L'année littéraire 2015-2016. I. Les auteurs français
L’année littéraire qui vient de s’écouler s’ouvre sur la rentrée de septembre 2015 en suivant le programme prévu dès le mois de juin par les éditeurs et leurs représentants qui font le tour des librairies pour défendre les livres des auteurs reconnus.
Ce qui n’exclura pas pour autant les surprises ; avec les favoris des prix mais aussi les auteurs qui sans être novices constituent une « bonne surprise pour l’année ».
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Et le gagnant est…
Pour savoir à quoi ressemblait la rentrée littéraire cette année, on se reportera au Monde des livres du 21 août 2015, car en créant son prix, le quotidien a pris de vitesse les institutions, Goncourt, Fémina, Médicis. Dans sa sélection on retrouvait une bonne partie de ceux qui allaient animer l’actualité de ce début d’année : Mathias Énard et Boussole, le prix Goncourt (qui était annoncé comme possible vainqueur depuis juin et qui fera l’unanimité critique).
Mais aussi Laurent Binet et La Septième Fonction du langage (Grasset – se souvient-on qu’il a décroché l’Interallié ?), ou bien encore D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan (Renaudot, Jean-Claude Lattès ). Cette dernière figurait du reste également dans le numéro du Figaro littéraire qui annonçait une rentrée en force pour les femmes, mettant en avant Christine Angot dont l’ensemble de la critique saluait le retour (Stock, prix Décembre).
Ce cœur changeant, d’Agnès Desarthe l’emportera, elle-même critique au Monde, mais dont le livre a suscité des échos ailleurs que dans son propre journal.
Quelques ouvrages parmi les titres récompensés en début d’année ne figuraient cependant dans aucun palmarès ou bien dans la position de l’outsider, c’est le cas pour La Cache de Christophe Boltanski qui articule l’histoire d’une famille relativement excentrique (tassée dans une Fiat 500, celles d’avant, image qui est restée à la critique) mais aussi qui recèle dans son hôtel particulier de la rue de Grenelle une pièce secrète, symbole de l’histoire de l’Occupation (Stock, Fémina).
Avec le Médicis, Nathalie Azoulay et Titus n’aimait pas Bérénice vient compléter cette liste.
Au delà de la liste, l’Orient
Si le livre de Mathias Énard fait à ce point l’unanimité c’est aussi parce que cette question, que, pour faire vite, on pourrait nommer « d’Orient » prend place à présent dans notre horizon culturel immédiat. Si Gilles Kepel et ses ouvrages prennent une place centrale dans la production géopolitique, de nombreux romans font la part belle aux histoires individuelles aussi bien qu’aux questions prospectives relative à cette sphère géographique. Hédi Kaddour et Boualem Sansal en sont les épigones qui se trouvent reconnus par le Grand Prix du roman décerné par l’Académie française.
Le premier, d’origine tunisienne dit à nouveau ce qu’est la présence coloniale d’un point de vue adouci (dans une certaine mesure), celui du cinéma.
Le second en offrant une fiction évidemment orwellienne, 2084, la fin du monde, s’inscrit dans l’actualité. En offrant la fiction d’une dictature totalitaire musulmane il prend place parmi ceux qui, poussant jusqu’au bout les tendances de l’époque, en tirent une fiction certes grossie mais qui qui contient des parcelles éclatantes de vérité. L’Abistan et son ordre aveugle révèlent la planification pour l’anéantissement de l’individu dans une théocratie qui a décidé de gommer toute culture exogène (Gallimard pour les deux).
Le vendredi 13 novembre fait à la fois écho et tranche par rapport à un innocent travail d’écrivain, il donnera un numéro spécial du cahier du Monde des livres. « Nous jouons tous dans la même équipe« , dit Christine Angot qu’on n’attendait pas nécessairement dans un tel rôle, et c’est l’équipe de France. » Cohérente cependant : un mois auparavant elle dénonçait le cynisme comme valeur. Enfin on notera que se multiplient les ouvrages consacrés à l’Orient perdu de ceux qui y vécurent, comme l’écrivain et critique d’origine égyptienne Robert Solé avec Hôtel Mahrajane (Seuil) symbole d’un monde pluriculturel et disparu.
