« L’Art du rire », de Hos Jouben, ou l’école du burlesque
L’Art du rire de Hos Jouben est un spectacle original qui, tenant à la fois du « seul en scène » humoristique et du cours de théâtre pour tous sur le thème du rire, nous invite simultanément à entrer dans la peau du spectateur venant se divertir et dans celle de l’étudiant venant s’instruire. Autant dire que dans ces deux rôles notre attente est comblée.
La « master class » de l’acteur belge entend parler non du pourquoi, mais du comment et quand le rire survient. Non pas une métaphysique du rire à la Baudelaire (le rire et la supériorité diabolique) mais une physique du rire : le corps comme enjeu et investissement du rire.
Tout le spectacle étudie le corps humain et ses postures, sa lutte souvent ridicule pour sauver sa verticalité et l’image de dignité qui lui est associée. Hos Jouben allie en permanence l’explication et l’illustration, l’histoire de l’homo erectus, l’homme dressé, l’homme aspirant à s’élever, toujours de bas en haut, des jambes, esclaves qui supportent le corps, à la tête pensante qui impose sa hauteur. Et le professeur devenant acteur multiplie les situations burlesques de perte de verticalité et de réactions réflexes pour annuler cette indignité passagère. La marche, la visite au musée, la maladresse à table, l’alcoolique, chaque scène met en avant le jeu du corps, des jambes, des bras, du bassin, des épaules, de la tête, et les traits sont si justes que tout le monde se reconnaît dans ces tentatives désespérées et désopilantes pour conserver la face.
Le spectateur n’est pas oublié dans cette master class puisque Hos Jouben analyse la psychologie, à la limite du sadisme, du rieur, et en même temps cette reconnaissance de lui-même en l’autre, cette solidarité sociale devant la perte de dignité, dont notre rire mime l’action dévastatrice du corps : en effet, si le sourire localisé dans le visage garde la figure humaine, le rire renvoie le rieur à son corps libéré, s’agitant de haut en bas, toujours plus bas, désinhibé, s’abandonnant à d’absurdes mouvements de bras, capable de se tenir les côtes, aussi bien que de se rouler par terre. Comme le dit Hos Jouben, le rire s’installe progressivement dans un public : on ne rit pas de la même chose au début et à la fin d’un spectacle, raison pour laquelle l’acteur-professeur ne s’autorise qu’en toute fin de classe à jouer les rapprochements les plus absurdes tels que la parenté hommes- fromages ou encore hommes-poissons visitant un musée.
Le spectateur averti reconnaitra un peu certaines analyses de Bergson dans le Rire (« du mécanique plaqué sur du vivant ») mais le spectacle de Hos Joben est beaucoup plus ludique, beaucoup plus interpellant que ne l’est la lecture de l’essai. Avec l’Art du rire, nous sommes en situation, nous expérimentons en permanence ce jeu de regards, du rieur sur son objet, du sujet de risée sur son entourage. La souffrance peut être solitaire, le rire ne peut l’être : il suppose au minimum, un acteur et un observateur, réel ou supposé ; il suppose un jeu social, un corps et une conscience.
Voici un spectacle qui, comme beaucoup d’autres, mériterait d’être vu par le plus grand nombre d’élèves. Le théâtre donne chaque jour davantage la preuve qu’il est un merveilleux accompagnement du travail scolaire. Cet art du rire tourne avec succès dans les salles depuis plus de cinq ans, et gagnerait à entrer, par une captation, dans les ressources documentaires du Ministère, comme le réseau Canopé. Reste pour les plus courageux et les comédiens amateurs, la possibilité de retrouver Hos Jouben dans son école d’acteurs à Paris, l’École Jacques Lecoq… ou tout simplement, pour tous, la chance d’aller le voir au théâtre. Le théâtre, ce lieu où existe encore en ce monde quelque chose fait main : les applaudissements (derniers mots du spectacle de Hos Jouben).
Pascal Caglar
• « L’Art du rire », au théâtre de la Scala,13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris, prolongation à la Scala jusqu’au 29 mai.