliorer les résultats des élèves, « d’amener à l’excellence », d’« élever le niveau général » et d’« assurer l’égalité des chances ». Le ministre souligne ainsi l’« engagement total dans la réussite de nos élèves » de l’ensemble de la communauté éducative. Les évaluations en classes de sixième et de seconde (français et mathématiques) permettent de dresser rapidement un état des lieux de la situation et des besoins afin de remédier aux difficultés et d’orienter le travail pédagogique des équipes enseignantes.
Ces slogans éveillent l’esprit critique de l’historien. L’affirmation par trop parfaite de l’égalité des chances de notre système éducatif ne cache-t-elle pas, au contraire, des inégalités parfaitement connues ? N’est-elle pas le paravent de situations beaucoup plus complexes et problématiques ? L’école arrive-t-elle, depuis la massification et la démocratisation de l’enseignement, à élever ou maintenir le niveau scolaire de tous les élèves ?
Deux ouvrages, publiés respectivement en 2019 et en 2021, renvoient à une réalité scolaire très dégradée, dans un contexte social plus rude. Ils disent tous deux le dysfonctionnement de l’école et de la République.
Sans écoles, les inégalités seraient plus profondes encore
Dans l’ouvrage collectif coordonné par Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie à l’université de Limoges, intitulé Grande pauvreté, inégalités sociales et école (mai 2021), le constat est sans appel : la France et son école peinent à prendre en compte les classes populaires et à traiter les inégalités sociales et de richesse à travers la réussite scolaire des enfants. Tout en prenant acte des faiblesses du système éducatif, les auteurs et autrices de cet épais volume proposent des solutions.
Dans une très belle préface, l’historien et ancien recteur Philippe Joutard, auteur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire. Changer de regard », qui a fait date en 1992, rappelle l’acuité de la question de l’égalité des chances. Expert en charge de l’éducation à l’OCDE, Éric Charbonnier souligne : « Le système français est toujours tenu en 2018 par ses bons élèves, pour la plupart issus des milieux favorisés ». Quand les plus défavorisés se trouvent souvent en échec scolaire. La France produit ainsi les écarts scolaires les plus élevés de la zone de l’OCDE. Ces écarts se retrouvent dans la surreprésentation des élèves défavorisés maîtrisant le moins la lecture et dans les filières professionnelles du secondaire.
La succession des enquêtes menées depuis plus de trente ans et leurs conclusions alarmistes ne semblent rien n’y faire : les inégalités scolaires perdurent, voire se renforcent, et mettent en lumière les inégalités sociales qui pèsent sur la société et le vivre ensemble. Comment bien apprendre quand on ne mange pas suffisamment, quand on est mal soigné, quand ses parents ne maîtrisent ni la langue française ni les codes scolaires en vigueur ? L’impact de la pauvreté sur le destin scolaire n’aboutit cependant à aucune réforme d’envergure. Sans écoles, les inégalités seraient plus profondes encore.
L’attention portée par quelques millions d’euros à l’éducation prioritaire n’efface pas la réalité du terrain : un élève en classe préparatoire coûte toujours quarante-cinq fois plus à la collectivité qu’un élève de zone d’éducation prioritaire. Le premier est issu des familles les plus aisées, confronté à des enseignants chenus. Le/a second(e) est fille ou fils d’ouvriers peu qualifiés, issu(e) d’une famille monoparentale, élevé(e) dans un environnement soumis plus qu’ailleurs à la violence civique, encadré(e) par de jeunes enseignants peu expérimentés, soucieux pour la plupart de quitter au plus vite les établissements surchargés de banlieue.
Inertie du système scolaire ?
L’histoire de l’école à partir de la Révolution tend pourtant déjà à souligner l’importance de l’intégration des élèves les plus pauvres. Professeur d’histoire-géo et formateur, Benoît Falaize rappelle que l’école de la République des années 1880-1900, avec Jules Ferry ou Ferdinand Buisson, défendait
« l’égale dignité sociale des citoyens ». Était déjà dénoncée l’absence de l’égalité des droits et des chances, reflet d’une société inégalitaire. Jules Ferry, dès 1870, Jean Jaurès et la gauche républicaine quelques années après, ont défendu l’école unique et l’égalité de tous les enfants de la République contre une droite conservatrice, catholique et nationaliste, soucieuse de faire perdurer les inégalités sociales et politiques. Mais sans remettre en cause les deux voies scolaires alors en vigueur, et notamment celle du lycée destiné aux élites sociales.
