7 avril-17 juillet 1994 : retour historique sur le génocide des Tutsi au Rwanda
Depuis longtemps organisé et souverain, le Rwanda devient une colonie allemande après la Conférence de Berlin qui s’est tenue de novembre 1884 à février 1885 pour organiser la conquête de l’Afrique par les grandes puissances européennes.
Pendant la Première Guerre mondiale, le pays passera aux mains de la Belgique et ce jusqu’en 1962, lorsqu’à la suite de la « révolution sociale » de 1959 des milliers de Tutsi prennent le chemin de l’exil et s’établissent dans les pays limitrophes du Burundi, du Congo, de la Tanzanie et de l’Ouganda.
Les théories raciales au cœur de la conquête coloniale
Durant la colonisation, les Belges se sont surtout appuyés sur les Tutsi au détriment des Hutu et des Twa, leur offrant les postes les plus en vue de l’administration indigène et auprès des administrateurs coloniaux. Cette préférence a largement nourri la haine des Hutu envers les Tutsi.
La haine qui guidait les tueurs hutu extrémistes en 1994 est le fruit d’une construction idéologique née un siècle auparavant, importée d’une Europe où triomphaient les théories pseudo-scientifiques du racisme moderne. Les Blancs qui pénètrent dans ce qui est alors un des derniers territoires inexplorés d’Afrique ne comprennent pas cette société centralisée – mais non absolument homogène –, divisée en divers groupes complexes. Plutôt que de reconnaître leur incompréhension, ils plaquent sur le Rwanda le fantasme d’une « coulée blanche », d’une vague de peuplement européenne antérieure, postulant l’existence sur les terres africaines de « vrais » et de « faux » nègres, faisant des fils de Cham des porteurs de la civilisation sur le continent noir.
Dans ce tout petit pays, il y a, depuis des siècle, des lignages, des clans, des nordistes abakiga, des sudistes abanyenduga, et puis ces catégories Hutu/Tutsi/Twa, qui ne sont en réalité ni des ethnies (car tout le monde parle la même langue, le kinyarwanda, pratique la même religion et partage la même culture), ni des castes (les Rwandais se mariaient entre eux). Il y a des catégories socio-professionnelles. Ceux qu’on appelle Hutu, majoritaires, sont surtout cultivateurs. Les Tutsi, moins nombreux, sont essentiellement éleveurs, les derniers, très minoritaires sont chasseurs, potiers et d’autres choses encore. D’une manière générale, tout le monde fait un peu ou beaucoup d’élevage et d’agriculture. L’aristocratie dirigeante est tutsi, le pouvoir central est concentré entre les mains du clan des Abanyiginya, mais à la tête des chefferies, il y a aussi bien des Tutsi que des Hutu.
Le façonnement d’une conscience raciale
L’organisation des sociétés d’Afrique inter-lacustres répondait mal à l’idée de l’incapacité du Noir chez les colonisateurs. Très vite l’hypothèse d’envahisseurs hamites s’imposa et s’étendit à l’ensemble de la zone. Elle se traduisit au Rwanda par l’idée que les Tutsi, nègres-blancs hamitiques seraient arrivés du Nord en longeant le Nil, et auraient imposé leur domination au peuple naturel, les Hutu, et aux pygmoïdes Batwa. .
Si les colons n’ont pas inventé ces trois catégories, ils ont façonné chez les Rwandais une conscience raciale jusqu’alors inexistante.
Les Allemands puis les Belges et les missionnaires blancs pratiquaient un système d’administration indirecte et s’appuyèrent sur une élite formée dans l’école que les Pères Blancs leur réservait en y excluant les Hutu, créant ainsi une hiérarchisation fondées sur la distinction entre catégories à prétention raciale. L’Église catholique, qui contrôlait l’enseignement, transmis la notion d’une hiérarchie descendante Tutsi / Hutu / Twa. Dans les années 1930, les Belges instaurèrent une carte d’identité « ethnique », fixant ainsi le clivage sur papier. Pendant le génocide, c’est sur la base du contrôle de ces cartes que les tueurs sélectionneront les Tutsi à tuer.
