Humanités, littérature et philosophie : l’orateur et son public
Cette première séquence de l’année, dans l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie », vise, du point de vue de la littérature, un double objectif. Il s’agira, sur le plan culturel, de fixer quelques notions issues de la rhétorique antique et, sur le plan méthodologique, d’initier les élèves à la question dite d’interprétation.
L’ensemble du programme sera abordé en privilégiant l’axe de la chronologie (voir l’esquisse de progression) et certains textes feront l’objet d’une double approche. L’évaluation portera sur le discours de Gwynplaine (Victor Hugo, L’Homme qui rit, 1869) à la Chambre des Lords avec une question d’interprétation en littérature et une question de réflexion en philosophie.
Le professeur commence l’année de façon didactique par une séance d’introduction magistrale à la notion de rhétorique, les textes de Cicéron et Tacite (séances 2 et 3) visant à initier l’élève aux attendus de la question d’interprétation. Le discours de Marc Antoine devant les citoyens romains (Shakespeare, Jules César, 1599), objet des cinquième et sixième séances, permet une première approche concrète de l’art oratoire par le biais de la lecture théâtralisée et la poursuite de l’entraînement à l’écrit.
La fable de La Fontaine, « Le Pouvoir des fables », permettra d’aborder les limites de l’art oratoire et d’envisager la solution imaginée par La Fontaine comme une entreprise d’autojustification de son œuvre, le propos peut, par ailleurs, intéresser les élèves qui seraient amener à étudier, en français, les Fables dans le cadre de du parcours Imagination et pensée au XVIIe siècle.
Les textes choisis ont un point commun thématique, ils représentent l’orateur en action et manifestent, pour les trois derniers, les conséquences de son discours sur le public.
Séance 1
Introduction à la notion de rhétorique
La première séance a pour objectifs d’initier les élèves à la notion de rhétorique et vise à leur présenter les premières polémiques qu’elle a pu susciter.
On commencera par faire délimiter aux élèves le champ sémantique du mot rhétorique en utilisant la définition du dictionnaire du CNTRL (https://www.cnrtl.fr/definition/rh%C3%A9torique), il en ressort que le mot rhétorique renvoie à cet « art de bien parler » théorisé par les philosophes de l’Antiquité dont les élèves ignorent généralement l’existence mais aussi à l’ensemble des « procédés stylistiques » mis en œuvre par une personne, le sens leur en est généralement plus familier puisqu’ils ont généralement entendu parler des « figures de rhétorique ». Il peut être intéressant de rappeler qu’il a existé une « classe de rhétorique » équivalant à l’actuelle première et que le mot, un peu comme le mot « littérature », peut avoir une connotation péjorative quand il s’agit de caractériser un style emphatique.
On pourra ensuite retracer brièvement l’histoire de cette discipline en s’aidant éventuellement d’un diaporama pour situer lieux et acteurs de cette histoire.
La tradition fait remonter la naissance de la rhétorique à un certain Corax (corbeau selon l’étymologie grecque) qui aurait pris la défense des propriétaires terriens siciliens spoliés par la dictature au cours du Ve siècle avant J.-C. Sa techné rhétorikè qui recensait les procédés oratoires nécessaires à une défense juridique efficace rencontre un succès certain. L’anecdote rapportée dans le texte 1, qu’on pourra lire en classe, est intéressante en ce sens qu’elle interroge déjà, et sur le pouvoir de la rhétorique, et sur sa dimension éthique. Les deux orateurs qui s’affrontent font, aussi bien l’un que l’autre, preuve de virtuosité mais sont renvoyés dos à dos par un juge que ne désapprouverait pas Platon.
La rhétorique se constitue en système sur le territoire athénien et c’est Antiphon qui met au point les cinq parties du discours, que reprendra Aristote, et qui crée le concept de « lieu », argument type fondé sur la théorie du vraisemblable, toujours en usage dans les tribunaux.
Lorsque les sophistes s’emparent de la rhétorique c’est moins pour démontrer qu’il n’est pas de vérité que pour manifester la subjectivité et, parfois même, la relativité de ce que l’on considère comme une vérité.
Après avoir brièvement évoqué les liens entre Socrate et Platon, on fera lire le court extrait du Gorgias (texte 2) proposé ici. Platon fait parler Socrate qui, s’adressant à Gorgias, commence par effectuer quelques mises au point.
On pourra demander aux élèves quelle est la valeur première pour Socrate. Il apparaît ici qu’il s’agit du vrai : les antithèses entre le vrai et le faux (l. 6-7) l’affirmation selon laquelle il préfère être réfuté lorsqu’il est dans l’erreur que de réfuter (l. 5-9), soulignent son attachement à la vérité. Socrate semble aussi dessiner en creux un portrait des sophistes qui, selon lui, s’inquiéteraient peu de la vérité, lui préférant la virtuosité du discours sous prétexte qu’il serait possible de défendre tout et son contraire. On laissera au professeur de philosophie le soin d’entrer dans les détails de la querelle qui s’instaure entre Socrate et les sophistes et qui constitue le sujet du Gorgias et du Protagoras.
On terminera cette première séance en situant brièvement Aristote (disciple de Platon, précepteur d’Alexandre le Grand, l’un des fondateurs de la philosophie occidentale), dont l’esprit analytique se manifeste d’une façon particulièrement pénétrante dans l’extrait de la Rhétorique que nous avons retenu (texte 3).
Aristote distingue trois types de rhétoriques qui s’adresseraient à trois classes d’auditeurs (ou destinataires dans le schéma de la communication de Jakobson) et dont les objectifs diffèrent ; ces trois groupes étant le « simple assistant », le « juge » d’un « fait accompli » (juge dans l’acception juridique du terme) ou le juge de « faits futurs » (législateur d’une assemblée). Il existe donc trois types de discours : délibératif (pour le législateur d’une assemblée), judiciaire (pour le juge) et épidictique (pour le simple assistant).
Ces distinctions effectuées, Aristote montre que chaque genre peut se donner des objectifs opposés (défendre ou accuser, louer ou blâmer…)
Suivant une logique explicative, Aristote finit par montrer (l. 15-21) que chaque genre a un « temps propre » (le délibératif engage l’avenir, le judiciaire se penche sur le passé, l’épidictique renvoie au présent et des buts, l. 22-31) et des buts différents : il s’agit, par la délibération, de décider de l’intérêt d’une proposition ; par le judiciaire de déterminer le juste et l’injuste et, par le recours à l’épidictique, de manifester le beau ou le laid.
Aristote suggère que la rhétorique n’est qu’un outil qui peut être mis au service de causes diverses, elle n’est donc, en soi, ni bonne, ni mauvaise.
[…]
• L’intégralité de cette séquence (25 pages), ainsi que les textes supports (Platon, Cicéron, Aristote, Tacite, Shakespeare, La Fontaine), sont téléchargeables dans l’espace abonnés du site ecoledeslettres.fr.
Plan de la séquence
Séance 1. – Introduction à la notion de rhétorique.
Séance 2. – Initiation à la question d’interprétation, analyse d’un extrait du Brutus de Cicéron.
Séance 3. – Entraînement à la question d’interprétation, extrait des Annales de Tacite.
Séance 4. – Le discours de Marc Antoine dans le Jules César de Shakespeare.
Séance 5. – La finalité du discours d’Antoine.
Séance 6. – Le pouvoir des fables, de La Fontaine.
Évaluations
– Évaluations de fin de séquence (littérature et philosophie).
– Question d’interprétation de littérature.
– Question de réflexion de philosophie.
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