Il faut attendre les années 1950 pour voir l’école primaire changer de statut et ouvrir sur l’enseignement secondaire. Ce changement majeur transforme le rapport social à l’école et met en lumière les questions liées à l’échec scolaire et à l’intégration des classes populaires, en particulier issues de l’immigration. Deux tendances politiques se cristallisent alors : une école pour le peuple autour de trois missions essentielles, apprendre à « lire, écrire, compter » ; une école plus ouverte, de l’émancipation par le savoir. Clivage qui perdure encore aujourd’hui et emprisonne le scolaire dans des méandres dogmatiques.
Ainsi, l’observateur extérieur peut avoir la désagréable impression d’une inertie du système scolaire malgré la multiplication des signaux (résultats médiocres des évaluations du suivi des acquis des élèves, enquêtes PISA). Les épreuves communes standardisées montrent de manière récurrente le déclin des résultats des élèves socialement défavorisés. Entre 2001 et 2016, ceux-ci perdent 14 points sur l’item
« Compréhension de l’écrit », alors que cette compétence connaît un regain dans les pays européens. Notons alors la contradiction flagrante entre les objectifs de réussite affirmés par les politiques et la réalité scolaire d’un élève de 15 ans…
L’enquête menée par Éric Charbonnier à l’échelle de l’OCDE souligne combien la qualité de la formation des enseignants, initiale et continue, joue un rôle essentiel dans l’amélioration des performances des élèves dans une perspective égalitaire. Pourtant, Jean-Paul Delehaye, ancien responsable à la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), signale avec justesse combien le dénigrement de la pédagogie, cette réflexion fondamentale de la transmission, reste fortement ancré en France. Il convient aux tenants d’une école dans laquelle il ne faut rien changer.
Valoriser la capacité à transmettre
Si les enseignants français disposent d’un diplôme plus élevé que la moyenne de l’OCDE, celui-ci valorise surtout les connaissances disciplinaires et non la capacité à transmettre. Dans le second degré en particulier, le contenu disciplinaire est privilégié aux dépens de la pédagogie des matières enseignées. À l’inverse, dans le premier degré, la place prépondérante d’étudiants en lettres ou sciences humaines, dans le cursus qui mène au professorat des écoles, produit un impact clair sur la moindre maîtrise disciplinaire des maîtres dans l’enseignement des sciences ou des mathématiques.
« Ces lacunes ont un impact sur les élèves les plus en difficulté, souvent issus des milieux les plus défavorisés », souligne encore Éric Charbonnier. Les exemples de diverses formations proposées dans d’autres pays, comme la Suède ou la Finlande, mériteraient d’être mieux observés en France. La valorisation du développement professionnel, en direction des classes hétérogènes ou la formation des personnels de direction à la pédagogie, sont autant de pistes clairement identifiées par les auteurs et qui ne sont pas ou si peu exploitées dans notre système toujours très académique.
Nombre de pays ont réussi à combler l’écart de réussite de leurs élèves par un investissement massif dans des réformes ciblées, mais efficaces : apprentissages dès le plus jeune âge, revalorisation des métiers de l’enseignement et de la direction scolaire, moyens alloués aux établissements les moins attractifs. L’ensemble des acteurs de l’école reste dans l’attente d’un projet politique « volontariste » articulant « lutte contre la pauvreté et réussite scolaire ». Elle devrait, entre autres, impliquer un changement de regard vis-à-vis des parents et des élèves les plus en difficulté sociale et scolaire : comprendre leur peur de l’échec, leur manque de compréhension des « rouages du marché de l’offre scolaire » (l’orientation), l’autocensure des plus précaires face à leur possible réussite.
