"François d’Assise selon Giotto", de Michel Feuillet
Vous avez peut-être, par un jour de mai, gravi doucement les pentes du Monte Subasio pour parvenir au colle dell’Inferno, en ce lieu dominant où fut construite, vers le milieu du XIIIe siècle, à l’initiative du pape Nicolas IV, une vaste basilique destinée à recevoir les reliques du saint et à rendre hommage à sa vie exemplaire.
Vous êtes à Assise, au cœur de l’Ombrie, là où rayonne, malgré les encombrantes boutiques de souvenirs, la présence de François dont l’existence est racontée en vingt-huit scènes, peintes à fresque par Giotto et son atelier, dans la basilique supérieure.
Puis vous descendrez d’un niveau pour vous recueillir sur la tombe du poverello et admirer, dans le transept, d’autres peintures programmatiques, Les allégories franciscaines.
L’histoire d’une rencontre
Si vous souhaitez prolonger l’émotion de cette fascinante visite (et l’élargir à d’autres évocations franciscaines), il vous faut vous procurer d’urgence le remarquable ouvrage que publie Michel Feuillet qui concilie une iconographie irréprochable, un commentaire érudit et une écriture distinguée.
Ce pourrait être un livre d’art, ou un essai hagiographique : c’est l’histoire d’une rencontre. Ils ne sont pas de la même époque (à quelques décennies près), ne suivent pas la même route, n’ont pas connu le même destin, mais ils sont animés tous deux par une égale ferveur – spirituelle ici, esthétique là – et unis par la même aura posthume. Le « petit pauvre », comme l’écrit Feuillet dans sa superbe introduction, continue à séduire les foules et constitue un « idéal humain unique ».
Le maître de Florence, sans renier l’héritage de son prédécesseur Cimabue, marque « le basculement vers une peinture tout autre » et « ouvre la voie à la perspective moderne ». Entre les deux, le dialogue de la révélation et du génie. Le titre de l’ouvrage l’exprime au moyen de la préposition « selon » qui réunit le saint et l’artiste. Et le lecteur est invité, au fil des pages, à se faire le témoin de cette familiarité dans les cimes.
Le cycle de la basilique d’Assise
Une grande partie du livre-album est naturellement consacrée au cycle de la basilique d’Assise, vingt-huit scènes reproduites dans leur ensemble et détaillées dans des planches particulières, assorties, en regard, d’un lumineux commentaire. Le parcours est connu (à Paris a été exposée, il y a peu, une reconstitution grandeur nature), mais nous aimons toujours à le suivre : la rencontre du « simple », le don du manteau, la prière à saint Damien, la renonciation aux biens paternels, le songe d’Innocent III…, jusqu’au miracle des stigmates et la mort du saint.
Magnifique itinéraire – à un double niveau – que le commentateur résume brillamment : « Sous le pinceau de Giotto, François apparaît comme un homme de partage : d’un geste, d’un regard, il communie avec les créatures […], il est constamment en relation, en communion, chaleureusement avec les êtres les plus modestes, généreusement avec ses semblables, et humblement avec le Très-Haut. »
La célébration de l’Assisiate par Giotto ne se limite pas à la série de peintures qui ornent la basilique supérieure d’Assise. Le musée du Louvre (grâce aux armées napoléoniennes !) conserve un magnifique retable dédié à saint François : une pala de plus de trois mètres de hauteur, peinte sur bois, non datée, mais, fait rarissime, signée. La scène principale reprend le miracle des stigmates et, au-dessous, en forme de prédelle, trois représentations en mineur, dont une étonnante prédication aux oiseaux, véritable chef d’œuvre de délicatesse et de réalisme d’où se détache, sublime, « l’homme qui parle de Dieu aux oiseaux, l’homme qui reçoit le sceau divin dans le lieu le plus déshérité qui soit ».
D’Assise à Florence
La troisième partie du livre nous ramène à Assise, dans le transept de la basilique inférieure cette fois que Giotto, aidé de ses élèves (ou remplacé par eux), a décoré de diverses allégories, telles celle de la Chasteté, peut-être la plus touchante, détaillée ici sur plusieurs pages, ou celle de la Pauvreté « le vœu le plus spécifique à l’ordre des Mineurs – mais également problématique et âprement débattu », écrit Feuillet.
Le dialogue s’achève à Florence, la ville du peintre, dans l’église de Santa Croce où, à la demande d’un riche bourgeois de la cité, Ridolfo de’ Bardi, Giotto, au sommet de sa gloire et de son art, décore une chapelle, la première à droite. La vie de François se déploie à nouveau devant nous, avec plus de solennité et de grandeur. Au total sept scènes, choisies parmi les vingt-huit storie d’Assise. La sobriété caractéristique de l’artiste se combine avec une nouvelle éloquence annonciatrice de l’humanisme à venir.
Un propos juste et inspiré
Le corpus fait sens, comme le dit l’auteur dans sa conclusion : « L’ensemble des œuvres de Giotto frappe par sa richesse, mais aussi par sa cohérence » (fût-elle dialectique). Au-dessus des querelles théologiques ou politiques, au-delà des exigences contradictoires des commanditaires, Giotto a su trouver les solutions pour traduire l’idéal franciscain sans renier les exigences de l’art.
La force du message spirituel jointe à la perfection de la réalisation picturale nous ramène à l’essence de la peinture : le visible tendu vers l’invisible et l’invisible en acte dans le visible.
Cette ultime analyse due à Michel Feuillet situe son propos à la hauteur de ses modèles. Pour parler d’un saint parmi les plus charismatiques et d’un peintre parmi les plus admirés, il fallait au commentateur trouver une parole juste et inspirée. Il y est parvenu.
Yves Stalloni
• Michel Feuillet, « François d’Assise selon Giotto », Desclée de Brouwer, 160 p., 2015.
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