Les mouvements pour l’indépendance
Quand, à la fin des années 1950, les élites tutsi commencèrent à réclamer l’indépendance, les Belges favorisèrent l’émergence d’un mouvement hutu, qui aboutit en 1959 à ce qui fut appelé la « révolution sociale ». Mais au lieu d’abolir les privilèges d’un groupe, elle ne fit qu’en inverser le signe. Confondant majorité démocratique avec majorité ethnique, elle déboucha sur la création d’un État post-colonial fondé sur le primat raciste de l’idéologie hamitique, faisant des Hutu le peuple naturel et des Tutsi des conquérants et des envahisseurs.
Des pogroms répétés poussèrent des dizaines de milliers de Tutsi à quitter le pays mais, à plusieurs reprises, ils s’organisèrent et tentèrent de revenir par la force dans leur pays. Les auteurs de ces raids furent surnommés inyenzi, « cancrelats ». Chacune de leurs incursions était suivie de massacres des Tutsi restés à l’intérieur, présentés comme complices.
Le premier président, Kayibanda, qui s’était appuyé sur les Hutu du sud et du centre fut chassé du pouvoir par un coup d’État de son ministre de la Défense, le lieutenant-colonel Juvénal Habyarimana, en 1973. Le parti de la révolution, le PARMEHUTU, fut dissout. Deux ans plus tard, il fut remplacé par le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement). Chaque Rwandais en était automatiquement membre.
Désormais les Hutu du Nord concentraient tous les pouvoirs. Habyarimana se rapprocha de la France et signa avec elle des accords de coopération militaire.
S’il n’y avait plus de massacres de Tutsi, la ségrégation était cependant maintenue dans l’enseignement, l’administration et surtout l’armée.
Les années 1980 et l’émergence du multipartisme
La fin des années 1980 fut marquée par une grave crise économique. Une opposition politique interne, composée de Hutu et de Tutsi, émergea et réclama le multipartisme.
Les Tutsi exilés avaient entre-temps organisé un mouvement politique et militaire, le Front patriotique rwandais (FPR) qui avait une branche armée, l’Armée patriotique rwandaise (APR). En octobre 1990, ils attaquèrent le pays depuis l’Ouganda et gagnèrent très rapidement du terrain. Le président Habyarimana eu alors recours à l’aide de l’armée française pour stopper leur avancée. Les Tutsi et opposants hutu furent diabolisés, et emprisonnés.
Acculé, le président commença à concéder certains compromis à son opposition interne et extérieure. Un gouvernement multipartite fut mis en place en avril 1992. Mais la démocratisation était de façade. Les milices hutu Interahamwe puis la RTLM, radio de propagande du Hutu Power, furent créés.
La machine génocidaire
En 1993, un accord de paix est signé à Arusha (Tanzanie). Il accorde le droit aux exilés tutsi de rentrer au Rwanda. Une force onusienne de maintien de la paix est envoyée sur place. Son commandant aura beau alerter ses supérieurs sur la préparation d’une extermination des Tutsi, rien n’est fait pour arrêter la machine génocidaire. La propagande de haine est méthodiquement organisée : ainsi « Les Dix commandements du Hutu », texte raciste rédigé en décembre 1990 appelant à la haine anti-tutsi, seront largement déclinés dans les organes de presse proches du pouvoir qui jouera un rôle primordial dans le génocide un an plus tard.
Les plus influents de ces médias sont le journal Kangura qui publie des caricatures anti-tutsi et la Radio des Mille Collines qui mène une propagande hors norme en diffusant chaque jour des appels à supprimer les Inyenzi (les cafards : les Tutsi). Et quand, le 6 avril 1994 l’avion du président Habyarimana est abattu au dessus de Kigali, le génocide planifié des Tutsi peut commencer. Il durera cent jours et conduira à la mort plus d’un million de femmes, d’hommes et d’enfants.
Les militaires de l’ONU avaient quitté le pays dès le déclenchement des massacres. Les militaires français, qui intervinrent avec l’autorisation de l’ONU en fin juin 1994 n’en firent pas davantage pour arrêter les massacres. Ils sont régulièrement accusés par les rescapés, les journalistes et les chercheurs de complicité avec les forces responsables du génocide. Une commission d’historiens créée en avril 2019 a entrepris un travail sur les archives pour éclairer ce débat. Elle devrait rendre son rapport en avril 2021.
Bénédicte Gilardi, Dominique Lechifflart, Marcel Kabanda
Voir sur ce site :
• Pour comprendre le génocide des Tutsi au Rwanda : la littérature du témoignage (1994-2019), par Alexandre Lafon.
• Entretien avec Beata Umubyeyi Mairesse.