La non-reconquête du mois de juin :
que font les enfants ?

La réforme du bac a accentué un problème déjà latent dans le calendrier scolaire : passé les dernières épreuves et les dernières notes, collégiens et lycées se retrouvent en vacances anticipées sous l’œil inquiet des parents et sur fond d’explosion des inégalités sociales.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Retarder les conseils de classe, les programmer le plus tard possible au mois de juin pour limiter l’absentéisme. Dans une circulaire du 26 mai, Pap Ndiaye a enjoint les collègues et les établissements à y penser « pour l’année prochaine ». Le ministre de l’Éducation aurait « demandé à un ancien recteur de se pencher sur cette question » par le biais « d’une mission officielle devant présenter des conclusions à la rentrée ». Rappeler l’objectif de la reconquête du mois de juin à la fin mai n’a pas manqué de faire bondir les syndicats enseignants et de personnels de direction. La secrétaire du SNES-FSU a tweeté sur le caractère « audacieux et disruptif » d’une prescription énoncée alors même que les conseils de classe étaient en cours, sinon passés. Le SNPDEN n’a vu dans cette annonce qu’un « contrefeu » pour esquiver le problème posé par les nouvelles épreuves de spécialité du bac. Programmées bien trop tôt dans l’année, en mars, celles-ci scellent le sort des bacheliers qui n’ont plus, ensuite, qu’à se concentrer sur la philosophie et le grand oral, grands perdants de la réforme. 

« Du point de vue des heures d’enseignement perdues, les épreuves du mois de mars ont conduit à une perte notable d’heures d’enseignement dès le deuxième trimestre, souligne Jean-Pierre Veran, formateur, expert associé France Éducation International (CIEP), sur son blog Mediapart, le 7 mai dernier. Elles ont été chiffrées à 1 200 000 heures par le syndicat des personnels de direction le 14 avril 2023. « Les élèves de terminale ont reçu, mercredi 12 avril, leurs notes, les dernières qui comptent pour leur dossier dans Parcoursup, la plate-forme d’orientation vers l’enseignement supérieur, relatait Violaine Morin dans Le Monde, le 16 avril. Elle ajoutait qu’une « désertion massive des lycées pourrait remettre en question le calendrier du nouveau bac, qui a toujours fait l’objet d’intenses crispations ». Les enseignants et les parents d’élèves se concentrant sur les meilleurs moyens de stimuler les élèves et de travailler autrement… » La réforme du lycée, initiée par Jean-Michel Blanquer, en est déjà à sa deuxième année scolaire. Mais, l’an dernier, les épreuves de spécialité avaient été repoussées. C’est donc la première année où elles se déroulent selon le nouveau calendrier prévu, en mars donc, ce qui ne cesse de soulever des problèmes de faisabilité et de cohérence pédagogique.

De la légèreté du troisième trimestre

Il n’est pas besoin d’être historien de l’éducation pour rappeler que les prescriptions pré-estivales sur le modèle de celles de Pap Ndiaye sont rituelles et généralement sans effet (1). Xavier Darcos en son temps (2007-2009) promettait déjà la reconquête du mois de juin (2). Celle-ci fait partie des sujets qui fâchent, comme en témoigne une question écrite du sénateur Alain Duffourg, le 27 octobre 2022 : 

« M. Alain Duffourg attire l’attention M. le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse sur l’anticipation de la fin d’année scolaire dans les collèges et lycées et l’organisation du mois de juin. En effet, bien que l’année scolaire se soit officiellement terminée le 7 juillet 2022, de nombreux élèves de l’enseignement secondaire se sont retrouvés en vacances dès la mi-juin (3). Le mois de juin est ainsi neutralisé par la préparation et le déroulement des examens. Le troisième trimestre étant de plus en plus léger d’un point de vue scolaire, des syndicats et des parents d’élèves appellent à la ‘‘reconquête du mois de juin’’. Au-delà de l’objectif de maintenir des cours de qualité jusqu’à la fin de l’année scolaire, il existe des initiatives à valoriser qui permettent aux élèves de développer de nouvelles compétences et de combler le manque de cours. Certains établissements mettent en place des stages conventionnés en entreprises, des stages d’anglais, de premiers secours, de sport, des vacances apprenantes, ou d’autres formations variées. Cependant, ces bonnes pratiques, bénéfiques pour tous, sont encore loin d’être généralisées et nécessitent d’être soutenues et appuyées par le Gouvernement1. »

L’arrêt des notes

Au-delà de la préparation des salles en vue de la passation des épreuves du brevet, la mise sous cloche du mois de juin comme période d’apprentissages tient au processus complexe des conseils de classe, notamment celui, déterminant pour le lycée, de troisième, explique un abonné de Mediapart, Vincent Schweitzer, dans un billet de blog à charge mais éclairant (4) : 

« Subrepticement, fin mai apparaissent les premiers craquèlements dans la grosse machine collège : absences plus fréquentes, concentration en chute libre. Toute personne qui fréquente le collège en connaît bien la raison : il y a le fameux ‘‘arrêt des notes’’. Il intervient dès début juin pour les classes de troisième, et une ou deux semaines plus tard pour les autres niveaux. Cet « arrêt des notes » si précoce s’explique par le besoin, bureaucratique, de boucler avant les vacances les longues procédures d’affectation des élèves pour l’année suivante. Il faut, deux ou trois jours après la date, faire les conseils de classe, envoyer le résultat aux parents (redoublement ou passage en classe suivante. » (5)

Le mois de juin ayant perdu tout contenu pédagogique, la tentation est grande de le considérer nul et non advenu. Ainsi, il n’est pas rare que des familles prennent leurs vacances avec un mois d’anticipation. Ou envoie les enfants en vacances anticipées : les billets étant moins chers avant le 14 juillet. 