Dans cette perspective, le sociologue Aziz Jellab insiste sur ce point, les projets de « cités éducatives », qui se multiplient au plus près des territoires et des établissements scolaires, doivent être pensés avec l’objectif « d’amener les élèves à acquérir des savoirs et à s’émanciper culturellement ». Et non dans le but de faire des collèges des lieux d’animation ou de laboratoire politique de « recréation du lien social ».
Ce que peut l’école
La deuxième partie de l’ouvrage présente des expériences de terrain et décrit avec bonheur, au plus près des acteurs, « Ce que peut l’école », sous-titre de l’ouvrage coordonné par Benoît Falaize, Territoires vivants de la République publié en 2018 et qui avait pour ambition de rompre avec les représentations négatives associées aux territoires d’éducation prioritaire[1].
Il est question de remettre en cause fatalité ou déterminisme social bourdieusien trop vite digéré ou condamné. L’exclusion s’inscrit souvent dans une histoire familiale longue qui cristallise les échecs, les traumatismes et aboutit à une absence de repères de réussite si connue des classes plus aisées.
Plusieurs projets académiques ou locaux visent à créer du lien social entre les équipes éducatives et les familles. À Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) par exemple, un « journal des apprentissages », rédigé tous les jours par les élèves de l’école primaire, est discuté le soir en famille et restitué à l’enseignant le lendemain. Ce dialogue permet en particulier d’intégrer des parents qui n’ont pas été scolarisés et qui, respectés, peuvent dire en retour à leurs enfants la nécessité de l’école et des apprentissages scolaires.
Autre enseignement de terrain : savoir faire passer les enseignements disciplinaires au second plan pour « accrocher » les élèves avec des énoncés qui les surprennent. Et ainsi créer de l’intérêt pour la réflexion et l’esprit critique. En un mot : valoriser « leur pouvoir et leur capacité » au lieu de les écraser d’emblée. Il ne s’agit jamais de dévaloriser le savoir, mais bien de briser des barrières symboliques comme l’absence de confiance en soi pour rendre ce savoir accessible aux plus démunis.
La réflexion pédagogique rigoureuse, trop absente dans la formation des enseignants, préside toujours aux projets scolaires présentés dans ce livre. Écoute, adaptation, bienveillance, partage des expériences, autant de chemins très riches et fonctionnels qui rompent avec un système scolaire structurellement bien trop cloisonné, distant, fonctionnant sur des rapports professionnels bien trop archaïques pour solutionner les inégalités scolaires actuelles.
Il existe donc des talents du quotidien dans les académies de Lille, Bordeaux, Toulouse, Créteil ou Nantes. Cette ville inscrit dans son projet la réduction des « fractures sociales et territoriales » et construit avec les parents d’élèves des stratégies partagées pour lutter contre la déscolarisation des élèves en situation de précarité sociale.
Des enseignants de primaire ou de secondaire (le lycée n’échappe pas ou plus à la présence d’élève de catégories sociales défavorisées), en équipe, œuvrent, mais trop souvent en artisans, à déconstruire au quotidien les représentations collectives de soi et du « groupe », et à « décentrer le regard » pour penser la pauvreté et ses remèdes scolaires possibles.
Ainsi, un lycée de Seine-Saint-Denis attache une grande importance à comprendre l’importance du costume qu’Amaury ne peut s’acheter ou à valoriser le livre apporté par Tiago, orphelin vivant chez son frère aîné et pour qui cette maigre archive familiale est le symbole fort d’un possible projet de vie autour de l’écriture.
Ceux qui restent : les campagnes en déclin
Le livre de Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, paru en 2019, s’inscrit dans une enquête sociologique de plus large spectre. Il s’intéresse aux campagnes en déclin et à ceux qu’il qualifie de « bandes de potes », ces jeunes adultes qui créent des formes originales de socialisation dans des territoires déclassés. Ils sont les oubliés de ce rural autrefois vivant, aujourd’hui désindustrialisé et rejeté en « périphérie ».