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En décalage ?
À l’écart de l’Orient mais aussi des prix, l’ouvrage de Jean Hatzfeld qui continue de s’intéresser longtemps après aux victimes du génocide rwandais : Un papa de sang (Gallimard) donne la parole aux enfants des victimes et des bourreaux des années après le génocide. Cette œuvre, unique par sa ténacité et sa tendresse à la fois, offre de nouvelles perspectives sur le travail de mémoire : comment comprendre et évoquer l’attitude de parents dont on n’est ni responsable ni complice.
La véritable surprise de cette rentrée, La Carte des Mendelsohn, est un roman de Diane Meur, écrivain et traductrice de l’allemand qui retrace sa tentative de reconstituer l’arbre généalogique complet de la famille Mendelsohn. Le récit se promène de son appartement envahi progressivement par la représentation de l’arbre immense, aux extraits de biographie de chacun des membres de la famille (Sabine Wespieser).
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La seconde rentrée : des auteurs confirmés
En janvier entrent en lice les auteurs chevronnés qui n’ont pas besoin d’un prix et qui, par conséquent, seront épargnés par la compétition, mais, depuis les attentats de Charlie Hebdo qui ont interrompu le « cirque médiatique » autour de Houellebecq, elle se fait plus discrète. Réussite annoncée et peut-être plus consensuelle, Jean Echenoz fait l’unanimité avec Envoyée spéciale.
Ce roman qui se déroule en Corée du Nord réserve des surprises et confirme le talent d’Echenoz pour la topographie : « à aucun moment de sa lecture on ne frissonne, on fait mieux, on jubile », dit Étienne de Montety pour le Figaro Littéraire. On retrouve un Echenoz à la croisée des chemins avec une histoire entre roman d’espionnage foutraque de ses débuts et récits documentés ancrés dans une réalité envisagée avec une ironie bienveillante, même dans ses aspects cruels (Minuit).
Annie Ernaux donne la clef, avec son dernier récit, Mémoire de fille. Annie Ernaux revient sur la jeune femme qu’elle est devenue, brutalement durant un été de colonie de vacances, lorsqu’elle perd brusquement son statut de « fille ». « Je ne démontre pas, ce n’est pas une histoire écrite à l’avance. C’est l’écriture qui fait exister vraiment les choses, qui les sauve aussi. » L’écriture revient souvent dans l’entretien qu’elle accorde à Claire Devarrieux. On réduit un peu vite ce type de récit à l’aveu qu’il contient, Annie Ernaux n’en a cure (Gallimard).
Cette partie de l’année 2015-2016 fait la part belle à des auteurs plus discrets que nous évoquerons dans un épisode à part.
Et aussi, pour la rentrée à venir… 560 romans qui vont donner lieu à toutes sortes de commentaire sur l’excès et la pléthore, avant que chacun se résolve à en parler.
Pour les mois d’août et septembre, on attend à nouveau plusieurs titres des écrivains reconnus en lice pour les inévitables prix : Yasmina Reza, Philippe Forest, Laurent Mauvignier, Yasmina Khadra ainsi que Régis Jauffret, Laurent Gaudé et… François Bégaudeau. Des titres qu’on rendra à chacun (le jeu de l’été) ; « Crue », « Dieu n’habite pas la Havane », « Babylone », « Écoutez nos défaites », « Molécules », « Continuer », « Cannibales ». Plus de quatre bonnes réponses et vous pouvez entamer une carrière d’éditeur.
Frédéric Palierne
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L’année littéraire 2015-2016. II. La littérature étrangère, par Frédéric Palierne.
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- Le roman contemporain dans « l’École des lettres ».