« La Vie de Galilée », de Bertolt Brecht, à la Comédie-Française
La Comédie-Française a l’art d’alterner les spectacles et de croiser les pièces les plus diverses : on peut rire actuellement avec La Puce à l’oreille, mais on peut aussi, chose plus rare et plus précieuse encore, réfléchir intelligemment avec La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, mise en scène par Éric Ruf.
Loin d’être ennuyeuse ou pontifiante, cette nouvelle version, de sa distribution à sa mise en scène, de ses costumes à ses décors, de son texte à ses interprètes, fait plus que donner à entendre un débat d’idées, le conflit entre la science et la superstition, entre la vérité et l’obscurantisme, elle fait vivre cette lutte en lui donnant une chair, un cœur et un esprit, l’incarnant dans un homme, Galilée, à la fois profondément humain, et profondément savant.
Ce serait intellectuellement trop confortable de réduire la pièce au combat de la raison contre l’Église, à une variante biographique des trop bien connus combats des Lumières transposée au début XVIIe siècle par un auteur du début XXe, et de ne vouloir retenir de cette histoire d’un homme de science condamné à abjurer ses découvertes que les dangers pour la pensée de toutes les religions.
En fait plus intéressante et plus contemporaine encore est cette compréhension que la pièce fournit de la concurrence, toute actuelle hélas, entre connaissance et croyance. Dans cette pièce, le pape et ses cardinaux connaissent la vérité, reconnaissent la validité des démonstrations de Galilée, mais préfèrent attacher les hommes à une croyance, Dieu, saint Pierre, la Bible et Rome, plutôt que de voir leur pouvoir renversé, l’esprit critique libéré, la vérité recherchée. La croyance a ses avantages que la connaissance n’a pas et les discussions entre Galilée et les théologiens de Rome portent moins sur les aspects scientifiques de ses découvertes que sur leurs répercussions morales et politiques.
L’enjeu n’est pas de déterminer qui de Ptolémée ou Copernic a raison mais de savoir ce qui gouverne mieux le monde, la connaissance et l’esprit de vérité ou la croyance et son ordre pacifié, merveilleusement magnifié par les décors de scène. Par beaucoup d’aspects la pièce de Brecht rencontre les analyses du sociologue Gérald Bronner, spécialiste des pensées extrêmes, des croyances fanatiques, développées dans des ouvrages comme La Démocratie des crédules (PUF, 2013) ou plus récemment Déchéance de rationalité (Grasset, 2019).
Cette reprise de La Vie de Galilée est l’occasion pour le monde de l’enseignement de renouveler son approche des questions des Lumières, de l’esprit critique, et du doute scientifique. Voir la pièce est une chance, Hervé Pierre campe un formidable Galilée, humain, joyeux, optimiste, préférant revenir de Rome « les mains sales plutôt que les mains vides », mais les groupes autour de lui dessinent des caractères bien affirmés, à commencer par ses amis et disciples, ou encore sa maison et sa famille, ou à l’inverse les cardinaux et l’Inquisition.
Mais à défaut, lire le texte est une consolation : il abonde en formules admirables que l’on appréciera en classe ou en lecture personnelle :
« Contentez vous de nous dire comment on va au ciel, laissez-nous le soin de dire comment va le ciel. »
« L’autorité d’un seul homme compétent, qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le consentement unanime de ceux qui n’y comprennent rien. »
« Malheureux le pays qui a besoin de héros. »
« Celui qui ne connait pas la vérité n’est qu’un imbécile. Mais celui qui, la connaissant, la nomme mensonge, celui-là est un criminel. »
Comme toujours la documentation rassemblée autour de la pièce est une introduction précieuse à qui veut travailler le texte… en attendant une captation pour le cinéma (la Comédie-Française est partenaire de Pathé Live) qui aurait toutes les raisons de voir le jour.
Pascal Caglar
• Représentations du 30 septembre 2019 au 19 janvier 2020.
• Présentation de la saison 2019-2020 de la Comédie-Française par Éric Ruf, administrateur général, depuis la Salle Richelieu.