« Ceux qui restent », ce sont ceux qui, faute de diplôme ou de formation, issus des catégories les moins inscrites dans les dynamiques économiques et sociales contemporaines, souffrent du manque de reconnaissance politique et symbolique. Ils ont, jeunes hommes et femmes, grandi dans des espaces où l’emploi, les industries et les services ont largement disparu. Ils sont en outre soumis à une accumulation de difficultés, à commencer par leur propre origine sociale qui peut faire obstacle à la réussite scolaire.
L’enquête menée dans cet essai, dans plusieurs cantons et départements du Grand Est, plonge dans le quotidien délabré des « invisibles de la République » restés dans les petites et moyennes villes désertifiées.
Dense et fouillé, l’ouvrage de Benoît Coquard met en lumière crûment, mais avec beaucoup d’humanité, les facteurs expliquant les bouleversements de ces territoires largement déstructurés, ces bourgs et villages de campagne en déclin. Le sociologue interroge la pertinence de ne retenir que le point de vue de ceux qui disent le monde (les dominants) et qui savent si bien définir les « périphéries » inutiles.
Dans la droite ligne des travaux de sociologie proposés par Richard Hoggart dans son livre La Culture du pauvre, l’enquête de Benoît Coquard aide à mieux comprendre les repères des foyers ouvriers stables dans les espaces ruraux délaissés. Il s’y dessine des « bandes de potes », peu aisés (ouvriers/employé(e)s) en quête de travail et de respectabilité, à l’habitat pavillonnaire ouvert sur la sociabilité des amis vivant plus ou moins repliés sur leur précarité (emplois, couples). L’interconnaissance et l’entraide en constituent les piliers sociaux.
Disqualification des périphéries
Le chapitre introductif sur le début du mouvement des Gilets jaunes pose clairement le problème du point de vue. Ce mouvement, commencé en novembre 2019, a été vite qualifié de « jacquerie paysanne » par les politiques ou par une bonne part des médias. France Inter, radio pourtant marquée à gauche, a évoqué à propos de ce soulèvement populaire un « rassemblement de soutiens ignares de l’extrême droite ». Le mépris de classe sourdre décidément même là où on ne l’attend pas et participe à la disqualification des « périphéries » par celles et ceux qui auraient dû comprendre la colère de « ceux qui restent ». Sans voiture, eux ne peuvent trouver un emploi qui, en outre, est de plus en plus éloigné de leur domicile.
« Ceux qui partent » sont d’abord celles et ceux qui poursuivent des études dans la grande ville, voire la métropole régionale, et peuvent espérer s’intégrer au marché du travail national, peut-être même international. « […] quand tu vois les meufs qui sont restées, c’est soit celles qu’avaient déjà un gosse ou deux […] et celles qu’étaient nulles à l’école », assène Justine, fille d’ouvrier, assistante de direction dans une agence de service aux personnes âgées et qui a réussi à s’échapper du village. Peu de ceux qui sont partis reviendront dans un environnement coupé des flux dynamiques de la mondialisation.
Ceux qui restent sont ceux qui ne possèdent pas ou peu de capital culturel, économique et scolaire. Pour eux, les stratégies de contournement de l’école s’inscrivent dans un héritage familial déjà déconnecté du scolaire. D’autant qu’aucun diplôme ne protège du chômage ou des emplois précaires dans des campagnes en déclin offrant peu de débouchés professionnels. « Le diplôme en lui-même n’est pas un gage de prestige social local », souligne Benoît Coquard. Il s’agit d’échapper rapidement au système scolaire à travers des filières courtes et concrètes pour obtenir une « bonne place » d’ouvrier dont le statut est valorisé dans la sociabilité locale. Et ainsi prendre sa place comme sujet autonome dans un environnement contraint.
Il existe aussi une différence genrée. Les filles réussissent mieux à trouver, dans la (relative) réussite scolaire, une échappatoire à un avenir tout réglé : emploi du care rural, vie de couple et maternité plus précoce qui permettent de s’insérer dans la sociabilité reconnue des cantons. Il s’agit pour celle qui reste d’être reconnue sans être critiquée pour une attitude qui pourrait être vue comme déviante. Les jeunes garçons, plus attachés au club de foot ou à la cabane de chasse, cherchent dans des emplois d’ouvriers et artisans qualifiés une stabilité sociale et une reconnaissance par le travail.
