La Cour des comptes
plombe le devenir enseignant
Pascal Caglar, professeur de lettres
En lisant le dernier rapport de la Cour des comptes sur le devenir enseignant (formation et recrutement) revient en mémoire ce passage célèbre du Voyage au bout de la nuit où le narrateur retrouve une lettre de Montaigne à sa femme sur la mort d’un de leurs enfants. Le personnage principal, Bardamu, ironise sur le réconfort douteux du texte et les remèdes dérisoires préconisés par Montaigne. À tout va, il s’exclame : « Ah la belle lettre ! En voilà une belle lettre ! Ah la belle lettre du Montaigne !»
Ah le beau rapport que voilà ! Cette somme docte sur le devenir enseignant ! En voilà des recommandations qui vont revigorer un corps de métier en souffrance et en relancer l’attractivité ! Comment ne pas s’indigner une fois encore de la faiblesse et de la nocivité des réponses institutionnelles face à une crise qui ne cesse de s’étendre ? Comment ne pas s’alarmer de voir la prestigieuse Cour des comptes valider les processus de transformation du recrutement (abandon progressif des concours, diversification des modes de recrutement) et même les encourager (appel aux contractuels, liberté de recrutement selon les territoires, révision des services des enseignants) ?
« La réussite scolaire doit beaucoup à la qualité des enseignants », rappelle pourtant la Cour dès les premières lignes. « La qualité du recrutement et de la formation des enseignants est cruciale pour la performance de l’école », ajoute-t-elle. Une profession de foi de bon augure, mais qui ne débouche en réalité que sur de simples recommandations : imposer une semaine de formation obligatoire pour les contractuels débutants, rendre obligatoire l’accompagnement des nouveaux enseignants et ouvrir le métier à de nouveaux publics en reconversion professionnelle formés par les collègues en place.
Les concours sont-ils le frein principal ?
Certes, le déficit croissant d’enseignants ne peut laisser dans l’immobilisme, il appelle une analyse et une réaction. Selon la Cour des comptes, les concours sont peut-être le problème plus encore que l’attractivité intrinsèque du métier. La France est le seul pays d’Europe à recruter ses enseignants par concours, et les CRPE, Capes et autres Capet ne remplissent plus leur rôle. Depuis cinq ans, le nombre de postes non pourvus ne cesse d’augmenter. Les concours de professeur des écoles connaissent une inégalité territoriale insupportable : un candidat pour un poste dans l’académie de Créteil contre quatorze candidats pour un poste dans l’académie de Montpellier. Les concours du Capes n’ont plus guère de sélectivité : plus de postes en lettres classiques que de candidats, trois postes pour un candidat en histoire, deux postes pour un un candidat en maths…
Les causes de cette désaffection sont bien connues et invitent à élargir le vivier de recrutement. L’élévation du niveau d’études à bac +5, qui exige la même année l’obtention d’un master (MEEF) et l’inscription aux concours, décourage les étudiants, de même la crainte d’une affectation dans une académie non désirée ou encore la perception peu valorisante du métier d’enseignant (salaire, conditions de travail).
Contractuels et job dating
La Cour des comptes fait les propositions suivantes : développer le troisième concours ouvert à celles et ceux possédant une expérience professionnelle dans le privé, multiplier les concours spéciaux, notamment pour les titulaires d’un doctorat, améliorer la cohérence des dispositifs de pré-recrutement chez les étudiants, améliorer l’alternance au sein des Inspé…
La mesure phare consisterait à accroître le recours aux contractuels sur la base des jobs dating expérimentés il y a peu, sous une forme d’apparence plus contraignante puisqu’assortie d’un engagement de trois à cinq ans, mais globalement identique : « Des entretiens pilotés par des autorités rectorales impliquant des profils variés de personnels, cadres du rectorat, chefs d’établissement, IPR, enseignants, personnels administratifs, personnes extérieures à l’Éducation […] conduits de manière à ne pas être trop exclusivement disciplinaire, […] destinés à vérifier, à partir du parcours du candidat, sa motivation et sa capacité à exercer les fonctions. » Cela nécessitera de laisser une plus grande liberté aux rectorats pour organiser ces recrutements en fonction des besoins et des moments, et de mieux répartir la charge de la formation.
Pour gérer au mieux ces nouveaux profils d’enseignants, la Cour des comptes préconise en effet de donner « un véritable rôle d’acteurs de la formation aux écoles et établissements scolaires ». Il conviendrait de constituer autour du chef d’établissement des équipes de direction élargies, associant des professeurs aux responsabilités nouvelles, et, au passage, d’inscrire dans le service même des enseignants ces missions de formation…
Enfin, si une revalorisation financière du métier est nécessaire, celle-ci devrait introduire une différenciation des rémunérations selon les territoires, notamment pour les académies de Créteil et Versailles, que la Cour des comptes verrait bien dotées d’un statut expérimental avec la mise en place de logements pour les néoprofs, des aménagements de carrière et des facilités de mutation.
Terrible et cynique, ce rapport creuse la tombe des concours nationaux. Il envisage la suppression de l’agrégation et l’aménagement des concours moribonds, il entend généraliser les recrutements éclair, augmenter la liberté des rectorats et alourdir les services des enseignants chargés de former les nouveaux profils. Lesquels viendront chercher primes et autres avantages dans les académies déficitaires. À condition que les compensations soient intéressantes. Cela ne fera que renforcer les disparités entre académies et la bascule vers un système privatisé. C’est à se demander si les alternatives défendues par les enseignants ont été ne serait-ce que consultées…
P. C.
Lire l’intégralité du rapport de la Cour des comptes.
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