La mixité sociale en progrès dans des collèges parisiens
Le dispositif multi-collèges renforce la mixité sociale dans la capitale, selon un premier bilan provisoire publié le 18 février par deux chercheurs de l’Institut des politiques publiques. À condition cependant que les élus et les parents d’élèves jouent le jeu et que l’offre pédagogique soit attractive.
Depuis les années 1960 et l’instauration de la carte scolaire, l’« évitement » est devenu un sport national. Ce phénomène autrement appelé « contournement » rassemble les élèves, et surtout leurs parents, qui veulent à tout prix éviter d’être scolarisés dans le collège de secteur, et qui le « fuient » vers des établissements privés ou un collège public de meilleure réputation. Raisons invoquées : le niveau des collèges concernés et la « discipline », mais surtout la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement.
S’il a toujours existé, ce phénomène se serait accru avec l’augmentation de la pression qui pèse sur l’orientation scolaire. Ce qui était une habitude dans les milieux favorisés s’étendrait désormais à la classe moyenne où la « préoccupation scolaire » prime parfois sur le choix de logement. Notamment dans l’académie de Paris, qui « concentre en effet sur un territoire relativement restreint une population socialement hétérogène, une offre scolaire très abondante et des niveaux de ségrégation scolaire parmi les plus élevés de France », expliquent les chercheurs Julien Grenet et Youssef Souidi dans leur étude Renforcer la mixité sociale au collège : une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris, publiée par l’Institut des politiques publiques ce 18 février.
Réduire la ségrégation sociale
Directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l’École d’économie de Paris et directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques, Julien Brunet expliquait déjà, en 2019 dans le Monde, que presque un enfant sur deux n’intègre pas son collège de rattachement dans la capitale. 35 % « basculent » dans l’enseignement privé à l’entrée en 6e, 15 % rejoignent un établissement « hors secteur ».
Pour réduire la ségrégation sociale entre les collèges de la capitale, la Ville et l’Académie de Paris ont lancé, en 2017, les « secteurs multi-collèges ». Un dispositif qui consiste à élargir les secteurs des collèges pour rééquilibrer leur recrutement social et dont Julien Grenet et Youssef Souidi tirent un premier bilan provisoire, trois ans après son instauration.
Son fonctionnement est le suivant : trois secteurs bi-collèges englobent six collèges situés dans les 18e et 19earrondissements de la capitale. Deux secteurs, Curie-Philipe (18 e) et Bergson-Pailleron (19 e) affectent les élèves via un algorithme. Le troisième, Berlioz Coysevox, suit une procédure de « montée alternée » : une année les CM2 partent en sixième vers un collège, l’année suivante c’est l’autre collège.
Premier bilan provisoire encourageant
Le bilan provisoire est « encourageant », saluent les deux chercheurs : la « montée alternée » a permis de renforcer la mixité dans le collège concerné. Dans le secteur Bergson-Pailleron, « la procédure de choix régulé a permis de concilier la réalisation de l’objectif de mixité sociale avec l’expression des préférences scolaires des familles », commentent-ils ensuite.
En revanche, le secteur Curie-Philipe échoue à rééquilibrer à court terme la composition sociale des deux collèges REP. Motifs : phénomène massif d’évitement vers le privé et forte asymétrie dans l’offre de formation, d’après l’étude publiée par l’Institut des politiques publiques. « Si des ajustements techniques ont permis d’améliorer les performances de cette procédure à partir de la troisième année d’expérimentation, d’autres leviers devront être actionnés pour modifier la perception des deux collèges et rééquilibrer leur composition sociale, à commencer par la mise en place d’une offre pédagogique plus attractive au collège Gérard-Philipe », expliquent les deux auteurs qui recommandent donc de « poursuivre l’expérimentation ».
Poursuivre à Bordeaux, Lille, Marseille ou Toulouse ?
Selon eux, en effet, « les secteurs multi-collèges constituent une piste sérieuse pour favoriser la mixité sociale dans l’enseignement secondaire public lorsque, comme c’est le cas à Paris, la densité de population est suffisamment importante et le tissu urbain suffisamment diversifié pour que l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges contribue au brassage social des publics scolaires ». Des villes comme Bordeaux, Lille, Marseille ou Toulouse pourraient être concernées.
Gare cependant à « tenir compte des disparités socio-spatiales propres à chaque territoire », préviennent Julien Grenet et Youssef Souidi : « la capacité des secteurs multi-collèges à réduire la ségrégation sociale suppose, en particulier, qu’ils se déploient au sein d’un maillage urbain dense et qu’ils puissent associer des quartiers socialement hétérogènes dans un périmètre limité, de manière à maintenir une distance raisonnable entre le domicile des élèves et leur collège d’affectation ».
Le succès du dispositif dépend aussi de l’implication des élus locaux et des parents d’élèves. Dans le 18e à Paris, le projet a rencontré des résistances à son démarrage. Dans cet arrondissement et le 19e l’expérience va être prolongée. Mais des parents d’élèves ont reporté sa mise en place dans le 13e en 2019. Et dans les 10e et à la frontière des 12e et 20e où elle était initialement prévue, elle ne devrait finalement pas être tentée. La mixité sociale n’est pas consensuelle. Il faudrait également développer les études sur l’intérêt qu’elle peut représenter.
Ingrid Merckx
• Télécharger le rapport Renforcer la mixité sociale au collège : une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris (IPP, février 2021, 219 p.).
• Carte scolaire : l’inscription au collège et au lycée à Paris.