Omniprésente, la « valeur travail » détermine en grande partie la réputation. Ce que l’on retrouve dans l’enquête de Gérard Noiriel sur les Gilets jaunes, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire[2]. Le contrôle social fort important dans ces milieux d’interconnaissance (qui imposent une masculinité aux visages moins caricaturaux que ce que les urbains se représentent) se redéploie dans des espaces semi-privés : le salon ouvert des maisons de couples installés à l’heure de l’apéro (le « rôle social du pastis »).
Les lieux de vie collectifs, autrefois centres de la sociabilité, comme les institutions encadrant jadis la société locale (usines, religion, associations sportives) disparaissent, périclitent ou sont attachés, comme le bar aujourd’hui, aux marginaux des déclassés, les « cassos » les plus paupérisés, prisonniers des centres-bourgs à l’abandon.
Divisions et inimitiés ponctuent de fait dans ce cadre les interrelations mises en concurrence sur un marché du travail restreint. L’emploi détruit, tout l’échafaud social a été touché jusqu’à l’école qui n’est plus perçue chez les jeunes adultes déclassés du rural « périphérique » comme un repère partagé. Pourtant, ces ouvrières et ces artisans construisent aussi un entre-soi protecteur dans un univers marqué par un déclin des identités positives.
Lorenzo, Vanessa, Célia ou Dimitri, dont la parole est largement reprise dans cet essai, incarnent heureusement ceux qui restent. Loin des stéréotypes qui leur sont souvent accolés (« beaufs », vote massif pour le Rassemblement national), ils disent leur vie pleine, leurs attentes, leur autonomie. On souhaiterait effectivement avec l’auteur qu’ils puissent un jour être pleinement représentés dans le système républicain.
Covid et décrochage
La France et le monde sont encore aux prises avec la pandémie de Covid. Cette dernière a un impact scolaire, notamment autour des décrocheurs que l’on nomme désormais selon la nouvelle nomenclature du ministère les « désinvestis ». Les enseignants notent sur le terrain l’accroissement des inégalités entre les plus favorisés et les plus défavorisés[3]. Dans Grande pauvreté, inégalités sociale et école, Najat Bentiri, docteure en psychologie, fait le même constat avec beaucoup d’empathie.
Le quartier du Petit Bard à Montpellier, enclave de pauvreté et d’exclusion sociale qui compte sept cents élèves, a souffert plus que d’autres de la crise sanitaire : parents démunis face au travail scolaire à distance, sur fond de fracture numérique, peur face à la pandémie et aux conditions sanitaires à l’école, absence de cadre scolaire durant le confinement. Les liens absents ou distendus apparaissent au cœur de la détresse de nombre de familles. La réponse gouvernementale (continuité pédagogique, école apprenante) n’a pas été mise en œuvre : ce sont les habitants, les équipes pédagogiques, les associations de quartiers qui ont pallié une situation de détresse scolaire et sociale. Ce « rendez-vous manqué avec les quartiers populaires » renvoie à l’échec de l’école et plus largement de la république à intégrer tous ses enfants, au Petit Briard comme dans les cantons « en déclin ».
À lire ces contributions, le diagnostic est posé et réclame une réforme en profondeur de la structure scolaire. Mais l’attentisme et les représentations biaisées, l’inertie institutionnelle (donc collective) n’ont pas été dépassés. Il est urgent, au regard du coût social et politique de la question de la pauvreté et de notre école, d’en faire une réelle priorité et non rester au stade des discours lénifiants.
A. L.
Grande pauvreté, inégalités sociales et école, sous la direction de Choukri Ben Ayed, Paris, Berger-Levrault, 2021.
Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, de Benoît Coquard, Paris, La Découverte, 2019.
[1] Plusieurs articles de l’Ecole des Lettres se sont faits l’écho de projets scolaires inscrits dans cette dynamique de valorisation pédagogique des écoles, collèges et lycées inscrits en éducation prioritaire.
[2] Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire, Paris, éditions de l’Aube, 2019.
[3] Le Monde, « A l’école, des inégalités aggravées par la crise sanitaire », vendredi 8 octobre 2021.