L’Association des professeurs documentalistes de l'Éducation nationale (APDEN) auditionnée à l’Assemblée nationale
L’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale (APDEN) a été auditionnée à l’Assemblée nationale le 8 mars 2018 par la mission d’information sur l’école dans la société du numérique, présidée par le député Bruno Studer, afin de porter la voix et le regard spécifique des professeur.e.s documentalistes dans la réflexion sur la construction d’une culture numérique chez les élèves. Nous reprenons ici les propos de Gaëlle Sogliuzzo, professeure documentaliste, présidente de l’APDEN, et donnons le lien permettant de visionner l’ensemble des interventions.
Composition de la délégation
La délégation, coordonnée par l’association, a réuni les regards complémentaires du terrain, de la formation et de la recherche :
Pascal Duplessis, professeur documentaliste, responsable du Parcours MEEF Documentation, ÉSPÉ d’Angers. Membre du Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI).
Olivier Le Deuff, maître de conférences, habilité à diriger des recherches, en sciences de l’information et de la communication, responsable de la formation Infonum à l’IUT de Bordeaux 3 (Laboratoire Mica, Université de Bordeaux-Montaigne), membre du GRCDI.
Élisabeth Schneider, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, docteure en géographie, qualifiée en sciences de l’éducation et en SIC à l’ÉSPÉ de Basse-Normandie (Laboratoire Espaces des sociétés, UMR 6590), chargée de mission sur les usages du numérique, responsable du parcours professeur documentaliste ÉSPÉ de Basse-Normandie, membre du GRCDI, co-responsable du séminaire de recherche sur les usages juvéniles du numérique sous l’égide de la DNE
Gaëlle Sogliuzzo, professeure documentaliste, présidente de l’APDEN, dont on lira ci-dessous l’intervention :
L’association
L’APDEN est une association professionnelle d’enseignants spécialistes, qui existe depuis 1972. Elle regroupe des professeur.e.s documentalistes de lycées, de collèges et de l’enseignement supérieur publics. Elle est une instance de réflexion sur la pratique et l’évolution de la profession, et édite une revue professionnelle dont les numéros récents ont, par exemple, interrogé la notion de libertés, en particulier en ligne, dans le contexte post-attentats, la question des biens communs de la connaissance, ou encore le rôle du « professeur documentaliste à l’épreuve des radicalisations ».
L’association entretient, depuis ses origines, des relations étroites avec la formation professionnelle et la recherche ; elle participe ainsi actuellement au séminaire annuel du Groupe de recherche sur les cultures et la didactique de l’information (GRCDI), consacré à l’élaboration de « Nouvelles propositions pour un curriculum info-documentaire ». Elle organise également, tous les trois ans, un congrès national dont la prochaine édition traitera de la publication sur le web comme objet pédagogique.
Ses travaux sont largement investis par la profession comme supports de formation, sur le terrain mais aussi dans le cadre des formations initiales en ÉSPÉ, comme c’est particulièrement le cas du Wikinotions Infodoc, projet collaboratif définissant et documentant les savoirs et notions d’un enseignement en information documentation.
Également active à l’international, elle entretient des relations régulières avec l’UNESCO et est membre de l’IFLA (Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques – International federation of libraries associations) au sein de la section des bibliothèques scolaires, dans le cadre de laquelle elle partage ses travaux et réflexions. Elle a ainsi participé à l’organisation du congrès international de l’IFLA en 2014 à Lyon, et a récemment coordonné la traduction française des School libraries Guidelines (Recommandations IFLA / UNESCO pour la bibliothèque scolaire).
Par la qualité de cette réflexion professionnelle, L’APDEN est depuis longtemps un interlocuteur privilégié de l’institution : elle a ainsi été auditionnée en 2014 dans le cadre des travaux du Conseil supérieur des programmes sur l’élaboration du référentiel EMI, et a publié, à sa demande, une contribution complète sur la question.
Les positions que nous portons quant à la formation de tous les élèves à une culture de l’information et des médias, y compris numériques, par les enseignants qualifiés que sont les professeurs documentalistes, bénéficient du soutien de près de 2 500 personnes physiques et morales, parmi lesquelles les associations de professeurs documentalistes des enseignements privé et agricole (ANDEP et GRIDEA), des représentants des formateurs en ÉSPÉ, des chercheurs en Sciences de l’éducation (dont Philippe Meirieu) et en Sciences de l’information et de la communication (dont Divina Frau-Megs experte auprès de l’UNESCO, de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe), auxquels s’adjoignent des associations d’éducation aux médias, des professionnels des bibliothèques et de la documentation, et des associations disciplinaires et syndicats d’enseignants.
Les professeurs documentalistes
Les professeur.e.s documentalistes sont recrutés depuis 1989 par CAPES, concours qualifiant qui trouve son ancrage scientifique dans les Sciences de l’Information et de la Communication. Il.elle.s étaient un peu plus de 9 500 en 2016, exerçant dans 7 836 collèges et lycées publics.