L’article L1131-8 du Code de l’éducation est pourtant clair à ce sujet : « Lorsqu’un enfant manque momentanément la classe, les personnes responsables doivent, sans délai, faire connaître au directeur de l’établissement […] les motifs de cette absence ». Le site du Service public complète la prescription en détaillant les seuls « motifs » valables… (6)

  • maladie de l’enfant (ou d’un de ses proches s’il est potentiellement contagieux) ;
  • réunion solennelle de famille (mariage, enterrement, etc.) ;
  • empêchement causé par un accident durant le transport ;
  • enfant qui suit ses représentants légaux (déplacement en dehors des vacances scolaires).

… avant d’ajouter : « Tout autre motif d’absence peut être examiné et faire l’objet d’une enquête. »

On passera rapidement sur les risques d’une amende forfaitaire de 135 euros pour « motifs non valables » en précisant que déscolariser son enfant trop précocement peut faire encourir à son responsable légal une procédure pénale. Mais difficile de poursuivre des familles qui ripostent que les enfants ne travaillent, mais regardent des films ou jouent à des jeux de société au collège (activités qui peuvent être éducatives, d’ailleurs).

Le vrai problème étant : que fait-on des enfants ? Bienheureux ceux qui peuvent partir chez des grands-parents dévoués et valides, en séjour linguistique ou en stage sportif ou artistique. Mais les autres ? Ceux qui restent à la maison, livrés aux écrans et à une solitude parfois brutale après une année en collectivité ? Et ceux qui, libérés des contraintes scolaires, s’en vont aider au magasin des parents ou aux champs ou ailleurs, pour gagner de quoi soutenir leur famille.

Écarts de performance ?

Publié en avril 2023, une note d’information de Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (DEPP) rappelle à quel point les vacances scolaires accentuent les écarts de performances entre secteurs de scolarisation : « Pendant les vacances d’été, les élèves sont éloignés de l’école pendant deux mois. À l’issue de cette période de congés, les écarts de performances augmentent. » Et l’étude ne porte que sur les CP et sur des vacances d’été de deux mois. « Après les congés d’été, en mathématiques, le niveau stagne ou baisse dans tous les domaines sauf en résolution de problèmes. Dans le même temps, les écarts de performances entre les élèves selon leur secteur de scolarisation augmentent dans tous les domaines au détriment des ceux scolarisés en éducation prioritaire, notamment en REP+. En français, le niveau augmente pendant les vacances d’été, sauf en écriture. Dans ce domaine, tout comme en lecture à voix haute, les écarts de performances entre les élèves selon leur secteur de scolarisation augmentent2. »

Qu’en est-il des performances au collège et au lycée quand les vacances durent trois mois ? Le confinement peut-il servir de référence en la matière ? Pour les collégiens, ne plus avoir de cours revient à devoir gérer le désœuvrement. Ce qui passe de plus en plus communément par un usage immodéré des réseaux sociaux. Pour beaucoup de parents, le mois de juin devient synonyme d’angoisse : aller travailler en laissant ados et même pré-ados en autogestion… « Mon fils a beau avoir 14 ans, cette période me complique un peu la vie, confie une enseignante mère d’élève. Je ne suis pas sereine de le savoir seul à traîner à la maison… »

Alors que les examens de juin (brevet et bac) n’en finissent plus de se dévaloriser, l’Éducation nationale n’a toujours pas trouvé la solution pour optimiser le mois de juin. « On passe sous silence le fait que le temps libre participe au maintien et même au creusement des inégalités sociales », peste Bertrand Réau, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) dans un épisode de « Être et Savoir », émission de Louise Tourret sur France Culture (7), dédié au calendrier scolaire. Il faudrait pouvoir déterminer les priorités d’apprentissage pour les élèves dès le mois de septembre, en particulier pour ceux qui sont issus de familles non favorisées. Sinon, comment continuer à prôner l’égalité des chances ? « Pourquoi la reconquête du moins de juin n’a-t-elle jamais semblé aussi inaccessible ? », lançait Louise Tourret . Pourquoi les enseignants qui font cours jusqu’à la date officielle de fermeture des établissements sont-ils mal perçus par les élèves, mais aussi par leurs collègues ? Pourquoi les apprentissages ne sont-ils liés qu’à une vision utilitariste par année, sans anticiper sur la suivante ou les suivantes, voire sur la conception d’un bagage personnel pour la vie ?

A. S.

Notes

  1. Question de M. DUFFOURG Alain (Gers – UC) publiée le 27/10/2022
  2. Depp, note d’information n° 23.17, avril 2023.

Articles cités

(1) https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo1/MENE1427925C.htm
(2) https://www.slate.fr/story/231668/vacances-apprentissages-enfants-oubli-ecole-enseignement-cerveau
(3) https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221003513.html
(4) https://blogs.mediapart.fr/vincent-schweitzer/blog/200616/leffondrement-du-college-comme-chaque-mois-de-juin-0
(5) https://www.education.gouv.fr/alors-que-l-annee-de-cp-permet-de-reduire-les-ecarts-de-performances-entre-secteurs-de-scolarisation-377876
(6) https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1899
(7) https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/etre-et-savoir/la-non-reconquete-du-mois-de-juin-3362375


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Antony Soron
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