La circulaire n°2017-051 du 28 mars 2017 définit les missions du.de la professeur.e documentaliste selon trois axes : il.elle « est [d’abord] enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par les élèves d’une culture de l’information et des médias, maître d’œuvre de l’organisation des ressources pédagogiques et documentaires de l’établissement […], et acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel. »
Le texte précise qu’il.elle doit « forme[r] tous les élèves à l’information documentation et contribue[r] à leur formation en matière d’EMI. » […] « Son enseignement s’inscrit dans une progression des apprentissages de la [classe de] sixième à la [classe de] terminale, dans la voie générale, technologique et professionnelle ». Il « peut intervenir seul auprès des élèves [dans des formations, des activités pédagogiques, […] d’enseignement, […] de médiation documentaire], ainsi que dans le cadre de co-enseignements, notamment pour que les apprentissages prennent en compte l’EMI ».
Les enseignements relatifs à l’information et aux médias ne sauraient faire l’économie d’une intégration des effets du contexte numérique, ce que nous avons depuis longtemps mis en pratique, à mesure de l’évolution des objets, des enjeux et des connaissances scientifiques relatives à ces derniers. Par conséquent, fake news, fonctionnement des réseaux sociaux, protection des données personnelles et droit d’auteur font déjà partie, parmi d’autres, des éléments enseignés par les professeur.e.s documentalistes, précurseur.e.s en la matière.
La spécificité de son expertise disciplinaire a mené la profession à intégrer très tôt les enjeux liés au contexte numérique, dans sa réflexion comme dans ses gestes professionnels, en lien étroit avec les représentants de la formation et de la recherche. Cette historicité, dont la loi d’orientation pour la Refondation a pris acte en 2013 en disposant que « les professeurs-documentalistes doivent être particulièrement concernés et impliqués dans les apprentissages liés au numérique », nous permet aujourd’hui un regard approfondi et distancié, en appui sur une connaissance fine des pratiques et besoins des élèves, sur les questions vives qui guident le travail mené par votre mission.
La motivation de notre démarche, aujourd’hui comme hier, est d’assurer à tous les futurs citoyens de la République une réelle formation à l’information et aux médias, y compris numériques, par des professionnel.le.s formé.e.s, par ailleurs recruté.e.s et rémunéré.e.s par l’État pour assurer ces missions, et de garantir ainsi la continuité du service public d’éducation sur ces problématiques. Les observations menées jusqu’ici dans le supérieur montrent le manque et l’hétérogénéité des compétences informationnelles des étudiants, imputables à l’absence de cohérence et de généralisation actuelles des formations assurées dans le secondaire.
Concernant le numérique, nous estimons qu’il faut rompre avec le mythe des digital natives et de leur supposée maîtrise, que l’état actuel de la recherche remet en cause au profit d’une analyse plus complexe, faisant apparaitre de nombreuses hétérogénéités. Les fractures numériques sont avant tout socio-culturelles. Si l’école ne dispense pas, et en priorité aux élèves les plus défavorisés, une formation systématique et progressive aux savoirs et méthodologies informationnelles, elle ne remplira pas l’une de ses missions fondamentales : donner l’égalité des chances.
Nous affirmons, dans ce cadre, la spécificité de l’apport légitime du.de la professeur.e documentaliste dans la formation à une culture numérique. Certes, l’école doit former au numérique, et une culture technique, fondée sur la compréhension des nouveaux outils et de leur logique est indispensable. Mais la formation à l’information et aux médias ne saurait être dissoute dans une approche technique et procédurale, prioritairement transversale. Former des citoyens doués de jugement critique face à l’information et aux médias relève d’une approche culturelle, requérant des savoirs et compétences spécifiques, qui précèdent et débordent ceux du numérique.
Si l’on considère que l’une des dimensions de celui-ci renvoie au nombre, au code, et par prolongement, à la programmation et à l’informatique, la convocation des disciplines scientifiques et techniques pour l’enseigner se justifie. Mais lorsque la dimension culturelle, liée à l’information, est concernée, les qualifications et la plus-value se trouvent chez les professeur.e.s documentalistes, qui sont pourtant, à l’heure actuelle, trop peu convoqué.e.s.
La composition de notre délégation articule les expertises du terrain, de la formation et de la recherche. Afin d’approfondir les éléments que je viens d’évoquer, nous vous proposons trois développements successifs du propos. Olivier Le Deuff exposera tout d’abord les enjeux et la place de l’information-documentation dans la construction d’une culture numérique. Élisabeth Schneider précisera la question de l’expertise et de la qualification du.de la professeur.e documentaliste. Pascal Duplessis, enfin, développera la question des visées et enjeux d’un enseignement de l’information documentation.
Gaëlle Sogliuzzo,
présidente de l’APDEN
Captation vidéo de l’audition le 8 mars 2018
• Voir également sur ce site : La nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes. Entre promesses et désillusions (août 2017).